Lors d’une conférence pour les investisseurs rapportée par gamespot.com, Jean-Briac Perette, qui est à la tête de la division jeux vidéo de Warner Bros. Discovery, a pu évoquer la stratégie envisagée par l’entreprise concernant les jeux qu’elle développerait dans le futur. Et sans surprise, on sent que l’accueil tiède réservé à Suicide Squad: Kill the Justice League a été source d’amertume.
Ainsi, il accuse le marché du jeu vidéo de « volatilité » en ce qui concerne le segment des titres AAA pour consoles. C’est cette volatilité, une espèce d’incertitude, de jeu de hasard, qui aurait empêché le succès de Suicide Squad: Kill the Justice League, qu’il décrit comme « une déception pour l’entreprise ».
Ce qu’il ne décrit pas, c’est que le jeu a d’abord été une déception pour les joueurs. C’est cette déception qui en a limité les ventes et a entraîné, par la suite, « la déception pour l’entreprise ». Ou au moins pour ses dirigeants. Parce que ne nous y trompons pas, quelques étages en dessous, on savait déjà depuis plusieurs mois que ça n’allait pas forcément très bien se passer, ainsi qu’en témoignent les reports et changements de cap dans la communication en amont du lancement.
Le jeu ne correspond en rien aux attentes des joueurs, ce dont on se doutait fortement depuis les premières images publiées dès l’automne 2021. L’offre et la demande sont pourtant des concepts de base que Jean-Briac Perette devrait connaître un minimum. Pourtant, le dirigeant ne semble rien remettre en question, et accuse le marché : ce n’est pas le jeu qui est en cause, c’est la « volatilité » du marché.
On a l’impression, nous, au contraire, que le marché s’est montré plutôt cohérent : quand Warner propose un jeu très grand public, accessible, basé sur une licence populaire, dont le contenu correspond aux attentes, le marché répond positivement, et Hogwarts Legacy devient le jeu le plus vendu de l’année. Avec un Mortal Kombat 1 solide, qui répond aux attentes en matière de gameplay, de contenu, mais aussi de WTF signature du jeu, le marché est encore présent.
Suicide Squad: Kill the Justice League n’a pas su se positionner entre le TPS multijoueur à la Fortnite et l’open world narratif de la trilogie Arkham dont il devait être l’héritier. Un tiraillement qui illustre peut-être une discussion compliquée entre les créateurs et les dirigeants. Une absence de ligne claire qui a en tout cas nui au jeu, dont le contenu n’est au final ni digne du premier aspect, ni du second.
Ainsi, Perette déclare : « Plutôt que simplement lancer des jeux « one shot » sur consoles, pourquoi ne pas développer des jeux bâtis sur des licences comme, par exemple, Hogwarts Legacy ou Harry Potter, des services live où les gens peuvent vivre, travailler, construire et jouer dans un monde persistant ? ». Un jeu-service Harry Potter serait donc l’avenir de Warner Bros. Discovery ? Mais ça a déjà été fait, ça, Jean-Briac. Ça s’appelait Harry Potter: Wizards Unite et ça n’a pas tenu deux ans, malgré le savoir-faire de Niantic (Pokémon Go), qui était à la manœuvre.
L’idée d’un jeu-service Harry Potter n’est pas la seule carte que J.B. Perette a dans sa manche. Il évoque aussi un « plan d’investissements stratégiques » pour offrir plus de succès aux futurs jeux de l’entreprise et vient ainsi d’embaucher quelqu’un pour s’occuper du « brand management » (la gestion des marques). On voit clairement ici le problème : Jean-Briac Perette n’y comprend rien au jeu vidéo. Suicide Squad: Kill the Justice League souffre d’un défaut majeur de gameplay, d’identité même, et Perette y répond avec du « brand management ».
Le jeu vidéo est une industrie qui ne se laisse pas facilement dompter. Amazon s’y est cassé les dents et, malgré des efforts persistants et des millions de dollars infinis, n’a pas encore réussi à s’imposer. Tout juste a-t-il connu, au milieu de nombreuses annulations, un demi-succès avec New World.
Quant à Google, faut-il vraiment rappeler l’expérience Stadia ? Avec ses presque 200 milliards de dollars de revenus, le marché du jeu vidéo attire tous les capitalistes de la planète, mais le discours de Jean-Briac Perette et les nombreux licenciements opérés par des entreprises pourtant bénéficiaires montrent que ces gens ne savent pas ce qu’ils font. C’est bien beau de racheter la meilleure boulangerie du village, mais si tu ne reprends pas le boulanger avec, ne t’attends pas à ce que le pain reste aussi bon, et surtout, ne t’attends pas à en vendre autant…