Le voilà, le prochain Total War historique majeur, selon les propres dires de Creative Assembly. Déjouant toutes les attentes concernant un hypothétique Médieval III ou Empire II, Total War: Pharaoh nous ramène une fois de plus à l’âge du bronze, mais, cette fois, il ne s’agit plus du conflit entre Troie et Mycènes mais de celui qui a opposé les Hittites aux Égyptiens avec les Cananéens pris entre deux feux.
Qu’il est difficile de juger ce Total War: Pharaoh, un jeu qu’absolument personne n’attendait et prenant une direction assez clivante. En témoigne l’absence de hype réelle suite à son annonce, mais aussi une campagne marketing promotionnelle particulièrement timide et pas du tout à la hauteur d’un nouveau Total War, un peu comme si CA Horsham admettait que ce jeu n’est pas celui qu’il prétendait être et qu’il valait mieux éviter d’y mettre trop de ressources.
(Test de Total War: Pharaoh sur PC réalisée à partir d’une copie du jeu achetée)
Au Nil soit qui mal y pense
Nous revoilà donc à l’âge du bronze, période à laquelle l’art de la guerre nous est peu connu, mais dont on présume qu’il devait tourner autour d’une infanterie lourde nobiliaire, d’une pléiade d’autochtones conscrits et de tirailleurs, ainsi que de chariots montés par des archers ou des lanciers. Et c’est à peu près tout.
Total War: Pharaoh met un point d’honneur à respecter scrupuleusement l’Histoire et présente des soldats portant des armures inspirées de fresques d’époque, trouvées dans des tombes ou bien décrites au sein de chroniques. Nulle fantaisie ou fantasy ici, et les amateurs d’Histoire se plairont à observer les armées hittites, égyptiennes et cananéennes arborant armes et tenues probablement relativement proches de ce qui était porté il y a plus de deux millénaires.
De manière générale, il faut rendre à CA Sofia ce qui appartient à CA Sofia : le travail historique est réel. De la recherche des personnages historiques jouables aux reconstitutions des cités égyptiennes et hittites en passant par les différents panthéons présents, rarement un jeu n’aura été une telle ode à l’amour de l’Histoire et on ne peut que saluer les efforts visant à mettre en avant des périodes historiques largement sous-représentées.
Plus concrètement, dans Total War: Pharaoh, le joueur doit sélectionner son dirigeant historiques parmi huit personnages disponibles répartis entre les cultures Hittites, Égyptiennes et Cananéennes. L’objectif est triple : construire son empire à partir de la province de départ, devenir Pharaon (ou Grand Roi Hittite) à place des autres en les évinçant lors de guerres civiles et survivre aux invasions des Peuples de la Mer.
Le jeu est d’ailleurs assez semblable à Attila où l’atmosphère était sinistre, lourde et désespérée, et où il fallait survivre face aux catastrophes naturelles, mais aussi à l’invasion des Huns. Ici aussi l’atmosphère est pesante, une ambiance de fin du monde qui correspond à l’idée que l’on se fait de la chute de l’âge du bronze et des invasions qui l’ont accompagnée.
Le Caire, nid de prétendants
Total War: Pharaoh propose donc des nouveautés pour rendre cette aventure épique, mémorable et en faire un défi. Nous parlions de guerres civiles, celles-ci sont en effet nécessaires pour renverser le Pharaon ou Grand Roi et s’installer à sa place. Une mécanique de légitimité est donc introduite. Pour en gagner, il faudra remporter des batailles, conquérir des terres sacrées appartenant à la culture concernée ou bâtir des monuments culturels.
Dans votre ambition, vous serez aidé par la possibilité de créer des complots au sein de la Cour royale pour vous emparer d’un poste ou vous débarrasser d’un rival encombrant. Une fois le trône récupéré, vous obtiendrez des troupes royales d’élites, des pouvoirs spéciaux et des armes uniques du côté des Hittites ou des couronnes thématiques côté des Égyptiens.
À savoir qu’ici, comme dans Three Kingdoms, certains équipements attribués à votre personnage ou vos généraux sont visibles sur leurs modèles 3D sur le champ de bataille, ce qui est toujours sympathique. Et une fois au pouvoir ? Eh bien, il va falloir résister aux invasions des Peuples de le Mer qui arrivent à partir du tour 50 et représentent un réel challenge du fait qu’il s’agit essentiellement d’infanterie lourde, et de par leur triste habitude de raser les villes qu’ils prennent. Autant dire qu’à partir du milieu de partie, il faudra créer des armées défensives pour défendre vos précieuses villes avant d’aller faire coucou aux deux autres civilisations.
Pour vous aider, les avant-postes font leur apparition, héritiers lointains des forts et tours que l’on pouvait construire dans les anciens jeux. Ici, il s’agit de trois à quatre emplacements de constructions supplémentaires en dehors des colonies pouvant améliorer votre piété, votre production de ressources, vous rendre immune à l’attrition dans le désert ou améliorer les garnisons de vos villes.
Une nouveauté assez intéressante réside dans le fait qu’ici, et contrairement à tous les autres Total War récents, les factions n’ont plus de mécaniques propres et uniques. Il y a, à la place, des « Héritages historiques » disponibles et parmi lesquels vous ne pouvez en choisir qu’un par partie. Par exemple, côté Égyptiens, vous pouvez vous spécialiser dans le commerce avec un système de caravane (qui n’a rien à voir avec celui présent dans Warhammer III) ou encore vous attribuer vous-même la mission de poursuivre le rêve Akhénaton et de créer le premier monothéisme de l’Histoire avec le culte d’Aton.
Il est possible de personnaliser les bénéfices d’Aton en choisissant quelles divinités associer tout en sachant que vous n’êtes pas limité aux divinités égyptiennes. Votre Aton peut ainsi être le résultat du syncrétisme entre Horus et Moloch, ou Baal, ou Arinna. Une fois votre Aton bien défini, il faudra en faire la religion principale d’Égypte en bâtissant des monuments à Aton dans les avant-postes ou des temples dédiés dans vos villes, et sucrerie suprême pour les amateurs d’Histoire, aller reconstruire la Cité d’Akhétaton.
La guerre, c’est dur
Total War: Pharaoh ne réinvente pas la roue de chariot et les combats empruntent autant à Troy qu’aux jeux plus anciens. Déjà, il convient de souligner que les animations synchronisées sont de retour pour les soldats ordinaires et que ces derniers n’ont plus les animations ridicules de Troy. Le rythme est beaucoup plus lent, l’endurance importe de nouveau et les aléas du terrain peuvent handicaper certaines unités. Les chariots vont être substantiellement ralentis dans les forêts et la boue, l’infanterie lourde se fatigue vite et son armure se dégrade au fil des combats. À noter également la présence d’un roster d’unités propre à votre faction auquel s’ajoute un roster autochtone régional, véritable bonne idée que l’on espère revoir dans des titres ultérieurs.
La météo est désormais dynamique avec des variations lors des combats qui sont plus visuelles qu’autre chose, en ne représentant donc pas de réels challenges tactiques. Il y a un soin du détail certain avec les soldats recouverts de sable lors des tempêtes de sable, de boue en se battant sous la pluie, et l’on assiste au retour des environnements et de la végétation inflammables.
Cependant, période oblige, les batailles se jouent presque toujours de la même manière : ligne de front qui fait l’enclume, et javeliniers, ou unités armées de haches pour contourner et jouer le rôle du marteau. Les chariots souffrent des mêmes problèmes depuis Rome 2, à savoir qu’ils jouent le rôle de cavalerie de choc (ils sont insignifiants en termes de dégâts à distance), mais se coincent assez souvent dans la mêlée et doivent donc être retirés manuellement du combat pour y être renvoyés juste après, et ainsi de suite.
Un réel challenge apparaît avec les Peuples de la Mer et leurs armées d’élite, surtout pour les Égyptiens qui ont très peu d’unités lourdes et comptent davantage sur la masse de paysans conscrits et quelques bonnes unités pour flanquer. Il faudra alors faire bon usage de la nouvelle mécanique d’Ordres, qui permet à des unités de mieux tenir la position, à d’autres de reculer en faisant face à l’ennemi et aux troupes lourdes de faire une percée. Innovation réelle dans la franchise et ô combien bienvenue.
Les grains de sable
Jusqu’ici, Total War: Pharaoh paraît séduisant. Mais, en réalité, le jeu souffre de nombreux problèmes qui, paradoxe suprême, sont davantage des problèmes Total War que des problèmes Pharaoh. Si le jeu est très bien optimisé et magnifique, de petits bugs persistent.
Des bugs que l’on retrouve toujours d’un Total War à l’autre : ainsi, vos archers et frondeurs ont tendance à se dire que c’est une bonne idée d’aller au corps à corps contre une unité ennemie plutôt que d’utiliser leurs armes de distance. Les portes des villes ont toujours tendance à s’ouvrir aux assiégeants si une unité de défenseurs est trop proche de l’autre côté, et l’IA cache difficilement son omniscience et sait parfois où se trouvent vos unités cachées dans les hautes herbes. Par ailleurs, l’UI est parfois assez illisible et surchargée, ce qui nous pousse d’ailleurs à recommander d’emblée l’usage du mod Coloured Building Icons sur Steam pour rendre l’arborescence des bâtiments infiniment plus simple à lire.
Le jeu pâtit aussi de beaucoup de redondances dans les campagnes et la rejouabilité est finalement assez moyenne. Il faut dire que la carte de campagne toute verticale, de l’Anatolie à la Nubie, n’aide pas. Néanmoins, CA Sofia en est visiblement bien conscient et a redoublé d’efforts sur les moyens de personnaliser les campagnes. L’on peut ainsi désactiver les rébellions, réduire ou augmenter les coûts d’entretien des unités, changer la personnalité de l’IA, supprimer les attaques des Peuples de la Mer et même faire apparaître les factions de manière aléatoire sur la carte. Mais ce sont là des artifices servant à donner l’illusion que les parties diffèrent de l’une à l’autre, ce qui n’est pas réellement le cas.
Enfin, comment ne pas évoquer l’opportunité manquée d’ajouter davantage de civilisations jouables dans le jeu, notamment en Mésopotamie où fleurissaient déjà d’anciennes civilisations ? Quel curieux choix que celui de nous offrir seulement trois civilisations étroitement reliées par les régions du Levant ! Pour un jeu à 60€, c’est désolant, d’autant que, manifestement, les DLC prévus vont essentiellement ajouter des factions au sein des cultures déjà existantes et non étendre la carte.
Jamais deux sans Troie
Le principal problème de Total War: Pharaoh n’est pas tant le jeu en lui-même que le contexte dans lequel il sort. À partir du moment où Creative Assembly le vend 60 euros, il est alors juste de le comparer avec Three Kingdoms, sorti il y a quatre ans au même prix. Et la comparaison fait extrêmement mal tant elle illustre la stagnation générale des Total War, mais aussi, et c’est surprenant, la régression bien réelle de la franchise.
Les mécaniques de politique, gestion des personnages et des villes, l’espionnage, la formation dynamique des Trois Royaumes comme endgame, tout cela est à des années lumière de la mécanique de Court proposée dans Pharaoh. Et que dire de la fenêtre de diplomatie où reviennent, encore et toujours, les personnages en 3D de Rome 2 respirant fortement en regardant le joueur. Pourquoi ne pas les mettre sur des trônes comme dans Shogun 2 ou bien utiliser les magnifiques représentations artistiques de l’écran de sélection comme le fait Three Kingdoms ? Ce ne sont que des détails, mais des détails qui délivrent des informations substantielles sur l’état de la franchise et le décalage de plus en plus prononcé entre le studio britannique et la communauté des fans.
Et avec des ventes suspectées comme étant particulièrement faibles (on parle de 2000 à 3000 joueurs sur Steam sur le « nouveau Total War historique majeur ») se pose la questions des dégâts infligés à la franchise dans un contexte où Creative Assembly vient de perdre des millions d’euros dans le projet avorté Hyenas. SEGA va-t-il tirer les mauvaises conclusions de cette situation ? Que les joueurs ne veulent plus de jeux historiques et juste du Warhammer ? C’est un sujet qui sera plus amplement abordé dans un autre article, mais de nombreuses questions se posent quant à l’avenir de Total War avec le lancement raté de Total War: Pharaoh.
Total War: Pharaoh est-il un mauvais jeu ? Non. Est-il un excellent jeu ? Non. C’est un jeu sympathique qui plaira essentiellement aux amateurs d’Histoire, et d’autant plus à ceux passionnés par l’âge du bronze et le mystère des Peuples de la Mer, mais aussi aux passionnés des civilisations égyptiennes, hittites et cananéennes, qui prendront beaucoup de plaisir à zoomer sur les villes, les soldats et découvrir des panthéons très peu connus. En termes d’immersion, le jeu rend une copie impressionnante.
CA Sofia nous démontre encore une fois leur passion pour l’Histoire et, quelque part, on est un peu triste pour eux quant au futur du jeu. Sans doute que le prix est trop haut vis-à-vis de l’expérience offerte, 40€ semble de fait beaucoup plus juste que le prix fort choisi.
Le réel problème du jeu est qu’il représente malgré lui l’état de stagnation absurde de la franchise Total War où les jeux semblent être tous plus ou moins des clones les uns des autres. Et ce, alors même que Three Kingdoms demeure dans l’ombre, complètement ignoré par CA, en dépit des nouveaux standards que le jeu avait apportés à la franchise et qui auraient dû constituer les fondations de tous les Total War ultérieurs.