Lors de son explosion commerciale, le jeu vidéo a d’abord été marketé comme un jouet – ainsi qu’en atteste le passé industriel de Nintendo ou le fait que la console la plus vendue aux États-Unis au début des années 80 était signée Mattel, fabricant des Barbies et autres Maîtres de l’Univers (même s’il existait un public de niche pour des jeux, sur ordinateurs essentiellement, destiné aux adultes). L’évolution technologique, qui a permis de proposer des jeux de plus en plus complexes, a doucement fait reculer l’âge moyen du joueur. Cependant, qu’il s’adresse aux adolescents ou aux jeunes adultes, longtemps, l’image du « truc pour ado boutonneux » a collé au média.
Le changement est venu, côté grand public, de la Wii. Par un coup marketing génial, Nintendo a décidé de s’adresser au public des « non-joueurs » plutôt qu’à celui des joueurs. Si le pari était osé, il avait aussi un potentiel commercial énorme, le public déjà acquis à la cause jeu vidéo étant bien moins nombreux que celui des non joueurs.
La console était dès sa sortie en retard technologiquement ? Pas grave, les gens peu habitués aux jeux vidéo ne le verraient même pas, et cela permettrait de proposer la machine à un prix contenu. La manette manquait particulièrement d’ergonomie ? Mais sa forme de télécommande la rendait familière au grand public, moins intimidante que les manettes traditionnelles bardées de boutons. Et puis le gimmick du « motion gaming » offrait des contrôles instinctifs simples et naturels, sans qu’il y ait besoin d’apprivoiser des manipulations complexes pour le profane…
La stratégie s’est révélée payante puisque Nintendo a écoulé plus de 100 millions d’exemplaires de sa machine. Pourtant, il n’a, jusqu’à présent, pas tout à fait été suivi par la concurrence.
La sortie des générations de machines actuelles s’est faite au rythme d’un concours de bits, l’un sortant ses teraflops quand l’autre exhibait son SSD magique, dans des discours très techniques que seuls les amateurs de technologies étaient en mesure de saisir. Nintendo a lui continué sa route en proposant une console familiale basée sur le « jouer ensemble » (le contrôleur se dédouble et permet d’inviter un ami) et la paix sociale en famille (plus de dispute sur l’utilisation de la télé du salon grâce à la nature hybride de la Switch). Encore une fois, carton plein, et la Switch sera dans quelques semaines la console la plus vendue de tous les temps.
Une nouvelle leçon qui infuse lentement dans l’industrie. Xbox semble revenu de son discours sur « la console la plus puissante » et propose aujourd’hui le programme Xbox Everywhere, soit la possibilité de jouer directement depuis un PC (y compris d’entrée de gamme grâce au cloud gaming), une télé connectée ou un mobile, même sans console, et qui a pour objectif de permettre à chacun de jouer, sans avoir à se poser les questions éternelles que sont « Console ou PC ? », « Xbox ou PlayStation ? », « Une RTX 3050, c’est bien ? », « 512go, c’est suffisant ? », « Astro Bot, il est sur Switch ? » (pour cette dernière, en vérité, Xbox ne peut rien faire…).
Une volonté de s’adresser à tous qui se reflète dans le contenu familial du Game Pass : on voit en effet régulièrement des jeux comme La Pat’Patrouille ou Bluey mis en avant aux côtés de jeux plus « gamers ». Une volonté d’élargissement du public qui explique aussi la fin de la course aux exclus chez Xbox : on ne cherche plus à piquer des parts de marché à PlayStation, mais plutôt à attirer de nouvelle typologie de joueurs, un public plus casual, plus familial…
C’est aussi dans ce sens que vont les dernières déclarations de Netflix, qui prévoit de proposer des jeux en « multi canapé » et des party games auxquels on pourrait accéder directement depuis une télé connectée.
« Nous voyons cela comme un héritage des soirées jeux de société en famille, ou une évolution de ce qu’étaient les jeux diffusés à la télé » – Greg Peters, co-CEO de Netflix
Là aussi, c’est un public varié et familial qui est visé plutôt que le joueur traditionnel habitué aux jeux vidéo. Une orientation qui expliquerait la fermeture du studio AAA connu sous l’appellation Team Blue, décidée par le géant du streaming avant même la sortie du moindre projet, à l’automne dernier. Paradoxalement, le public le plus éloigné du jeu vidéo, visé par ces déclarations, est aussi celui qui est le moins au courant de l’existence d’un catalogue jeu vidéo sur Netflix !
De même que dans une sorte de mouvement à rebours de l’air du temps, la Switch 2, avec son design très sobre, très « bureau », semble envoyer un signal aux gamers plus qu’aux familles. Car s’il est vrai que la sortie d’un jeu AAA est de plus en plus risquée, financièrement (les ventes décevantes de StarWars Outlaws ou de Dragon Age The Veilguard ont fait plonger les actions de respectivement Ubisoft et E.A.), les succès d’Elden Ring ou de Baldur’s Gate III prouvent aussi qu’il reste de la place pour les jeux complexes et destinés à un public moins casual.
PlayStation est acquis aux joueurs quand la Switch est la console de la famille. Reste à Sony et Xbox à conquérir le grand public, et à Nintendo à faire revenir les gamers qui l’ont quitté pour un SteamDeck. La guerre des consoles, encore et toujours…
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