Jeu vidéo et cinéma, un titre un brin racoleur ? Que nenni ! Certes, nous pourrions envisager une approche de ces médias uniquement liée au prisme des nombreuses adaptations qui hantent le 7e art. Ce serait se draper de peu de pragmatisme. En faisant preuve d’une filouterie sans commune mesure, il serait également aisé de tirer sur les ambulances nanardesques que sont Super Mario Bros (Rocky Morton et Annabel Jankel, 1993), Street Fighter – L’ultime combat (Steven E. de Souza, 1995) ou encore l’ubuesque Alone in the Dark (Uwe Boll, 2005). A contrario, encenser les exceptions, comme le fantasque Silent Hill (Christophe Gans, 2006), constituerait un manque de panache tellement les codes y sont drastiquement respectés.
Cependant, le cœur de la problématique ne s’arrête pas là : lors de chaque transposition se pose la question de la fidélité au matériau d’origine. Une contrainte proche du non-sens, les deux arts ne pouvant être associés sans perte et fracas. Évidemment, plusieurs essais de chaque camp rendent hommage à l’autre avec plus ou moins d’aisance, au point de frôler l’indigestion voire la bride de la créativité. Même des génies s’y cassent les dents, comme Steven Spielberg qui, malgré toutes ses vertus, expose un torrent de pop culture avec son Ready Player One qui rend le produit ultra-référencé à défaut d’innover, si ce n’est pour la partie visuelle. Indiscutablement, cet avis reste subjectif et met en relief les éventuels reproches imputables à cette filmographie.
Même constat avec Scott Pilgrim vs the World (Edgar Wright, 2010) qui démontre toutes ses compétences en termes de réalisation et un nombre incalculable de limites narratives inhérentes à sa structure calquée sur le jeu vidéo qui impose une restriction mécanique : présentation/boss battle/victoire. Cela n’en fait pas un mauvais long-métrage, mais il est certain que l’ambition de se rapprocher du nirvana est en berne. Le nectar reste savoureux, mais la marche vers le panthéon s’avère trop haute.
Alors pourquoi ? Pourquoi le cinéma s’évertue, au-delà de l’aspect mercantile, à fusionner le format vidéoludique avec le sien ? Si le jeu vidéo constitue une absence de barrières, le familier des salles obscures évolue avec le temps, repoussant toujours plus les frontières, mais hormis l’animation, les métrages seront toujours assujettis aux lois de la pesanteur et aux fonctionnalités des cascades ! On ne réinvente pas la roue ; en outre, nous faisons preuve d’un froid réalisme qui vise uniquement à mettre en évidence les carences de ces tentatives. D’autant plus que la spirale peut s’avérer infernale lorsque la pellicule transpose une licence qui elle-même se nourrit d’un monument du cinoche. Oui, Uncharted (Ruben Fleischer, 2022), c’est toi qu’on regarde…
Par bonheur, certaines itérations semblent sortir la tête de l’eau au prix d’innombrables concessions. Nonobstant ce constat, il semble bien qu’aucun film de ce type ne parvienne à se hisser au niveau d’un cador de sa catégorie. Même l’adaptation de la licence de Konami citée plus haut ne titille pas les maîtres de l’horreur, ceux-ci se targuant d’une imagination sans limite. Les réalisateurs s’adonnent donc aux plaisirs de la fertilité et de la fantaisie à l’inverse des arrangeurs des permutations vidéoludiques pour le grand écran, astreints à la considération du dogme. Comme une drogue à l’accoutumance. Le découpage sera souvent condamné à se caler sur la logique des niveaux tout en respectant un cahier des charges plutôt lourd. Quelques nouveautés, dont le roi du streaming The Last Of Us, tentent bien d’effectuer une relecture. Est-ce bien efficace ? Le sujet sera à creuser, mais cela ne change rien au problème de fond.
Cinéma Tome
Or, il ne s’agit pas de fustiger le rapprochement entre le jeu vidéo et le cinéma, les industries disposant notamment de grands noms ayant choisi de s’acclimater aux univers propres. D’ailleurs, on ne peut pas non plus occulter l’apport visuel et du numérique, à l’instar des propositions de Tron (Steven Lisberger, 1982) et de sa suite Legacy (Joseph Kosinski, 2010). Là n’est pas le souci ! Si des accointances de ce type sont possibles, il est clair que les deux médias ne peuvent que s’acoquiner temporairement sans véritablement établir une relation durable.
Ne serait-ce que pour la forme interactive. Si le cinéma peut interroger le spectateur ou choisir de s’adresser à lui en brisant le quatrième mur, jamais il ne pourra procurer cette sensation d’interagir sur les événements, quand bien même la route tracée par des embranchements est de temps à autre illusoire. Cela change la donne en raison du chamboulement de la mise en place de la diégèse. À titre d’exemple, les longs-métrages usent et abusent, avec plus ou moins de réussite, du hors-champ, du « moment déterminant » expliquant les événements essentiels qui ne seront pas forcément montrés et du « fusil de Tchekhov », durée du métrage oblige.
Cependant, ce constat peut être perçu comme une faille du scénario dans le jeu vidéo, ce dernier disposant d’une période allongée afin d’exposer ses grandes lignes. Nous pensons notamment au cas de Final Fantasy XII, où le principal reproche provenait de l’absence quasi-totale de l’empire de Rozzaria, mettant en avant le spectre du « trou scénaristique », le développement de ce dernier étant largement envisageable au regard du laps de temps accordé par le genre. Curiosité du destin, Final Fantasy – Les créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001) se détachait aisément du diagramme de ses grands frères vidéoludiques, délaissant les coutumes attendues pour un produit original bourré de tares, mais réellement attachant.
Néanmoins, Square se fera adepte du rétropédalage avec ses productions suivantes, relevant plus du fan service ou de longues cinématiques d’introduction, et ce, même si quelques séquences restent mémorables. Advent Children (Tetsuya Nomura et Takeshi Nozue, 2005) et Kingsglaive (Takeshi Nozue, 2016) demeurent des productions sympathiques, mais leur charpente est bien trop similaire à celle du jv pour prétendre à autre chose qu’un rôle de complément d’un projet central.
Bref, il n’est ni opportun ni utile de noircir le tableau ; en outre, la remise en contexte est nécessaire pour tenter de comprendre pourquoi il apparaît impossible pour le cinéma de se baser sur l’essence du loisir vidéoludique. Mais alors, nous diriez-vous avec un zeste de curiosité, la réciproque est-elle égale ?
Cas d’mariage et un entertainment
Ne déplacerait-on point le support en incorporant des techniques du 7e art au jeu vidéo ? Motion capture, FMV, prises de vue réelles, acteurs reconnus en guest-stars, jeux narratifs… Tous ces éléments mettent en lumière une volonté inébranlable des concepteurs d’avoisiner le travail des réalisateurs chevronnés du grand écran. Une forme de mimétisme souvent efficient, brillamment utilisée par Ninja Theory, Kojima Productions ou Quantic Dream. Pourtant, impossible de s’empêcher de parler de mise en scène vidéoludique et non purement cinématographique ! Bien entendu, il serait tentant de prêcher la jonction des deux médias. Ce serait aller bien vite en besogne.
Et c’est avec une immense audace qu’on se prend à rêver d’une même appétence (voire d’un talent commun) pour le poste de réalisateur de jeux vidéo que pour le poste de réalisateur de cinéma. Mais nous sommes plus dans l’ordre du fantasme ! Si l’ami Hideo, Tameem Antoniades ou encore David Cage n’ont plus rien à prouver en ce qui concerne leurs aptitudes à sublimer les saynètes de leurs productions respectives, dégageant une identité forte, rien n’indique que le succès artistique serait identique dans la maison d’en face. En témoignent schématiquement certaines phases interminables de MGS4 qui se prennent les pieds dans le tapis lorsqu’il s’agit de raconter des événements sans phases de gameplay entre deux cinématiques. C’est immuable et nous met la réalité en face : s’inspirer, oui, se lier, non.
Quantum Break constitue en ce sens la représentation parfaite de cette dichotomie. Entre les scènes jouées avec de véritable acteurs (dont le regretté Lance Reddick) et le retour au format « jeu vidéo pur », un fossé est visible jusqu’à en être palpable. Cela ne remet pas en cause la quintessence du produit ! Toutefois, nous ne pouvons que constater l’écart entre les deux mondes qui fonctionnent non pas en alchimie, mais en partenariat. Les expériences Her Story ou As Dusk Falls auraient tendance à nous faire mentir, mais à bien y réfléchir, si des points communs sont à mettre en relief avec le 7e art, les deux essais se détachent de leur(s) modèle(s) cinématographique(s) pour proposer une autre forme de jeu vidéo. Tout cela en dépit de l’appellation paradoxale « films interactifs ».
C’est ainsi qu’il ne faut jamais oublier que si le jeu vidéo est un point de convergence de multiples inspirations, il n’en reste pas moins une source indépendante. Voilà pourquoi il est finalement peu efficient de se borner à se singer l’un et l’autre. D’ailleurs, les adaptations de films en jeux ne prennent-elles pas d’intenses libertés pour atteindre le plaisir du gameplay ? Batman Returns n’est-il pas complètement différent selon les supports même s’il y a un tronc commun ? Bloodsport n’est-il pas un bien meilleur film pour les fans de versus-fighting que Mortal Kombat ? En définitive, le mariage entre jeu vidéo et cinéma ne peut véritablement avoir lieu. Rien n’empêche cependant une aventure passagère, comme celle des adolescents en plein été qui ressassent inlassablement le visage de l’alter ego éphémère durant le trajet du retour. Fichtre ! Voilà que nous devenons nostalgiques…
Super Mario, Saint Seiya – Le jeu vidéo fait toujours plus son cinéma
Team NG+
Christophe Gans : « Je vois des choses bien meilleures en jeu vidéo qu’au cinéma »
n1co_m
Resident Evil – Un nouveau remake… pour le cinéma !
n1co_m