En octobre 2018, DICE lançait Battlefield V, un énième jeu reprenant la Seconde Guerre mondiale en toile de fond, avec un trailer particulièrement loufoque (qui a causé beaucoup de dommages à ce qui était pourtant un très bon jeu).
Au même moment, un nouveau petit challenger pointait le bout de son nez dans l’arène des FPS multijoueur avec un trailer dévoilant une ambiance et un gameplay particulièrement intéressants, mais aussi un ton assez sérieux et situé à notre époque. Soit tout que l’on attendait plutôt de la part de la dernière production du studio suédois, mais concrétisé par un studio indépendant : World War 3.
(Test de WW3 réalisée sur PC, via une copie Steam téléchargée gratuitement, avec la première saison du Battlepass et le Starter Pack fournis par l’éditeur)
Développé par The Farm 51, un studio polonais indépendant d’une centaine d’employés, qui avait sorti auparavant Get Even et Chenobylite, World War 3 sort d’abord en early access payant. Les critiques d’alors sont généralement positives, mais pointent des problèmes de connexion importants et, tragédie redoutée par tout créateur, le contenu proposé, en dépit de sa qualité et de son potentiel d’amélioration, ne séduit pas les masses. Or, qui dit faible nombre de joueurs sur un FPS massivement multijoueur dit parties presque vides et, in fine, jeu mourant. Constatant l’érosion inéluctable du nombre de joueurs, le studio change son fusil d’épaule et en août 2020, le titre est retiré de la vente.
Fin de l’histoire ? Non, car ce cas de figure n’était qu’à moitié vrai pour le World War 3 de 2018 et 2019 : une communauté importante de près d’un millier de joueurs demeure et fait vivre le jeu tandis que celui-ci est stabilisé, et que le studio prépare un second lancement. Le studio polonais s’allie avec l’éditeur russe My.games, connu notamment pour être derrière le jeu Conqueror’s Blade, un jeu multijoueur en ligne gratuit, mais truffé de microtransactions.
Lorsque la « seconde sortie » du jeu est annoncée et planifiée, les développeurs révèlent que le gameplay aura droit à une refonte, mais sans pour autant s’éloigner de la formule du « réalisme playable » qui leur tient à cœur : nouvelles animations, nouvelle interface, cartes repensées et armes retravaillées sont donc au programme. Et finalement, après deux ans de travail, le jeu sort enfin officiellement le 10 décembre 2022. Avec un changement majeur : le jeu est désormais gratuit et contient lui aussi un système de boutique et de Battlepass pour financer son développement tout en s’ouvrant à un maximum de joueurs.
Il était important de revenir sur la genèse du développement du jeu, tant celui-ci a connu une destinée malchanceuse et injuste, mais s’obstine à rester en vie et à défier les mastodontes AAA que l’on connaît tous malgré des ressources moindres. Et en dépit de tout, il le fait bien, voire même très bien.
Une partition très soignée
La première chose qui frappe lorsqu’on lance une partie, c’est que le jeu est beau. Il n’a clairement pas à rougir face à un Battlefield ou Call of Duty. Certes, il ne s’agit pas d’une beauté absolue. Vous trouverez plus beau ailleurs et, clairement, certaines textures ne sont pas au niveau (notamment le sol enneigé et les épaves de véhicules). Mais c’est une beauté immersive qui fait très rapidement oublier que le jeu est gratuit. Que ce soit les milieux urbains, les intérieurs des bâtiments, la reproduction de villes modernes existantes ou le soin apporté aux reproductions d’uniformes nationaux modernes, il n’y a rien qui fait tache.
Chaque carte possède son ambiance propre de normalité bouleversée par la guerre : on capture ainsi un point stratégique dans un magasin de vêtements d’un centre commercial où la petite musique apaisante de la boutique et sa luminosité tranchent avec le plafond éventré du centre que l’on croise en ressortant.
Cette « normalité attaquée » est ce que le jeu réussit le mieux, bien loin devant Battlefield 3 et 4 en leur temps. L’attention aux détails dans les intérieurs, dans l’agencement des bâtiments et des villes donne le sentiment que vous vous battez dans un lieu où, juste quelques heures auparavant, des civils vaquaient à leurs occupations et loisirs.
Et pourtant, ce qui paraît si familier est dévasté avec soin, de manière crédible et immersive, renforçant l’idée que la troisième guerre mondiale a bel et bien commencé dans la journée et que vous vous retrouvez en première ligne, le premier jour des hostilités. Les cartes Varsovie et Polarny sont de loin les meilleures du jeu en termes d’immersion et de rendu de cette « familiarité attaquée » avec cette reconstitution de milieux civils dévastés.
Il faut souligner, par ailleurs, la très bonne gestion de l’architecture des zones urbaines, avec de multiples approches possibles, qui se chevauchent, et se croisent, mêlant très bien les spécificités de chaque intérieur, mais aussi des destructions, créant ainsi de nombreuses opportunités de gameplay. Visuellement, la proposition est tellement séduisante que l’on a envie de la savourer et d’y jouer avec l’interface désactivée.
Pour enchaîner sur le gameplay, il est nécessaire de mentionner l’impact des véhicules dans les parties. Contrairement à Battlefield, ceux-ci ne sont pas disponibles au respawn après un décompte. Ils ne sont pas aussi contraignants que dans Battlefield, et il est permis de les ignorer si les objectifs sont dans des bâtiments.
Le studio revendique des mécaniques de balistique avancées et immersives avec un soin tout particulier apporté aux dégâts infligés selon les parties du corps touchées. C’est effectivement intéressant de constater que le jeu propose, lorsque vous êtes éliminé, de vous montrer les armes de votre adversaire et ce dont il est équipé, mais aussi les zones de votre corps qu’il a touchées et les dégâts reçus par zone. Sachant que vous pouvez renforcer la protection de votre buste avec des gilets renforcés de kevlar ou titane, on se retrouve avec des mécaniques de gunfight très intéressantes et tactiques.
L’autre aspect par lequel World War 3 se distingue est la personnalisation de votre personnage et des équipements. Celle-ci est particulièrement aboutie, que ce soit au niveau des armes, de votre uniforme, de vos patchs, vos véhicules, vos drones ou votre sac à dos, il y aura de quoi faire. Tout est déblocable en jouant, sauf ce qui relève du cosmétique. Pour obtenir un viseur spécifique pour votre arme favorite, il suffit d’éliminer un certain nombre d’ennemis ou de réaliser des défis avec.
Quant aux armes elles-mêmes et aux véhicules, ceux-ci se débloquent au fur et à mesure que le joueur augmente de niveau. Il semble que posséder le Battlepass ne rende d’ailleurs pas la montée de niveaux plus rapide. Le studio a par ailleurs souligné que le jeu ne contient pas de mécanique « pay to win » en dépit de la présence d’une boutique dans le jeu et du Battlepass, ce qui est assez vrai, avec un léger « mais » qui sera étoffé plus loin.
Une jolie mélodie modeste et quelques fausses notes
Jusqu’ici, World War 3 fait presque un sans-faute, mais il est nécessaire d’évoquer le modèle économique du jeu. Si l’on prend du recul, le jeu n’est pas nouveau et date de 2018, mais sa sortie effective est assez récente, et le studio a bon espoir d’attirer un maximum de joueurs à travers cette nouvelle formule supposément plus lucrative pour le développeur, mais aussi plus intéressante pour les joueurs. Votre serviteur, ici présent, a une aversion toute particulière envers ce nouveau standard des jeux « gratuits » bourrés de microtransactions qui reviennent généralement plus cher qu’un jeu acheté, remplis de mécaniques insidieuses pour pousser les joueurs à sortir la carte bleue et autres Battlepass.
Néanmoins, force est de constater que le jeu possède un modèle de F2P parmi les plus honnêtes que l’on peut trouver sur le marché. Entendez par là que si vous jouez au jeu gratuitement avec vos amis de temps à autre et ne dépensez strictement rien pour le Battlepass ou la boutique du jeu, vous ne passerez pas à côté de grand-chose en termes d’expérience. Vous ne serez pas non plus lésé face aux autres joueurs tant les armes de base sont déjà très performantes.
Cependant, le contenu cosmétique de base, gratuit, est extrêmement limité, voire famélique, et vous devrez jouer pendant certains événements pour obtenir un ensemble de skins, tel qu’un uniforme hivernal pendant la période de Noël. Mais si vous voulez réellement personnaliser votre personnage, il faudra passer par la boutique ou le Battlepass. Quant aux prix des skins, ceux-ci paraissent relativement contenus et on échappe aux prix absurdes d’éléments cosmétiques proposés par d’autres jeux comme Overwatch 2, Apex ou Valorant, qui possèdent un modèle économique très similaire.
Le problème principal du jeu tient aux moindres ressources du studio derrière le titre. On se retrouve avec un jeu solide, mais finalement qui arrive avec peu de contenu. Il n’y a que deux modes de jeu, (un troisième vient d’être introduit avec la première saison : Domination) et une poignée de cartes. Deux nouvelles, axées sur la Corée, ont été ajoutées récemment pour accompagner le lancement de la saison, une pour chaque mode. Aussi, on espère en voir d’autres arriver avec les prochaines saisons avec une identité ou thématique propre. Mais surtout, ce dont le jeu a besoin, c’est d’un mode similaire à Ruée avec des attaquants et défenseurs, de manière à mieux orchestrer le rythme et les parties.
Le jeu souffre par ailleurs de légers problèmes de lisibilité. Et ce, de manière assez générale. Qu’il s’agisse du menu principal vraiment peu élégant, des sous-menus fouillis (notamment ceux ayant trait à la personnalisation) ou de certaines informations une fois sur le champ de bataille, certains choix sont étranges et frustrants. Une pensée toute particulière pour les « néons » que vos alliés et vos ennemis portent. Le jeu a comme parti pris de vous laisser le choix absolu de personnaliser vos classes, votre apparence et vos véhicules, vous laissant porter un uniforme dépareillé, avec un patch quelconque et d’avoir un blindé russe, américain, chinois selon vos goûts. Et les autres joueurs en font autant. Le jeu n’oppose jamais deux factions avec leur propre identité visuelle, mais simplement deux équipes, sauf que votre soldat reste assez générique.
Ce qui fait que vous vous retrouvez avec des coéquipiers qui ont parfois la tenue de vos ennemis et les ennemis avec la tenue de vos coéquipiers. La parade trouvée pour distinguer rapidement l’ami de l’ennemi, en plus du nom du joueur en bleu ou rouge au-dessus de son personnage, c’est la création de « néons » bleus, verts et rouges intégrés aux tenues. Ce qui, en soi, est une bonne idée, mais le rendu est assez bizarre, et d’une aide très contestable. Pour peu que vous soyez dans des intérieurs ou qu’un joueur soit de biais en train de viser, parfois, vous ne savez tout simplement pas pendant un très bref instant qui est en face de vous, et cette micro-seconde de doute engendre des tirs amis.
De manière générale, le choix de ne pas se faire affronter des équipes thématiques, mais des équipes de joueurs avec leur personnage équipé d’un uniforme complètement personnalisé est quelque peu dommage dans un jeu ayant pour thème la troisième guerre mondiale. Mais c’est purement subjectif.
On regrette également que les deux modes de jeux proposés soient essentiellement du deathmatch avec un nombre restreint de joueurs. Même si Opérations Tactiques n’est finalement qu’un mode Conquête de Battlefield déguisé et rendu plus intéressant (il faut conquérir les points par paires pour les connecter et générer du score), faire affronter deux équipes de vingt joueurs sur des cartes assez grandes vous contraint parfois à errer pendant un moment avant de croiser quelqu’un, même si on peut comprendre que cette limitation du nombre de joueurs serve à préserver la survie du jeu en répartissant davantage de joueurs dans quelques parties. Mais élever le nombre de joueurs à trente, par exemple, pour le mode Opérations Tactiques rendrait les parties plus intéressantes et intenses.
Certaines cartes sont singulièrement propices au camping, notamment les deux dédiées au deathmatch, avec des bâtiments offrant des angles de vue stratégiques sur le reste de la carte. La prise d’un bâtiment avec son escouade est particulièrement grisante, car les combats sont intenses, le TTK (Time to kill, soit le nombre de tirs nécessaires pour tuer) est plutôt faible et il n’y a pas de médecin pour vous ressusciter avec un défibrillateur, rendant la mort d’équipiers lourde de conséquences lors des combats pour un point de capture, mais quel dommage que certains intérieurs permettent de se dissimuler autant dans un coin – même si le fléau des campeurs n’est absolument pas le propre du jeu et concerne tous les autres FPS multijoueurs.
Enfin, il est essentiel de préciser qu’aucun bug, glitch ou problème de connexion n’a été rencontré lors des sessions de jeu (près de neuf heures), et l’on ne peut que saluer les efforts du studio pour offrir un jeu peaufiné à l’expérience stable et soignée. Difficile de ne pas avoir une pensée pour un certain Battlefield 2042, et ses bugs affligeants ; une comparaison qui est encore plus insultante quand on songe à la différence titanesque de ressources impliquées dans le développement de ces deux titres.
Quant à l’anticipation d’une troisième guerre mondiale impliquant la Russie, la Pologne et moult pays occidentaux, autant le studio a été très bon dans son anticipation réaliste, autant on espère qu’ils vont quand même se tromper lorsque l’on voit que la première saison a pour thème l’escalade des tensions dans la péninsule coréenne.
World War 3 est une proposition très solide de FPS tactique multijoueur gratuit. Le jeu a connu des déboires depuis son early access de 2018, mais son second lancement lui aura permis de repartir au combat mieux armé face aux licences bien établies. Le contenu payant n’est à considérer que comme un simple bonus esthétique tant on peut se contenter de jouer gratuitement avec le contenu de base sans rencontrer de déséquilibrage. La vraie qualité du jeu, c’est avant tout l’immersion proposée et la représentation très fidèle d’une escalade militaire mondiale à note époque.
Qu’il s’agisse des cartes, des uniformes, du feeling des armes et des sons, le jeu possède une véritable ambiance qu’on ne retrouve pas (ou plus) chez la concurrence. Toutefois, la personnalisation très poussée ne permet pas de se créer un personnage visuellement loufoque. Mais la promesse du « réalisme jouable » est amplement tenue. On souhaite de tout coeur à Farm 51 de connaître le succès sur le long terme avec le jeu, car il le mérite.