Deux ans après avoir mis une énorme mandale dans la fourmilière des mondes ouverts avec Elden Ring, FromSoftware remet le couvert avec Shadow of the Erdtree, un DLC annoncé comme le plus ambitieux jamais développé par le studio. Ainsi, depuis le 21 juin dernier, nous avons été invités à fouler les contrées du Royaume des Ombres dans une sorte d’épilogue à nos aventures dans l’Entre-Terre. Et nous, pauvres hères en mal de Souls-like avons plongé la tête la première pour retrouver la magie du jeu initial.
Vous avez d’ailleurs sans doute difficilement pu esquiver tout le battage médiatique autour de cette sortie événement, avec des informations, astuces et autres secrets plus ou moins intéressants dévoilés à droite et à gauche. Mais le débat qui fait peut-être le plus rage concerne la potentialité pour Shadow of the Erdtree d’obtenir, comme son ainé en 2022, le prestigieux titre de Game of the Year aux Game Awards de fin d’année.
Alors, maintenant que nous avons pu explorer dans les grandes lignes le contenu du DLC, est-ce que, au-delà d’un hypothétique titre honorifique, Shadow of the Erdtree atteint, voire améliore, le niveau de son illustre prédécesseur ? Ou, pour le dire plus directement, est-ce qu’il vaut les quarante euros réclamés pour pouvoir en arpenter ses zones et y débusquer ses boss ?
(Test de Shadow of the Erdtree sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une copie commerciale du jeu)
Il n’y a pas que la taille qui compte
Nous y sommes. L’affreux Mogh étant six pieds sous terre, nous pouvons enfin accéder au contenu de Shadow of the Erdtree, et d’emblée, comme deux ans plus tôt, nous sommes directement assommés par l’immensité du monde qui nous entoure. Nos premières observations nous permettent de distinguer ici un mausolée dans lequel se terre le premier boss d’une longue série, là une bâtisse carbonisée à explorer, et un peu plus loin encore un immense géant enflammé prêt à nous farcir le derrière en quelques secondes.
Déjà, on ne sait plus où donner de la tête, et pourtant, ce n’est qu’une partie émergée d’un gigantesque iceberg. Là ou Elden Ring nous proposait une aire de jeu immense, mais globalement assez horizontale, Shadow of the Erdtree ajoute une verticalité à son exploration sans commune mesure. Et plus on avance, plus on s’aperçoit que ce royaume des ombres va nous demander des dizaines d’heures pour ne saisir qu’une partie de son contenu.
On sent que cet univers a été créé avec pour objectif premier de nous le faire visiter, dans ses moindres recoins. Rappelons-nous, dans le jeu de base, on nous poussait à examiner chaque portion de carte afin d’y découvrir, notamment, les innombrables mines et cavernes afin de renforcer nos possibilités de gameplay. Ici l’enjeu est légèrement différent. Et si ces grottes existent toujours, elles n’ont plus la même finalité.
En effet, sur Shadow of the Erdtree, les équipes de FromSoftware ont choisi de tabler sur la qualité plutôt que la quantité, point qui a pu être reproché au titre initial qui recyclait abondamment ses environnements et boss. Cette fois, ces mini-donjons disposent d’un level design bien plus travaillé et intéressant. On n’échappe évidemment pas au recyclage d’éléments de décors (en deux années seulement, on ne peut pas non plus trop en demander), mais tout est suffisamment original pour que l’on ne le ressente pas trop (contrairement aux mines copiées/collées du jeu de base par exemple).
Et que dire des donjons principaux que nous avons pu visiter. Nous avions déjà été tellement impressionnés, subjugués même parfois, durant leurs conquêtes dans Elden Ring que nous n’imaginions pas comment ceux de Shadow of the Erdtree pourraient les surpasser. Et pourtant, quelle ne fut pas notre surprise de constater que la barre a été mise encore plus haut, et notamment le château noir, véritable carrefour du DLC, dont la construction est absolument magistrale.
Évidemment, il faut aimer se laisser perdre, ne pas avoir peur de rater des choses. Un peu comme cela nous était arrivé sur Zelda: Breath of the Wild où, lorsque nous souhaitions aller d’un point A à un point B, nous nous retrouvions finalement à un point C bien éloigné de notre objectif initial, la même chose nous arrive ici. D’autant que l’on peut aller à chaque lieu que l’on voit.
On aperçoit cette bâtisse au loin, alors, à dos de notre chevache, on s’y dirige, mais voilà, on voit en chemin un objet rare à ramasser, alors on fait un petit détour, lequel nous conduit à découvrir en contrebas une étrange structure gardée par un ennemi qu’on s’empresse d’occire, puis on observe, dissimulée par quelques arbres, une mine qui nous conduira dans une nouvelle zone. Un postulat que l’on a déjà vécu dans le jeu de base mais qui s’en trouve ici parfois décuplé, du fait d’une aire de jeu beaucoup plus ramassée.
Mais cette exploration ne serait sans doute pas aussi remarquable dans une direction artistique à nouveau époustouflante. Les équipes de FromSoftware continue de combler une faiblesse technique, le jeu paraissant daté sur bien des points, par un design visuel à nouveau au top de ce qui se fait dans l’industrie. Rarement la mort et la désolation n’ont été aussi belles.
Un déséquilibre à la carte
Vous l’aurez compris, l’exploration est au cœur de l’expérience, et sur ce point, FromSoftware réalise un quasi sans-faute. Le studio maîtrise son sujet et arrive à trouver un subtil équilibre entre temps faibles où l’on peut profiter presque tranquillement de monde qui nous est offert, uniquement accompagné pas quelques discrètes notes de musiques, et temps forts durant lesquels l’heure n’est plus au tourisme.
D’aucun pourra pointer du doigt des zones vides, sans grand chose de plus à faire que de s’y promener, et ils n’auront pas forcément tort, mais ces respirations dans l’aventure sont aussi une bouffée d’oxygène permettant de reprendre des forces avant d’à nouveau rentrer dans le dur.
Ce qui nous permet d’aborder le second pilier d’Elden Ring, à savoir ses affrontements, et notamment ses boss. Comme dans le jeu de base, évidemment, il est possible d’utiliser bon nombre d’outil pour se faciliter (ou non) la tâche. Magies, invocations, cendres, objets… l’une des forces du jeu est de pouvoir proposer d’innombrables builds aux joueurs afin qu’ils puissent avoir une expérience « à la carte ».
Toutefois, cette profusion de possibilités est à l’origine d’un des plus gros soucis selon nous du titre, à savoir son équilibre. On entend d’ailleurs depuis sa sortie résonner à nouveau le débat sur la difficulté, débat que nous avons par ailleurs souvent préféré botter en touche, cette difficulté supposée étant différemment ressentie selon notre profil de joueur.
Ainsi, selon les outils employés (au hasard la magie et les invocations), les adversaires les plus retors tomberont en quelques secondes (littéralement), alors qu’un build plus « chevaleresque », basés sur le corps à corps sans artifices ésotériques aura beaucoup plus (et parfois trop) de bâtons dans les roues à gérer.
Entendons-nous bien, le problème ne vient selon nous pas de la difficulté intrinsèque des boss, lesquels demandent d’être appris pour pouvoir être maîtrisés, mais plutôt de la gratuité de certains ajouts durant les combats, ou de quelques one-shots particulièrement frustrants, ou encore, et c’est surement le plus dérangeant, certains problèmes de hitbox ou d’inexplicables input lag (délai de réponse entre le moment où l’on appuie sur une touche et où l’action se produit).
Alors, pour améliorer notre capacité à survivre, il est possible d’activer des bénédictions, à dénicher dans le monde ouvert (remplaçant les graines dorées et les larmes de vie du jeu de base), qui permettent d’améliorer les dégâts infligés et reçus. Mais malgré cela, les problèmes restent présents. Si l’on exagérait un peu le trait, on pourrait même se dire que Shadow of the Erdtree devient presque une caricature de la philosophie des Souls de FromSoftware.
Le fameux « Prepare to Die » hérité du premier Dark Souls est ici exacerbé, et si on accepte facilement de périr sous les coups de boutoir d’un boss à apprendre, il est beaucoup plus frustrant que ces trépas soient la résultante d’un équilibrage bancal, ou pire, de problèmes de collisions. Et c’est malheureusement de ce côté que la balance penche pour bien des ennemis (un peu dans la lignée des adversaires de la dernière partie du jeu de base, Malenia en tête).
Pour autant, Shadow of the Erdtree nous propose une batterie d’adversaire assez exceptionnels, certains combats de boss arrivant même à supplanter les Sulyvahn, Lady Maria ou l’orphelin de Kos des autres Souls-like du studio. De quoi d’autant plus regretter ces malheureux écueils qui viennent ternir une copie qui aurait pu être parfaite. Les équipes de développement devraient toutefois (on l’espère) apporter une réponse à ses soucis, un premier correctif étant d’ailleurs très prochainement attendu afin d’ajuster l’efficacité des bénédictions.
Nous étions déjà abasourdis par la générosité d’Elden Ring, avec des zones immenses, totalement annexes, aussi vastes que certains autres jeux, et FromSoftware persiste et signe avec son DLC. En ligne droite, il ne faudra pas bien longtemps pour atteindre sa conclusion, mais ce serait passer complètement à côté de son propos.
Il y a tellement à dire sur ce Shadow of the Erdtree, mais parler des surprises qu’il réserve relèverait du crime de lèse majesté tant leurs découvertes participent au ressenti de ce voyage. Les équipes de FromSoftware ont réussi à nous proposer une expérience homogène et de grande qualité tout en conservant une générosité sans borne. Et, par-dessus le marché, les trois-quarts du DLC relèvent de l’annexe et les joueurs peu curieux passeront à côté d’immenses zones. On nous vendait un équivalent de Necrolimbes mais ce qu’on nous sert sur un plateau est encore plus grand, plus varié et plus constant.
Shadow of the Erdtree est une invitation au voyage, il est fascinant. Et malgré toute la frustration qu’ont pu nous provoquer certains affrontements, nous avions envie, matin, midi comme soir de retourner dans le royaume des ombres. Rarement nous avons été aussi happés par un univers. Même Elden Ring avait parfois un côté indigeste, avec son contenu gargantuesque mais à la qualité variable.
En seulement deux petites années, FromSoftware a réussi à encore améliorer sa formule, et si l’on regrette que ne soit un peu trop axés sur la difficulté gratuite et frustrante de certains affrontements, on ne peut que recommander chaudement Shadow of the Erdtree. 40 euros ne sont vraiment pas chers payés pour la plus grande extension de l’histoire et un titre qui, s’il avait été proposé en stand alone, aurait été sans débat le grand favori au titre de GOTY.