Le mouvement Stop Killing Games, qui prend de l’ampleur et se « termine » le 31 juillet prochain, vous a certainement interpellé. Alors on vous le résume.
La genèse de Stop Killing Games
Notre histoire débute avec la fermeture de The Crew par Ubisoft. Non seulement la partie multijoueur, mais l’intégralité du jeu sont devenus inaccessibles, le titre nécessitant une connexion en ligne même pour les sessions solo. Mécontent de cette situation, Ross Scott (de la chaîne YouTube Accursed Farms) a lancé un mouvement visant à changer non pas la morale ou les pratiques des éditeurs, mais bel et bien la loi. Nous parlons donc ici d’un combat qui pourrait dépasser le simple cadre du jeu vidéo pour concerner l’obsolescence programmée en général.
Ross affirme (à raison selon nous) qu’un consommateur achète un produit et que ce produit, comme dans le cas de The Crew, lui est ensuite retiré. Mais pour Ubisoft, le problème est tout autre : l’éditeur français vend… une licence. Une licence d’accès à un service en ligne qui, au bon vouloir de la firme, peut être interrompu à n’importe quel instant. L’initiative a donc pour objectif, au mieux d’annihiler l’idéologie de la désactivation à distance d’un jeu acheté par un consommateur, ou au strict minimum, d’informer clairement ce dernier de ce dans quoi il investit son argent.
Malheureusement, cette proposition n’est pas applicable au Royaume-Uni, où la loi traite déjà ce sujet. Aux États-Unis, elle serait immédiatement avortée en raison d’un modèle économique déjà bien ancré dans la législation du pays.
Cependant, un chemin s’est ouvert l’année dernière : l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE), qui permet aux citoyens européens de déposer des propositions de loi ou d’agenda politique. La nôtre est simple : Stop Killing Games. L’idée paraît relativement simple : un jeu en conception doit être prêt à l’éventualité où ses serveurs fermeraient un jour. Que ce soit par du mode solo, du peer-to-peer, des serveurs privés ou d’autres solutions alternatives, vous voyez l’idée. Ce n’est encore une fois pas si simple. Une fois que la proposition a été suffisamment plébiscitée, l’Europe doit répondre dans un délai de six mois, puis adopter une solution. Cela fera certes bouger la machine, mais nous n’aurons pas des lois écrites à la va-vite immédiatement. Gardons espoir : cela aurait un impact fort, et ce parce que la politique européenne a une portée globale.
Maintenant, tout ce dont nous avons besoin est un minimum d’un million de signatures et d’un seuil minimum atteint dans sept pays européens. Le million de signatures est un objectif colossal, et un tel succès nécessiterait indubitablement une gigantesque campagne multilingue. Or, c’est simplement YouTubeur anglophone avec moins d’un demi-million d’abonnés qui est ici à la manoeuvre.
Si la campagne a connu un excellent départ, Heineken (oui, la marque de bière) s’étant même proposée comme sponsor de Stop Killing Games si le million était atteint, force est de constater qu’elle n’a pas maintenu un momentum formidable sur la durée. Il faudrait donc, pour que la pétition soit couronnée de succès, quelque chose capable d’unir tous les fronts, à une échelle bien plus globale… n’est-ce pas ?
Comment un drama sur World of Warcraft pourrait retourner l’industrie
C’est alors qu’intervient PirateSoftware (de son vrai nom Thor), un personnage aux multiples facettes, dont les deux plus pertinentes pour notre sujet sont qu’il joue à World of Warcraft et qu’il n’est pas en faveur de Stop Killing Games. Dans une première série de vidéos, l’individu défend l’idée selon laquelle seuls les studios AAA pourraient se permettre de dépasser la régulation, enterrant ainsi tous les autres.
Cet argumentaire raisonnable a toutefois été globalement mal exécuté, son discours sur YouTube étant ponctué de petites erreurs. Nous sommes alors en avril 2025 (pour une fin de campagne le 31 juillet 2025) et le total des signatures dépasse à peine les 425 000, ce n’est même pas la moitié de l’objectif… Le projet semblait enterré d’avance. Épuisé et incapable d’accélérer la progression de la pétition, Scott reprend alors, avec une candeur totale, la vidéo de notre malicieux personnage avant de dire :
« C’est comme demander à quelqu’un atteint d’une dyslexie sévère d’écrire un rapport sur Guerre et Paix. Je ne suis pas la bonne personne pour ce job » – Ross Scott
Comme nous l’avons mentionné plus haut, et cela a certainement dû vous surprendre, PirateSoftware joue à World of Warcraft, aurait travaillé chez Blizzard comme son père avant lui, et est un streamer plutôt apprécié. Tous ces éléments l’ont conduit à rejoindre une guilde regroupant de nombreux créateurs de contenu américains, avec pour objectif le mode Hardcore du jeu. Dans ce mode, la mort est définitive et le personnage est perdu à jamais. Pour résumer, imaginez une téléréalité où des heures de jeu sont constamment mises en péril. Chaque personnage est ainsi cher à sa base de spectateurs et, surtout, est associé à un grand nom du milieu (le streamer en question).
Notre protagoniste et quatre autres streamers se retrouvent alors dans un donjon qui tourne très mal. Des personnages meurent et sont donc perdus, rien de bien extraordinaire si l’on oublie que PirateSoftware a tout fait pour sauver sa propre peau au lieu d’aider son groupe. L’affaire prend une autre tournure lorsqu’il enchaîne avec ce que l’on pourrait appeler « l’inverse d’une excuse », expliquant qu’il était manifestement le plus malin et que, étant très rationnel, il était capable de discerner quand il avait raison et quand les autres avaient tort.
On vous épargne un millier de lignes de drama, mais cette histoire, qui semble à première vue sans lien avec notre sujet principal, est pourtant un levier clé. En devenant un véritable punching-ball, enchaînant les mauvaises décisions et les prises de position hautaines, PirateSoftware a réussi à fédérer des millions de consommateurs de vidéos YouTube et Twitch à travers le monde. Ces derniers se sont mis à suivre des dizaines de personnalités (influentes ou non) sur ces deux plateformes, défendant le mouvement Stop Killing Games en exprimant leur colère commune envers ce créateur déchu.
Cet événement est capital : désormais, vous n’aviez plus besoin d’être un fervent défenseur de la conservation des jeux vidéo pour connaître Stop Killing Games. Il suffisait d’être passablement intéressé par les dramas, par un youtubeur quelconque, ou simplement de subir l’algorithme de vos réseaux sociaux. Par ses actions, PirateSoftware est devenu un gigantesque mégaphone pour l’initiative.
L’initiative Stop Killing Games peut-elle réussir ?
Nous sommes, à la publication de ce papier, à 1 227 454 signatures et vous pouvez signer ici, ce qui indique que le mouvement est en bonne voie pour être étudié.
Il faut néanmoins tempérer nos attentes, car les fausses signatures (comme celles d’Américains via VPN) devront encore être retirées. Pour la suite, que ce soit par des actions législatives ou la réorientation de lois préexistantes, nous aurions déjà un point de départ clé pour entamer des discussions juridiques plus précises et potentiellement de nouvelles lois.
L’avantage de cette explosion du mouvement, c’est que le marché a déjà évolué. Souvenez-vous, en octobre dernier, Steam vous annonçait explicitement que vous n’achetez pas un jeu, mais bien une licence. Vous n’êtes pas propriétaire de vos jeux et vous ne l’avez jamais été, mais maintenant Steam vous le dit et c’est déjà un pas en avant (rendons à César ce qui appartient à César, c’est surtout grâce à une loi californienne adoptée à ce moment-là).
Ubisoft, l’éditeur à l’origine de tout ce tumulte, annonce également un mode hors ligne pour The Crew 2 et The Crew Motorfest. Quelque part, le mouvement gagne déjà du terrain, non pas parce que les studios se sentent contraints, mais parce qu’ils s’y plient d’eux-mêmes, sentant certainement le vent tourner.
Des exemples comme World of Parkour, Spellbreak ou Knockout City prouvent qu’il est possible, par le biais de serveurs privés, de peer-to-peer ou de modes solo, de faire perdurer un jeu rétroactivement malgré les problèmes de serveurs en ligne. Désormais, les développeurs devront penser à la préservation du jeu vidéo. Il ne s’agit plus de la disparition des jeux en ligne, mais bien d’une vente correcte et juste : est-ce un jeu, un produit ? Quel est le plan de secours si les serveurs venaient à fermer ?
Le combat s’annonce rude et l’opposition farouche, comme le mentionne Video Games Europe, les discussions à ce sujet cumulent de nombreux enjeux. Qu’il s’agisse de problèmes financiers, de sécurité ou même de limitations dans la création, le sujet est désormais posé sur la table. Alors, pourquoi ne pas essayer ?
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