On aime tendre le micro depuis quelque temps à Shawn Layden, c’est un fait. Dans les brumes de l’industrie du jeu vidéo, les dernières interventions du sage Layden résonnent (ou raisonnent ?).
Il faut dire que le parcours du bonhomme a de quoi imposer le respect. Shawn Layden, commence sa carrière dans la galaxie Sony dès 1987 à Tokyo. D’abord rattaché au département communication, il est pendant plusieurs années l’assistant en communication de Akio Morita, co-fondateur de Sony. Puis c’est une vingtaine d’années d’ascension vertigineuse jusqu’en 2014 où il brigue la présidence de Sony Interactive Entertainment.
En 2018, pas de côté ou mise à l’écart dorée, Layden « souhaite » se concentrer sur le contenu en prenant sous sa coupe les worldwide studios de la firme pour finalement fin 2019 s’éclipser, épuisé par ce qu’il a semblé être une guerre interne de pouvoir, de différence de vista, notamment avec celle d’un certain Jim Ryan qui préfère voir la maison Sony chauffée au GAAS. On est en décembre 2019 et Shawn Layden quitte la galaxie Sony, de son propre aveu, vidé, rincé, à bout de souffle. Retraite spirituelle.
Mais voilà, Shawn est resté dans toutes les têtes comme l’un des architectes des ‘golden years’ de PlayStation et ce, jusqu’au lancement de la PS5. Il représente toujours, à tort ou à raison, le côté lumineux de la force Sony. Il laissera donc sa place à la pandémie et à Jim Ryan, passé lui depuis, médiatiquement, du côté obscur, et reconnu comme le Vador de l’étoile assombrie PlayStation.
On comprend cependant que Layden n’a pas pour autant définitivement raccroché le sabre quand on apprend en 2022 son introduction comme conseiller stratégique (comprendre un Maître Yoda) chez le géant chinois Tencent. Il est vrai que ses interventions médiatiques sont encore passionnées mais posées, raisonnées et raisonnables, dans ses analyses comme dans ses perspectives.
Aujourd’hui encore, quand Maître Shawn parle, on s’assoit, on met son mobile en mode faucon millenium et on écoute. En fin d’année dernière, à l’occasion du 30ème anniversaire de PlayStation, Eurogamer décroche une longue interview avec le sage et il y a quelques jours, c’est au tour de la chaîne YouTube KIWI TALKZ d’échanger avec lui. Retour sur les éléments saillants de ces entretiens.
“Quand la route n’est pas bonne, changer de route il faut. ”
Layden met donc en avant l’inflation vertigineuse des budgets de développement. Alors qu’à l’époque de la PlayStation 1, un jeu pouvait coûter quelques millions de dollars, les productions AAA actuelles atteignent parfois jusqu’à 400 millions de dollars (dont une grosse part de marketing). Plus le droit à l’erreur : un faux pas et c’est le crash (Concord…). Face à de tels investissements, à ces trop longues années de développement, les gros studios préfèrent minimiser les risques, favorisant ainsi les suites et les productions calibrées pour plaire au plus grand nombre, quitte parfois à ce que la cible ait dramatiquement évolué entre le début et la fin du développement.
Là où l’intervention de Layden prend peut être plus de poids, c’est quand il met le doigt sur un point important de tous ces facteurs : la baisse de la créativité, inéluctable, derrière les derniers mouvements de l’industrie. Moins de créativité, moins d’expérimentation, moins de jeu prototype, moins de « Japan Studios » en somme dans les équipes des grands éditeurs. Le modèle et l’esprit créatif des studios indépendants apparaissent encore une fois comme une évidence. Créer, de nouveau, des jeux plus courts et plus intenses, misant sur la qualité de l’expérience plutôt que sur la grandeur d’un monde sans âme.
“Quand 900 ans comme moi tu auras, moins en forme tu seras. ”
Un autre enjeu soulevé par Layden concerne l’évolution du public. Si le marché du jeu vidéo continue de croître, c’est principalement grâce à l’augmentation des dépenses des joueurs existants, plutôt qu’à l’arrivée de nouvelles générations. Pendant ce temps, les plus jeunes se tournent vers les réseaux sociaux, d’autres plateformes, d’autres expériences offrant un contenu rapide et immersif.
Si le jeu vidéo devient un média stagnant, il risque de suivre le destin de la presse papier ou de la télévision traditionnelle. Layden regrette l’absence de jeux accessibles et novateurs capables de séduire un nouveau public et renouveler la base. À l’exception de Nintendo dont la persistance et la ligne directrice traditionnelle représente aujourd’hui presque une anomalie salvatrice, un équilibre ténu.
“Un Maître Jedi a mieux à faire que de se battre ! Rechercher la sagesse. Trouver l’équilibre. ”
Avec des architectures de plus en plus similaires, la distinction entre PlayStation et Xbox s’amenuise. Microsoft, réduit à un Sega 2025, a déjà amorcé une mutation inéluctable, asphyxié par l’insuccès au niveau mondial de son hardware, un dérapage contrôlé, en annonçant la publication de la plupart de son catalogue identitaire sur PS5 et plus tard sur Switch 2. La rentabilité avant tout face aux investissements gargantuesques de ces dernières années. Sony, plus réticent, commence à peine à s’ouvrir, hégémonie et piédestal oblige, notamment avec l’arrivée de Lego Horizon Adventures sur Switch. On en voit plusieurs qui rigolent. Oui, il est trop tôt. Layden le sait, mais s’efforce de voir plus loin que la prochaine gen.
Shawn Layden envisage un avenir où l’exclusivité des plateformes perdrait de son importance. Il rappelle que l’histoire a déjà vu des guerres de formats (VHS vs Betamax) et suggère que PlayStation et Xbox pourraient un jour collaborer pour établir un standard commun, faisant du jeu vidéo un marché centré sur le contenu plutôt que sur le support. On adhère ou pas, ce n’est pas le sujet. Voir les 3 constructeurs comme des fournisseurs de contenu, voilà une analogie intéressante où PlayStation incarnerait HBO, Microsoft Netflix, et Nintendo Disney. Une vision qui bouleverse le modèle économique traditionnel des consoles. Une révolution certes déjà en marche, incarnée par Microsoft l’agent disruptif du média depuis l’émergence de son Game Pass, mais pas totalement comprise (un euphémisme) par le grand public.
“Difficile à voir. Toujours en mouvement est l’avenir.”
Laissons à présent Shawn Layden à sa méditation et remercions-le. Une morale pour ce cycle de l’industrie ? Tenez, « La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », cela vous dit quelque chose, non ? Durant la pandémie, le secteur du jeu vidéo a connu une explosion sans précédent. Confinement oblige, les ventes de consoles, de jeux et de microtransactions ont grimpé en flèche. Les éditeurs et constructeurs, voyant cette manne financière, ont cru que cette croissance allait durer éternellement. Un peu comme la grenouille du poème, ils se sont mis à gonfler leurs effectifs, leurs ambitions et leurs investissements, imaginant pouvoir définitivement réduire à néant les plus grands secteurs du divertissement.
Mais une fois la pandémie terminée, la réalité a rattrapé l’industrie. Les joueurs sont progressivement revenus à un rythme de consommation plus normal, les coûts de production ont explosé et les studios se sont retrouvés avec des jeux trop chers à produire et trop longs à développer. Ajoutons à cela des investissements qui n’ont pas tenu leurs promesses et des échecs commerciaux de certains AAA qui auraient dû être des succès assurés. Personne ne l’imaginait autrement. Certaines gifles furent magistrales, d’autres sont encore à venir. Les pédales d’accélération depuis 5 ans étaient en mousse. Beaucoup se sont déjà crashés au premier champ d’astéroïdes venu.
Alors quoi ? Retour à la raison ou fuite en avant ? Maitre Yoda ou vieille grenouille post-pandémie ? Shawn lui, visiblement, en a une petite idée… Vous aussi certainement ?
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