Fin 2020, Level-5 fermait ses locaux nord-américains et choisissait de se concentrer exclusivement sur le marché japonais. Après trois ans de silence radio en dehors de l’archipel, le studio nippon revenait sur le devant de la scène lors du Nintendo Direct du 8 février 2023, au cours duquel avaient été annoncés Professeur Layton et le Nouveau Monde à Vapeur, FANTASY LIFE i : La Voleuse de Temps et Decapolice. Ces trois jeux semblaient alors marquer l’avènement d’une nouvelle ère, mais qu’en est-il réellement plus de deux ans après ?
La multiplication de projets
Si nous pouvions nous sentir rassurés en voyant Level-5 annoncer un nouvel épisode de Professeur Layton, le passé récent de la firme ne pouvait que nous inquiéter : entre un jeu Inazuma Eleven annoncé en 2016 et annulé en 2019 avant de partir sur le développement d’un opus intitulé Great Road, lui-même renommé en juillet 2022 Victory Road, une sortie de Yo-Kai Watch 4 cantonnée à l’archipel et le développement d’une nouvelle licence, Megaton Musashi, à l’époque exclusivement au Japon, nous pouvions également observer ces annonces d’un œil plus dubitatif.
Lors de l’édition 2024 du salon Level-5 Vision, le studio japonais se voulait rassurant en diffusant des trailers sur leurs différents jeux annoncés, mais en annonçant également les reports de certains d’entre eux : le nouvel opus de Fantasy Life voyait sa sortie d’octobre 2024 repoussée à avril 2025, le jeu Inazuma Eleven se voyait lui aussi repoussé de 2024 à 2025, et DECAPOLICE se voyait lui repoussé à 2026.
Level-5 profitait également de ce salon pour annoncer deux nouveaux jeux : le premier était un remake du premier jeu Inazuma Eleven, intitulé Inazuma Eleven RE, prévu pour 2026, et le second était Holy Horror Mansion, considéré par Akihiro Hino, le PDG de Level-5, comme le successeur spirituel de la licence Yo-Kai Watch ; avait également été annoncée une présentation dédiée à ce nouveau RPG pour le printemps 2025.
Depuis, Megaton Musashi Wired, le dernier opus de la licence, est sorti le 25 avril 2024 à l’international, Fantasy Life i : La voleuse de temps est quant à lui sorti le 21 mai 2025, et Inazuma Eleven: Victory Road, lui, a vu sa date de sortie d’abord annoncée pour juin 2025 avant d’être repoussée au 22 août. Le nouveau Professeur Layton, lui, est toujours annoncé pour 2025, et nous attendons toujours la présentation sur Holy Horror Mansion.
Une communication internationale insuffisante
Des deux jeux sortis dans nos contrées, aucun n’a eu droit à une édition physique en dehors du Japon, et si cela pourrait paraître anodin car ce n’est pas une entreprise nouvelle que de sortir des jeux vidéo qu’en édition numérique, cela reste néanmoins symptomatique de la stratégie adoptée par Level-5 : le Japon passe avant tout, l’international en paraît presque oublié.
Prenons un autre exemple : Inazuma Eleven: Victory Road se veut, selon Akihiro Hino, comme une expérience vidéoludique ultime jouable partout dans le monde, et l’argument international en est même au centre de la communication ; le jeu sortira en simultané partout dans le monde, et ce dans neuf langues différentes.
Cependant, après la présentation du 11 avril annonçant la date de sortie du jeu, le site officiel a été mis à jour immédiatement pour refléter toutes les informations communiquées ce jour-là… en japonais et en anglais seulement. Pour les autres langues, il a fallu attendre plus d’un mois. Autre point : le vendredi 30 mai est diffusé un after talk contenant les nouvelles annonces sur le jeu, et si des sous-titres anglais et chinois seront disponibles prochainement, la vidéo sera d’abord diffusée exclusivement en japonais.
Nous pourrions également évoquer le LEVEL5 Creative Community Club (CCC), le programme d’ambassadeurs japonais chargés de promouvoir les jeux Level-5 et d’échanger des idées avec les équipes de développement, qui se focalise naturellement sur le public japonais ; la communication entre le Japon et le reste du monde en devient asymétrique. En somme, Level-5 ne semble pas avoir changé d’optique depuis la fermeture de leur filiale nord-américaine.
Level-5 au centre de polémiques
Le vrai problème soulevé par la communication internationale de Level-5, au-delà de son retard chronique, c’est bien la qualité des traductions proposées. Si nous ne nous attarderons pas sur la qualité des traductions présentes dans les jeux en eux-mêmes, qui sont elles de bonne facture, nous pouvons néanmoins soulever la polémique qui a résulté de la traduction du site officiel d’Inzuma Eleven: Victory Road.
Le public avait alors remarqué que certaines phrases étaient traduites de manière trop directe, comme si elles avaient été faites au mot à mot ; ce sentiment s’était renforcé en voyant les traductions officielles historiques existant depuis plus de dix ans effacées : la mécanique des « Esprits guerriers » introduite dans Inazuma Eleven GO s’était alors vue remplacée par son équivalent japonais « Keshin », sans aucune précision, et la mécanique « Armure » s’était vue affublée d’un néologisme, celui du terme « Armurer ».
Level-5 a par la suite confirmé qu’il s’agissait d’un choix délibéré afin d’uniformiser les traductions qui, rappelons-le, étaient précédemment effectuées par des studios externes, sans grande cohérence d’une langue à l’autre. Cependant, le public avait émis la théorie selon laquelle la traduction du site était en vérité une traduction automatique. Si l’on peut légitimement émettre des doutes quant à la qualité de la traduction proposée, d’autant que le site officiel est censé être une vitrine pour le public international, il parait dubitatif de conclure à l’utilisation d’une intelligence artificielle dans la traduction de ces mécaniques. Et pourtant cette remarque ne vient pas de nulle part.
En décembre 2023, Level-5 annonçait utiliser l’intelligence artificielle générative et documentait son utilisation dans certains artworks officiels de ce même jeu. Level-5 présentait alors l’utilisation de l’IA générative dans le design d’une ville futuriste, que l’on pensait à l’époque servir pour Decapolice. Or c’est cette même ville que nous retrouvons en ruines dans le trailer « The Final Specs Reveal » d’Inazuma Eleven: Victory Road. L’utilisation de l’IA pour générer des éléments centraux du décor du jeu semblait alors ouvrir une porte dans l’esprit de l’opinion publique : si Level-5 l’utilise pour la création du jeu, pourquoi ne l’utiliserait-il pas dans sa traduction ?
L’utilisation de l’IA générative a d’autant plus crispé le public qu’Akihiro Hino était nommé président de la Top Game Creators Academy, structure fondée par l’Agence pour les Affaires culturelles japonaise et la Computer Entertainment Supplier’s Association (CESA) afin de former et de mettre en valeur les nouveaux créateurs japonais. Si cette information semble sans conséquence de prime abord, c’est bien le discours d’Akihiro Hino à la cérémonie d’entrée de la TGCA qui a soulevé un certain nombre de réactions : selon Akihiro Hino, l’IA générative est de plus en plus utilisée dans le développement de jeux-vidéo, suggérant alors que l’IA était utilisée, du moins partiellement, dans plus de 80% du code d’un jeu. Selon lui, ces 80% sont écrits par IA avant d’être corrigés par les développeurs humains.
Akihiro Hino a alors continué son discours en indiquant que l’IA trouvait peu à peu sa place dans l’art, la musique et le game design, sans oublier qu’elle permettait d’améliorer l’efficacité au travail. C’est pour cette raison qu’il a conclu sa réflexion en remettant le « sens esthétique » humain au centre des préoccupations : il faut être capable de distinguer les bons éléments, qu’ils soient produits par l’Homme ou par l’IA, et aller au-delà, sans se reposer sur ce qui est produit sans réflexion, pour toujours proposer les éléments les plus poussés, d’autant que les éléments produits par IA ne sont pas à implémenter tels quels, et doivent être corrigés par l’humain.
Cependant, nous pouvons également porter un regard critique sur le discours d’Akihiro Hino : l’IA générative est-elle utilisée naturellement par n’importe quel game designer ou développeur afin d’améliorer l’efficacité, ou est-ce que l’IA générative est utilisée sous l’impulsion des producteurs, qui ensuite se servent de leur présence pour justifier l’intensification de leur utilisation ?
Compte tenu des chiffres de vente actuels de Fantasy Life i: La voleuse de temps, qui font de ce jeu le premier succès international de Level-5 depuis des années après un Megaton Musashi Wired sorti dans l’indifférence, nous pouvons nuancer l’impact des polémiques liées à Level-5 sur le succès de leurs jeux ainsi que du manque de communication à l’international. Néanmoins, le manque de communication à l’international pourrait impacter négativement les ventes de certains jeux beaucoup plus « niche ».
En somme, si Level-5 se vante d’une sortie internationale en simultané dans plusieurs langues pour leurs jeux à venir, force est de constater que Level-5 se concentre principalement sur le Japon ; la stratégie adoptée n’est alors pas à la hauteur des ambitions d’Akihiro Hino : un succès commercial, oui, mais une présence physique encore trop anecdotique. Fantasy Life i: La voleuse de temps sera-t-il le premier d’une série de succès commerciaux retentissants en dépit de la communication de Level-5, ou ne sera-t-il qu’un heureux hasard ?
FANTASY LIFE i : La voleuse de temps – Le retour en grâce de Level-5 ?
Duncan de Barros
Level-5 – Le studio revient sur le devant de la scène occidentale
Loriynn
Professeur Layton – La nouvelle équipe derrière les énigmes du jeu
DracoSH