Nous sommes en 2013 et le studio Creative Assembly est en pleine promotion de l’imminent Total War: Rome II. Un jeu édifié en révolution pour la franchise et dont les trailers montrent de très nombreuses nouvelles mécaniques de jeu ainsi que des unités à l’apparence et au comportement substantiellement améliorés par rapport aux jeux précédents. Sauf qu’à la sortie du titre les joueurs découvriront un jeu différent avec une IA bien éloignée des promesses faites par Julian McKinlay dans une vidéo de promotion passée à la postérité.
Un micro-drama dans l’industrie du jeu vidéo qui va pourtant avoir des répercussions énormes sur Julian, le développeur d’IA de bataille pour le studio britannique est rapidement pointé du doigt, moqué, menacé et humilié par la communauté des fans et des influenceurs sans scrupules.
Dix ans plus tard, Julian McKinlay livre sa version des faits et dénonce un studio mal dirigé, mal managé et, surtout, l’accuse de l’avoir utilisé comme bouc émissaire auprès du public pour justifier le lancement chaotique de Total War: Rome II.
Cette déclaration est écrite à l’attention des joueurs des jeux Total War, mais elle pourrait également intéresser un public plus large de joueurs et l’industrie du jeu vidéo. Il y a dix ans, on m’a laissé devenir un objet de haine pour de nombreux joueurs suite au lancement désastreux de Total War: Rome II, avec un grand impact sur le plan personnel. J’ai été largement blâmé pour les problèmes du jeu et beaucoup pensaient que j’avais été licencié pour incompétence. La vérité est que j’ai dirigé les efforts visant à réparer le jeu et que je me suis battu dans les coulisses pour apporter des changements à la production et à la conception afin que cela ne se reproduise plus – et j’ai quitté l’entreprise lorsqu’il est devenu clair que la direction allait continuer à répéter les mêmes erreurs.
Les joueurs de longue date de Total War reconnaîtront peut-être mon nom, car j’ai été publiquement associé au lancement de Total War: Rome II, un jeu que nous avons sorti en septembre 2013 dans un état largement injouable, ce qui a entraîné une réaction importante parmi les joueurs. J’étais apparu quelques mois plus tôt dans un épisode de leur websérie Rally Point pour discuter du travail que nous faisions avec l’IA de bataille dans le jeu, et cela m’a exposé à de nombreuses critiques sur l’état de l’IA. et le jeu en général.
Il y a même eu un narratif qui a émergé selon lequel le studio ne devrait pas être blâmé pour Rome II ; que tout cela était à cause de moi, un développeur esseulé qui avait été licencié et que le jeu s’améliorerait maintenant que j’étais parti. Je pense que ce récit était en fait assez pratique pour Creative Assembly, et je ne pense pas qu’il soit exagéré de dire que je suis devenu le bouc émissaire des échecs du projet. Je ne prétends pas nécessairement qu’une conversation a eu lieu au cours de laquelle la direction a conspiré pour me jeter sous le bus – il se peut simplement qu’ils n’étaient pas incités à intervenir et à faire ce qu’il me semblait juste, alors ils ont simplement laissé la situation se dérouler.
Julian précise par ailleurs qu’il a eu connaissance d’un précédent similaire, peu après son arrivée au sein du studio. Son prédécesseur aurait été blâmé publiquement sur un forum par un membre du management de CA pour l’état désastreux de l’IA d’Empire: Total War, sorti en 2009. Bien qu’il n’en sache pas davantage sur les conditions de développement de ce jeu, Julian aurait entendu de la part de collègues que ce blâme public était injuste, et que ce comportement de la part de la direction serait à l’origine de nombreux départs volontaires.
Parlons de l’interview de Rally Point. Je pense que la plupart des gens l’ont vu comme suit : voici un développeur qui travaille sur le jeu et qui possède donc toutes les informations privilégiées, alors quand celui-ci sort et qu’il est injouable, il doit savoir qu’il a menti pendant la promotion du jeu. Je suppose que c’est à cela que ressemblait la situation de l’extérieur, mais la vérité est qu’au moment où j’ai donné l’interview, je ne savais pas ce que nous allions expédier. Je pense que les gens qui ne travaillent pas dans cette industrie seront vraiment surpris d’apprendre qu’il est tout à fait possible de travailler sur un projet comme celui-ci et que même quelques mois avant le lancement, nous n’avons pas vraiment une idée claire de ce à quoi le jeu final va ressembler.
Lorsque je travaillais à CA, les jeux Total War n’étaient généralement créés que dans les dernières semaines et mois précédant leur lancement. Ils étaient généralement injouables pendant la majeure partie de leur temps de développement, et Rome II était injouable pendant presque la totalité de cette période. Au moment où j’ai donné mon interview, les pièces étaient encore en train de s’assembler. Je testais principalement l’IA de combat sur des cartes de test spécifiques plutôt que de manière organique dans le jeu lui-même, et je commençais à voir de bons résultats à ce stade, ce qui m’a donné la confiance nécessaire pour parler publiquement de ces améliorations. À ce stade, je ne comprenais tout simplement pas à quel point le projet était en retard ni quels nouveaux problèmes surgiraient pendant que l’équipe essayait de le terminer.
L’article est assez long mais donne un aperçu très intéressant sur le développement de Total War: Rome II, des Total War en particulier et des jeux en général en termes de management de projet. Julian a visiblement à cœur de remettre les points sur tous les i puisqu’il revient sur chacune des nouvelles mécaniques introduites par Rome 2 et à quel point elles ont détruit les bases solides de Shogun 2 et fait apparaître une multitude de problèmes à résoudre en un temps restreint avec des ressources mal utilisées par le leadership et le management de Creative Assembly.
Les dirigeants de Total War semblaient mécontents des commentaires critiques et les traitaient comme indésirables. Il était courant que des décisions importantes soient déjà considérées comme définitives au moment où elles étaient communiquées à ceux d’entre nous dans les tranchées, voire pas du tout.
Le problème avec le leadership était qu’ils ne semblaient pas prendre cette responsabilité très au sérieux. Les concepteurs prenaient régulièrement leurs décisions sur la base de leur intuition plutôt que de leur observation empirique, choisissant rarement de tester ou de prototyper des idées avant de les mettre en production. Des décisions qui auraient dû être mûrement réfléchies semblaient parfois avoir été choisies spontanément au milieu d’une conversation, et lorsque ceux d’entre nous, dans l’ensemble de l’équipe, posaient des questions de base sur la motivation ou la justification d’un choix de conception, nous obtenions rarement des réponses convaincantes ou rassurantes. lorsqu’on daignait nous répondre.
Quant au Post Mortem du lancement du jeu, ce qu’en rapporte Julian est édifiant : les programmeurs auraient été accusés d’être trop « conservateurs » dans la manière dont ils ont essayé d’ajouter toutes les nouvelles mécaniques et que le lancement désastreux était la faute des nouveaux employés du studio, et certainement pas celle de la direction et du management qui ont, après tout, été derrière les succès précédents.
Julian, pour sa part, aurait été accusé par l’un de ses supérieurs de rendre difficile tout collaboration du fait de ses critiques envers le management, ce qui l’a conduit à des convocations auprès de la direction où il dit avoir compris qu’il s’était fait des ennemis trop importants et que sa carrière au sein du studio était désormais condamnée.
Ce point de vue est-il crédible pour autant ? Peu après la publication, de cet article, Will Overgard, un ancien employé de Creative Assembly a corroboré ces déclarations d’une manière qui laisse peu de doute :
Il est difficile de dire à quel point le Creative Assembly de 2024 est semblable à celui de 2013-2015, pour autant la gestion catastrophique de Three Kingdoms, de Pharaoh et même de Total War: Warhammer III laisse à penser que le studio a toujours de profonds problèmes liés à ses équipes dirigeantes. Un notable changement est à souligner cependant, c’est bien le management du studio qui a pris la responsabilité des derniers désastres en décembre 2023 via un communiqué public. Une petite lueur d’espoir qui s’abat sur la sombre forteresse d’Horsham.
De nôtre côté, nous ne pouvons que recommander chaleureusement la lecture de son article qui présente un point de vue très intéressant sur le développement des AAA et, ce faisant, contribuer à réparer une injustice aux conséquences profondes.
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