Nombreux sont ceux qui « jouent » avec les assets d’un jeu pour réaliser courts-métrages, remakes ou parodies de bandes-annonces, ou encore clips musicaux. Les œuvres ainsi produites, comme on l’a appris tout récemment d’un ami, sont intitulées « machinima », un mot-valise contractant les termes « machine », « animation » et « cinéma ». La popularité d’un jeu comme Five Night at Freddy’s doit ainsi beaucoup aux clips illustrés par des captations du jeu. L’un de ces « fanarts » les plus célèbre, un morceau de The Living Tombstone, a même été intégré à la B.O. du film officiel adapté du jeu ! Avec Knit’s Island, le format est poussé encore plus loin.
Le film est en effet un vrai documentaire entièrement enregistré au sein d’un jeu, en « temps réel », sans manipulation des assets. À notre connaissance, une première mondiale.
Dead Inside
Parce que c’est du jamais vu, ça vaut le coup d’œil ! Les trois auteurs de Knit’s Island sont entrés sur les serveurs de Day Z comme n’importe quels joueurs. Et le film sera un montage des captations de leurs parties. Leur objectif est de partir à la rencontre des communautés de joueurs de ce MMORPG post-apocalyptique où il s’agit d’organiser le quotidien quand le monde est à l’arrêt, envahi de zombies.
C’est peu ou prou le setting de The Walking Dead, et les questions que posent le comic-book de Robert Kirkman seront, en gros, celles qui intéressent les documentaristes : quelle société essayez-vous de reconstruire ? Comment se positionne chacun dans un monde sans loi ? Ferez-vous le pari de la violence et du chacun pour soi, ou celui du groupe et de la solidarité ? La comparaison avec la série de B.D. devient même encore plus évidente quand on rencontre un groupe de joueurs qui a établi ses quartiers dans une ancienne prison, et se prépare à une invasion d’autres joueurs…
Ce film consiste donc en un montage de captations des parties des trois réalisateurs (qui tiennent alors aussi le rôle de cadreurs), et, hormis quelques petites secondes à la toute fin du métrage, on verra tout au long des 90 minutes que dure le documentaire uniquement des images issues du jeu.
Cela crée d’abord un sentiment de Vallée de l’Étrange. D’abord parce qu’on est devant un documentaire, et que le « contrat de lecture » qui lie le film et le spectateur rend les images de jeu vidéo presque inopportunes. D’autant que le jeu est photoréaliste, mais son animation, certains motifs répétés géométriquement dans les arbres, et bien entendu les personnages, nous rappellent que l’on n’est pas en prise de vue réelle et « dérangent ».
Mais on s’habituera rapidement, et le dispositif, vrai film qui n’a pas été « vraiment filmé », participera à l’un des sujets majeurs de Knit’s Island : la frontière mouvante qui sépare l’espace virtuel et la réalité.
True Bromance
Au fil de leur pérégrination dans l’univers de Day Z, les trois documentaristes chercheront à entrer en contact avec d’autres joueurs, afin de les interroger sur leurs motivations, leur façon d’appréhender le jeu. On rencontrera ainsi aussi bien des anarchiste pilleurs, tueurs, et un peu trolls, que des pacifistes refusant de prendre les armes (un comportement un brin suicidaire dans ce type de jeu… !).
Les groupes les plus intéressants étant ceux qui jouent depuis longtemps. On croise un couple notamment, qui joue ensemble depuis presque 10 ans, et pour qui Day Z fait réellement partie du quotidien, et est presque aussi réel que le réel. Slug, l’un des deux membres de ce couple, décrit d’ailleurs une scène frappante : alors qu’ils sont, dans le jeu, cote à cote dans une voiture, ils sont en fait IRL également cote à cote dans un vestibule qui leur sert de bureau, assis devant leurs écrans qui tiennent lieu de pare-brise, dans une imitation aussi fidèle qu’involontaire du jeu.
Dans une autre scène, alors qu’un groupe d’amis est assis in game autour d’un feu de camp, l’un des personnages est inactif, ne prend pas part à la conversation, et son avatar semble tomber de sommeil. Un autre personnage vient alors tirer des coups de feu juste à côté lui… Réveillant alors le joueur qui s’endormait devant son écran IRL !
Mais au-delà de ces scènes qui sont surtout symboliques, là où le virtuel s’efface devant la réalité, c’est dans ce qui lie les joueurs. Lors d’une randonnée en quête des limites de la carte (!), l’un des joueurs déclare à ses compagnons que « si une vraie invasion de zombies se déclarait, [il] aimerait les rencontrer IRL, parce qu’[il] sait pouvoir leur faire confiance ».
Ils habitent sur des continents différents, ne se sont jamais vus, mais ils sont liés « pour de vrai ». Et nous aussi, en ressortant du film, bien que nous n’ayons vu que des avatars pas très bien animés, on a l’impression de les connaître un peu, sans pourtant rien savoir ne serait-ce que de leur âge, ou de leur aspect physique.
« Fausses » images, mais vrai documentaire, Knit’s Island, dans un dispositif inédit, nous permet de rencontrer au plus près les joueurs de ce MMORPG survivaliste qu’est Day Z. Au-delà des clichés du joueur troll et puéril qui aime à tirer sur tout ce qui bouge, on découvre tout au long du film des profils touchants, dont la capacité à tenir leur RP force le respect.
Force le respect aussi la présence de véritables moments de cinéma dans le documentaire, malgré les limitations imposées par le dispositif. Certains plans sont hilarants, quand derrière l’avatar d’une maman qui raconte échapper au quotidien grâce au jeu, on aperçoit un personnage se débarrasser d’un zombie à coups de pelle ! D’autres sont poétiques, comme celui sur des arbres numériques qui balancent au gré du vent artificiel, alors qu’une australienne exilée à Berlin évoque que c’est dans le jeu qu’elle retrouve un peu de la nature qu’elle a quitté. Enfin, le film peut aussi se montrer psychédélique, comme quand (probablement via quelques mods), un couple nage dans les nuages, ou un personnage s’éloigne en chantant un vieil air de country, marchant sur l’eau…
On est venu voir une curiosité, et l’on a découvert un grand film. Knit’s Island – L’île sans fin, de Guilhem Causse, Ekiem Barbier, Quentin L’Helgoualc’h vient de sortir en VOD, et paraîtra en DVD le 3 décembre prochain.
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