Dire qu’Ubisoft ne brille pas en ce moment, c’est un euphémisme. Un euphémisme d’autant plus violent que la compagnie elle-même, que les fautes de goût successives et l’absence de talent en management de crise le renforcent. Le dernier exemple en date, nous le relevions dans nos colonnes hier. En amont de sa présentation « Ubi Forward », la firme s’est illustrée de bien triste manière par le biais d’une courte vidéo de son CEO, Yves Guillemot, qui revient, sans grand panache, sur les scandales qui secouent sa compagnie.
Seulement, à observer la situation qui s’envenime à chaque prise de parole de l’éditeur, nous voulons intervenir, non pas pour excuser les fautifs, ni pour trouver des excuses à leurs pathétiques tentatives de noyer le poisson, mais bien pour tempérer la situation et soulever des questions auprès de vous, des questions pour lesquelles, vous comme nous, sommes coupables.
Et pour commencer, il convient de revenir sur le patrimoine de la société française. Ubisoft est, si on regarde les chiffres de la fin d’année dernière, le quatorzième plus gros éditeur de l’industrie du jeu vidéo. S’il a hérité de cette place, il était loin de la revendiquer lorsque en 1984, Michel Guillemot, l’aîné de la fratrie, a ajouté des ordinateurs au catalogue de machines agricoles de l’entreprise de ses parents. Aussi bizarre que ça puisse paraître, la mayonnaise prend et de fil en aiguille, il y ajoute des logiciels puis se met à en éditer. Il n’aura pas fallu 10 ans pour que le pied soit mis à l’étrier, la compagnie se met à la création.
À partir de là, on connaît la suite, Michel Ancel, Rayman, Beyond Good and Evil, de nombreuses adaptations pourries de films français comme Les Visiteurs et l’entreprise finit par jouir d’un rayonnement international. Aujourd’hui, la compagnie a des bureaux sur presque tous les continents. On pourrait limite dire que le soleil ne se couche jamais chez Ubisoft : Hong Kong, Abu Dhabi, Montpellier, Montréal et bien d’autres, et le groupe a un pied bien ancré dans l’imaginaire collectif. Il doit ce coup de poker à une volonté d’innover et aux licences qui ont suivi comme Far Cry, Splinter Cell, The Division, mais encore et surtout Assassin’s Creed, projet gaming devenu depuis multimédia. En somme, un bien joli palmarès !

Maintenant, nous aimerions vous poser un certain nombre de questions. Non pas que nous cherchions à prendre la défense des fauteurs de trouble, de ceux qui harcèlent, blessent ou dénigrent les autres sexes et les pratiquants de diverses croyances, mais nous n’en tolérons pas non plus cette grotesque mise en scène de justice sociale. Oui, on a le droit de boycotter ou d’appeler au boycott ; oui, on a le droit de montrer du doigt quand l’occasion se présente, mais à un moment, il faut lâcher prise. Ubisoft, et Yves Guillemot, ont beau avoir pris leur temps avant de formuler une réponse publique, et l’ont également présenté d’une manière discutable, il faut une logique, et celle-ci se tient.
Une présentation, quelle qu’en soit le contenu ou la qualité, est un moment de liesse, un moment d’excitation. Commencer ou terminer un show en présentant des excuses pour des sujets si graves prend le risque de perdre du monde en route ou de terminer sur une fausse note, une note qui ferait forcément de l’ombre aux projets présentés et qui blesserait toutes les personnes honnêtes qui s’y sont investies cœur et âme pendant des mois, voire des années…
De plus, nous vous voyons, rageux, tous autant que vous êtes, pratiquer cette justice sociale à l’américaine, profitant des erreurs d’une poignée d’élus pour frapper tous les autres. Mais alors, pourquoi ne dites-vous plus rien de Riot Games ? Pourquoi Valorant et League of Legends sont-ils toujours au top des charts (troisième et premier sur PC d’après newzoo.com) ? Avez-vous lâché Fortnite quand la presse a prouvé que les méthodes de travail d’Epic Games étaient irrespectueuses de ses employés ? Pouvons-nous également rappeler à votre mémoire celles de Quantic Dreams avec ses stagiaires ? Les périodes de crunch chez Rockstar ? Ou bien les stress post-traumatiques développés chez NetherRealms Studios ? Sur ces sujets, on ne vous entend plus.

Alors, si jamais vous avez beaucoup trop de temps libre et que vous souhaitez le passer à faire le bien par la justice sociale, regardez dans votre voisinage si des personnes souffrent, prenez plutôt le temps d’améliorer le monde à votre échelle et laissez la justice faire son travail. Ubisoft a mis les personnes incriminées à la porte et va continuer de faire des jeux, bons et mauvais comme c’était déjà le cas avant, et la justice, la vraie, fera payer ceux qui ont commis des méfaits, comme ça aurait dû être le cas depuis le départ. Le reste de l’affaire ne concerne plus que l’éditeur, les fautifs de ces exactions et leurs victimes.
En ce qui vous concerne, libre à vous de vous essayer à leurs prochaines productions, à juger s’ils ont mérité ou non vos deniers, à lutter contre les oppressions à l’encontre des femmes, des minorités, ou à vous tenir aux côtés des faibles et des opprimés IRL plutôt que de cracher à la gueule des compagnies que la presse américaine a dans le viseur, confortablement planqué derrière vos écrans et un pseudo. Nous, personnellement, on n’aura aucun scrupule à prendre du plaisir (ou pas) sur leurs prochaines productions !
Prince of Persia : Les Sables du Temps – Ce sera donc un remake
Watch Dogs: Legion surprend par son système de recrutement
Immortals Fenyx Rising – Inspiré de la Grèce Antique et tant d’autres
Ok, très très bien. J’entend ce que tu veux dire mais maintenant que le dossier est ouvert, maintenant que le problème a été dénoncé, maintenant que les employés qui ont souffert de ses pratiques qui ne devraient plus être peuvent parler, on peut pas justement laisser l’entreprise apprendre de ses erreurs ? Ce qu’on peut attendre d’elle, à la rigueur, c’est de prouver d’ici quelques temps que les conditions ont changé et espérer que toutes les personnes qui ont souffert soient prises en charge et reçoivent dédommagement et justice pour ceux qu’elles ont subi. Et ça, c’est pas nous qui allons le faire.
Si je suis bien d’accord avec le fait de montrer du doigt le disfonctionnement d’une entreprise, de signaler les injustices … Il y a un moment où ce n’est plus de notre ressort et ce moment, ça fait un bout de temps qu’on l’a franchi en ce qui concerne Ubisoft (si on observe qu’on emmerde plus du tout les autres entreprises).
Quant à ce qui concerne les fanions « best place to work » sur les années 2018/2019, si ça constitue en soi une aberration que tu soulèves à juste titre, tu penses pas que le fait qu’ils aient décroché ces prix le soit encore plus ? Ça a un côté tragique et ridicule de savoir qu’une entreprise pourrie dans son sein obtiennent ces prix et j’imagine qu’Ubi n’est pas la seule. Maintenant que le pot aux roses a été dévoilé, maintenant que les langues peuvent se délier, Guillemot doit faire son boulot de CEO, corriger et appliquer un nouveau code de conduite dans sa boîte et nous, prendre nos décisions une fois dans les rayons en achetant ou pas leurs produits.
Note enfin que je n’invite jamais à ignorer le sujet, ni à le cacher sous le tapis mais, pour illustrer ma réponse avec une dernière allégorie : on a tous dans nos familles un type un peu moyen, le cliché de l’oncle un peu déglingué. Si un jour, un voisin l’attrape en train de sodomiser un chien, la pression sur la famille devient lourde. S’il est naturel que le sujet soit aborder, la répétition n’arrange ni le problème et n’accelère pas le processus de correction. Donc un peu d’intimité pour laisser le temps de corriger le problème et laisser le temps à la famille de redevenir fonctionnelle ne serait pas du luxe. Je pense qu’un peu d’intimité permettrait à Ubisoft de faire ce qu’il a à faire pour corriger les problèmes.
Le harcèlement sexuel et le racisme sont 2 problèmes majeurs qui pourrissaient le coeur d’Ubisoft, le problème est aujourd’hui publique, il faut laisser Ubi nous prouver qu’il peut redorer son image ou s’éteindre.
Je te suis 100% sur le fait qu’Ubi prend un peu pour tout le monde. C’est Insomniac qui doit leur être reconnaissant, l’affaire ayant commencé chez eux. Mais l’ampleur des cas chez Ubisoft a un peu éclipsé le reste, et la promo de Mile Morales semble se passer bien tranquillement…
Quant à les laisser tranquille le temps qu’ils règlent leurs soucis, je pense de mon côté qu’il est bon de maintenir un certain niveau de pression, pour être sur que les paroles soient suivies d’actes ! Ce qui ne m’empêchera pas de jouer à Watch Dogs 3…
Ok… Sauf que !
Sauf que « laisser la justice faire son travail », en ce qui concerne les affaires de harcèlement (qu’il soit sexuel, moral…), ce n’est pas aussi simple que ça, les affaires en question étant les plus compliquées à prouver. Pour monter un dossier, les victimes ont souvent besoin de témoignages, qu’ils ont toutes les difficultés du monde à obtenir, les collègues étant souvent eux aussi soumis à diverses pressions, dont celle de risquer de perdre leur emploi.
En ce qui concerne les agressions sexuelles en particulier, là encore, les chiffres montrent que justement, la justice ne fait pas exactement son travail.
Ubisoft a mis les personnes incriminées à la porte. Donc on oublie tout, on se serre la main ? Le souci qu’a montré en particulier l’affaire Ubisoft, c’est qu’ils ne s’agissaient pas tant de problèmes de deux ou trois collaborateurs irrespectueux, mais bien d’une culture d’entreprise, où les éléments jugés les plus essentiels ont tous les droits sur des employés jugés eux subalternes. Foutre Tommy François à la porte ne suffira pas. C’est tout le fonctionnement de la gestion du personnel qu’il faut revoir. Alors oui, il y a eu des promesses. Mais la page « recrutement » du site d’Ubi se vante encore de ses récompenses « Great Place to Work » ou « Best Employers » remportées en 2018 et 2019, alors que les harceleurs de la boite tournaient à plein régime…! Alors les promesses…
Si on peut caricaturer le Boycott et les utilisateurs de Twitter, il faut tout de même reconnaître qu’un bon gros bad buzz sur les RS aura (et c’est regrettable) probablement bien plus de poids qu’une plainte en bonne et due forme d’une victime avérée. D’ailleurs, de nombreuses plaintes aux RH d’Ubi sont restées sans suite, il aura fallu que la parole se libère et se partage sur Twitter pour initier les reportages dans la presse, puis les promesses de changements dans l’entreprise. Alors perso, je ferai partie de ceux qui, depuis mon fauteuil et mon écran, garderont un œil sur ce qu’il se dit et s’écrit sur la boite, et sur ce que deviennent les promesses d’Yves Guillemot.
Enfin, quant à continuer à jouer sans scrupule, là encore, oui… et non ! Certes, j’ai acheté RDR2 ou TLOUII en ayant vent des conditions de travail des employés des studios. Comme je porte de Nike ou achète parfois un t-shirt chez H&M malgré ce que je crois savoir de l’exploitation des travailleurs des pays pauvres par ces compagnies. Un paradoxe que nous sommes nombreux à porter en nous… Mais aussi parce que le monde n’est pas tout noir ou tout blanc, et que des questions assez complexes viennent se glisser derrière ces problématiques. Relocaliser les confections d’H&M en Europe, c’est aussi peut-être priver tout court les employés bangladais d’emploi. Un travail sous payé ne vaut-il pas mieux que pas de travail, dans un pays ou la protection sociale n’existe pas ? La réponse est probablement au-delà de mes compétences. Boycotter efficacement un studio et risquer sa fermeture est-il un service à rendre à ses employés ? Pareil, je n’aurai pas la réponse. Cependant, quand j’ai vu le petit écureuil courir sur les toit du village, au début de TLOUII, je me suis d’abord émerveillé du souci du détail, puis, j’ai eu une pensée pour les gens qui avaient probablement fait des heures sup’ (non rémunérées) juste pour ajouter cet écureuil. « aucun scrupule », pas tout à fait.