Voilà maintenant quelques mois que The Last of Us Part II est sorti sur PlayStation 4. Le dernier-né de Naughty Dog divise les fans de la première heure, comme les joueurs profanes ou tout simplement curieux de s’essayer au jeu le plus attendu de la génération chez Sony. Pour le moment d’ailleurs, l’entreprise japonaise ne communique pas énormément sur les chiffres de vente de ce prétendant au jeu de l’année, voire même de la génération entière, et la dernière update informative à ce sujet remonte à fin juin pour 4 millions de jeux vendus à travers le monde. On imagine bien que depuis, il a dû s’en vendre au moins facilement deux, voire trois millions de plus.
Mais ce ne sont pas les chiffres de vente qui font un bon jeu, et ce ne sont pas non plus eux qui décident de la notoriété d’un titre pour les années à venir auprès du public. The Last of Us Part II aurait dû faire l’unanimité, régner sans partage sur la génération et écraser toute concurrence. Pourtant, il n’en est rien et cela est dû principalement au jeu lui-même, à ce qu’il dit, ce qu’il fait, ce qu’il montre et aux messages qu’il véhicule. À contre-courant, sortant des sentiers battus, The Last of Us Part II divise et soulève bien des problèmes de notre société, mais pas que. Alors s’il le fait sciemment, n’est-ce donc pas pour mieux régner finalement ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous allons explorer ensemble cinq grands axes qui, à notre sens, caractérisent le mieux le jeu, mais aussi les griefs portés à son encontre. Pour l’occasion, nous allons donc concocter un petit sommaire, mais on vous prévient, cet article contiendra quelques spoilers.
Sommaire de l’édito :
La dictature des larmes
Ce premier point est finalement très subjectif et fait écho à ce que proposait le premier épisode. The Last of Us était en effet une œuvre juste dans sa tonalité et sur l’utilisation des sentiments. Ni trop niais, ni trop absolu, le titre avait été minutieusement peaufiné par Naughty Dog afin de proposer une expérience forte émotionnellement. Le jeu était un quasi sans faute en terme d’écriture, faisant monter doucement, très doucement les choses pour arriver à une apothéose finale où tout s’entremêle et où savoir ce que l’on ressent réellement demande une véritable réflexion sur sa propre personne.
The Last of Us Part II est très différent dans son approche. Il s’agit là d’une histoire plus nihiliste et cruelle, dans laquelle on ne suit plus la naissance d’une relation aimante entre deux personnes, mais la destruction de cette dernière et les conséquences qui vont avec. Aussi, il n’est plus question de laisser les joueurs avoir du répit, notre cœur étant sans arrêt stimulé, malaxé, pour que l’on ressente toute la confusion qui habite celui des personnages.
On est ici face à une histoire de vengeance froide et sanglante qui change profondément la psyché des protagonistes, se montrant par ailleurs aussi violente que faire se peut. Naughty Dog ne suggère pas, mais montre bien toute l’horreur de la haine et on assiste alors à différentes tempêtes cycloniques d’émotions qui s’entrechoquent jusqu’à s’éteindre abruptement, par un sourire, souvenirs d’un passé d’amour.
En cela, The Last of Us Part II fait très fort. La qualité d’écriture et la maturité du ton étaient à ce point encore inédites dans le jeu vidéo. Il n’y a pas une seule fausse note dans ce drame terriblement humain qui fait de sa propre réalité l’écho de la nôtre, nous touchant alors en plein cœur, prolongeant même son dessein de désespoir dans un dernier acte triste et fataliste.
Cependant, il y a tout de même quelque chose qui cloche. Pour créer cette confusion sentimentale chez le joueur, Naughty Dog se doit de monter des situations propices à cela, et là intervient un problème de taille. Sur le premier jeu, les différentes émotions que l’on ressentait étaient justifiées et surtout invisibles. Les ficelles narratives censées faire ressentir aux joueurs différentes émotions passaient inaperçues, si bien que notre attachement à l’univers et ses personnages nous paraissait naturel. Or, dans cette séquelle, ce n’est pas forcément le cas.
Il y a de nombreux moments durant l’aventure où l’on devine aisément ce qu’essaie de mettre en place Naughty Dog. On sait alors que le jeu nous demande ici de pleurer, là d’être enragé, ou encore d’être heureux, voire un peu de tout cela en même temps. C’est comme si l’on tentait de nous déposséder de notre propre liberté de penser et de réfléchir à ce à quoi l’on est confronté. Les ficelles se montrent parfois trop grossières, nous sortant instantanément du jeu, avant que la subtilité du propos ne reviennent nous y émerger. Alors, oui, The Last of Us Part II a la plume d’un écrivain virtuose la plupart du temps, mais en fait-il trop au point de frôler l’indigestion ? Est-on obligé de verser une larme quand cela nous est demandé ?
Eh bien, non. Mais il est clair que ce parti pris peut annihiler au bout d’un moment toute émotion liée à l’œuvre et rendre l’investissement difficile. C’est aussi pour cela que certains ont trouvé que le troisième acte était de trop, car ils n’avaient tout simplement plus la patience émotionnelle pour s’y investir et ne comprenaient alors plus les personnages. Beaucoup n’ont d’ailleurs pas compris le revirement de fin qui se veut pourtant être le pic émotionnel du jeu.
Tout est question de justesse dans l’écriture finalement, et The Last of Us Part II est peut-être trop chargé, trop demandeur pour que la conversation qui commence avec les joueurs se finisse toujours comme escomptée par les développeurs.
Joel, l’être aimé
Joel, antihéros par excellence qui n’a jamais été protagoniste de The Last of Us. L’héroïne a toujours été Ellie, et ce, même dans le premier épisode. Joel est un guide, il est le mentor qui enseigne, il est ce qu’Obi-Wan Kenobi fut à Luke Skywalker ou encore ce que Dumbledore fut à Harry Potter. En aucun cas Joel est protagoniste principal de l’histoire, on y suit réellement Ellie, son apprentissage de la vie et sa découverte du monde.
D’ailleurs, ceci est mis en avant lors de la longue séquence où elle supplante son modèle, prenant soin de lui et appliquant son enseignement pour survivre seule. Le DLC Left Behind appuie encore plus cette affirmation.
Ceci étant dit, il nous faut donc contextualiser la relation entre Ellie et Joel. C’est une relation amoureuse. Attention, pas dans le sens où on l’entend généralement, car il ne s’agit pas là de l’amour d’un couple, ni même celui d’une filiation par le sang, mais d’un amour unique qui se définit par la confiance, l’engagement, le courage et la tendresse. Ils ne sont pas amis, pas parents, pas amants (Dieu merci !), ils sont deux âmes en peine qui ont pansé leur cœur ensemble, retrouvant chacun une raison de vivre dans l’autre.
Et cette relation était centrale dans The Last of Us, alors quand le prologue de ce Part II tue froidement et sans scrupule Joel devant les yeux horrifiés d’Ellie, il n’y pas que la jeune femme qui est morte à ce moment précis, il y a aussi toute une partie des joueurs qui, choqués, n’ont pas accepté le sort funeste réservé à Joel. Certains ont d’ailleurs arrêté définitivement de jouer après cette séquence et ont maudit Naughty Dog. Cela est même franchement aller très loin, les gens insultant ouvertement les développeurs, les menaçant même de mort dans leur connerie inexplicable.
Pourtant, la mort de Joel a un sens, elle est nécessaire même. Il est le mentor, le professeur, et dans toutes les histoires de héros (ou presque), ce personnage meurt. Alors c’est certes surprenant tant il est aimé par les joueurs, mais en rien inutile ou raté. C’est cette mort qui conditionne tout le récit et l’évolution d’Ellie, c’est cette mort qui apporte encore plus de profondeur au propos soulevé dans l’oeuvre, c’est cette mort qui rend justice dans cet univers injustement violent. La seule façon dont Joel pouvait mourir était par le sang, car il en avait fait trop couler. Il le savait, elle le savait, elle ne lui restait plus qu’à l’accepter. Chose qu’elle réussit difficilement et que beaucoup n’ont pas réussi à faire.
Par ailleurs, ceci amène aussi à une haine que les joueurs ont vouée à Abby (jusqu’à menacer l’actrice de mort, quelle débilité) et il a été difficile d’accepter pour certains que Naughty Dog humanise ce personnage, la transformant elle aussi en héroïne. L’acte 2 en a surpris plus d’un et là encore, il n’a pas été accepté par tous. Il est pourtant d’une intelligence rare. Le monde n’est pas en noir et blanc, il y a d’autres teintes de couleurs et ce qu’ont fait les développeurs avec Abby, c’est mettre sa haine en parallèle avec celle ressentie par Ellie. Ils ont rendu son combat tout aussi justifié que celui d’Ellie et ont de ce fait cassé les codes habituels et apporté une profondeur supplémentaire au récit.
Long road ahead
La route est longue et peut-être trop longue même dans The Last of Us Part II. Là, il y a deux écoles, ceux qui ont trouvé que oui et les autres que non. En ce qui nous concerne, le troisième acte fut une surprise inespérée qui apportait encore plus de force aux traumatismes vécus par Ellie. Les atrocités qu’elle a commises, vues et créer même, la hantent et notre héroïne souffre d’un terrible syndrome post-traumatique. Amaigrie, malade, elle semble heureuse, mais ne l’est pas, encore profondément marquée par sa vengeance inassouvie et ses actes terrifiants. Elle pense que le seul moyen de trouver rédemption est encore de tuer, tuer celle qui l’a tuée quelques mois plus tôt dans un chalet perché en haut d’une montagne enneigée.
Pourquoi cet acte est-il indispensable ? Parce qu’il est la rédemption d’Ellie et de Abby. La première va finalement sauver la seconde de son triste sort et au moment de la tuer, Ellie, aveuglée par la haine, retrouve une étincelle de vie en elle grâce au souvenir d’un Joel heureux. Elle comprend alors que ce n’est pas de haine qu’ils se nourrissaient l’un l’autre, mais d’amour, et que c’est d’amour que Joel voulait qu’Ellie vive. La seconde est apaisée et devient guide pour quelqu’un d’autre comme le fut sa victime. Un mentor imparfait et violent, mais qui sait aimer et accompagner.
Cette conclusion à l’œuvre d’une Abby qui part en bateau vers son destin et d’une Ellie qui tire une croix sur son passé est forte et juste. The Last of Us Part II traite du cycle de la haine et la prison qu’il créé dans l’esprit de celui ou celle qui en est l’esclave. Ce troisième acte est l’aboutissement de cette thématique et est donc de ce fait obligatoire, même si cela rallonge le récit qui, il est vrai, est long, peut-être trop d’ailleurs pour ceux qui n’ont pas accroché ou compris là où le jeu voulait en venir.
Des thématiques orientées
Ici, on va se montrer concis et catégorique. Naughty Dog est un studio multiculturel, aux personnes de croyances, origines, genres et orientations sexuelles différents. Dans The Last of Us Part II, le studio délivre le message de l’acceptation dans un univers qui ne pose même plus ces questions et où les choses sont ce qu’elles sont. Un gamin transgenre, une femme musclée (qui ne l’est pas d’ailleurs pour faire homme, mais pour imager sa haine envers Joel, son obsession de vengeance ; Ellie, elle, s’amaigrit à cause de cette même raison, il y a un parallèle à faire entre les deux là-dessus), des lesbiennes qui s’assument et qui ont un gosse.
Cela en a fait crier plus d’un. Des joueurs, souvent des hommes, ont insulté encore une fois Naughty Dog, leur signifiant qu’ils n’étaient pas d’accord avec leur vision du monde et qu’ils n’avaient pas à subir ce genre d’idées progressistes à leurs yeux malsaines. Et il n’y a pas de débats à avoir, nous ne sommes pas des bobos bien pensants ou on ne sait quelle caricature, mais ce parti pris, même si parfois maladroit, est tout à l’honneur du studio qui pose là une véritable vision de notre société, parvenant même à briser le quatrième murs en faisant éclater les divisions qui la régisse. Prouvant au passage que les auteurs existent et que toute œuvre est d’auteur, et qu’il est alors normal que sa personnalité, ses idées, son intellect déteignent sur son travail.
De même qu’il n’est pas question d’imposer une idéologie, de laver le cerveau des joueurs, ce genre de bêtises que nous avons lu parfois, mais bien de véhiculer une idée de ce qu’est le monde d’aujourd’hui et d’engager un débat autour de ce dernier. On peut ne pas être d’accord, mais autant l’exprimer calmement et expliquer sa pensée. Le faux procès fait à The Last of Us Part II est ridicule et a au moins le mérite de nous prouver que nos démocraties d’égalités ne sont pas si ouvertes d’esprit qu’on veut bien nous le faire croire. On nous demande de réfléchir à l’évolution de l’humain et non de l’enfermer dans une prison d’immobilisme moral.
Aussi, nous sommes contre toute forme d’intolérance. Les gens vivent leur sexualité et leur genre comme ils l’entendent et ils ont le droit de le revendiquer, c’est à nous de les écouter et pas à eux de se taire. Alors, non, cela ne justifie pas le rejet de l’œuvre ni même les insultes contre les LGBTQ+ ou l’avalanche de mauvaises notes de la part de certains joueurs que le jeu a reçu sur Metacritic à cause de ça.
La division
Vous l’aurez compris, The Last of Us Part II est un choix. La vision d’un studio, d’auteurs, qui ont voulu communiquer le plus sincèrement possible qui ils sont et ce qu’ils ont à nous offrir. Tout n’est pas parfait, mais rien ne l’est et pourtant, ce qu’il reste de cette histoire incroyable est ce sentiment de mal-être une fois le générique de fin lancé. Le jeu n’est pas un conte de fées, ni même une comédie, c’est un drame, une plongée en enfer violente qui est parfois très dérangeant, tant de par son imagerie que de par les idées qui y sont apposées.
Cependant, ce malaise veut tout dire, il est la preuve que l’œuvre est artistique, vraie, car il n’y a qu’un chef-d’œuvre artistique qui peut autant bouger psychologiquement une personne. Cette suite imparfaite est celle qu’il fallait, car elle met en lumière les maux de notre société et du jeu vidéo, média encore jeune qui a du mal à assumer ses prises de positions par peur de perdre une partie de ses consommateurs. Naughty Dog n’a pas eu peur et a assumé, Neil Druckman disant lui-même que le but recherché était de déranger et d’interroger, conscient que la division serait de mise.
C’est courageux et à saluer. Alors oui, The Last of Us Part II divise et oui, il règne. Il règne parce qu’il écrit une page à l’encre indélébile dans le livre d’histoire du jeu vidéo. Il est le premier AAA à assumer ses partis pris politiques et moraux. C’est aussi une leçon de mise en scène, de storytelling, de rythme et de vie. Il est aussi très solide dans tout le reste, du gameplay aux graphismes bluffants. Aucun doute possible, c’est LE jeu de cette génération, mais pas pour tout le monde.
The Last of Us Part 2 – Le mode multijoueur, enfin ?
n1co_m
The Last of Us Part II est prêt à vous mettre à terre avec sa dernière MAJ
Drakyng
Fiche de Perso #3 – Joel, antihéros de The Last of Us
n1co_m