Certains pensent que les meilleurs jeux sont les plus simples à présenter. Dans ce cas, That Night, Steeped by Blood River est probablement très mauvais. On aurait en effet bien du mal à résumer son concept en quelques mots. On aura en fait bien du mal à présenter son concept tout court…
(Test de That Night, Steeped by The River sur PC via une copie acquise par nos soins)
Quel est le fuck ?
Le titre ne vous aura pas trompé (« Cette nuit, trempé par une rivière de sang », en français), on n’est pas face à un jeu habituel. Vous vous êtes peut-être déjà dit, en essayant un jeu, qu’il s’agissait d’un titre bien bizarre. Les Dangangronpa, par exemple, entre point ‘n click, puzzle game environnemental, visual novel et jeu d’enquêtes à la Ace Attorney, sont assez difficiles à classer. Hatoful Boyfriend, dating simulator mettant en scène des pigeons, possède son lot de WTF, sans oublier le cultissime Takeshi’s Castle, adaptation du show télé des 80s de Beat Takesh, titre justement célèbre pour sa capacité à faire tout ce qu’il ne faut pas faire…
Mais avec That Night, Steeped by the River, on atteint le sommet de la pyramide du chelou ! S’il fallait le classer dans un genre, on tenterait périlleusement de le ranger quelque part entre walking sim et puzzle game environnemental. Le scénario ? Encore une question épineuse.
Des pixels et des rimes
Le jeu est introduit sur la page de son auteur, Taylor Swietanski, par un long poème énigmatique :
please doctor please
waiting for your call
wicked won’t be alone
flowered road-side
left penny-eyed
comes down hard
worry on your head so you can’t eat
pill drown drench
remedy, bloody sea
ripping out old wallpaper, flowered
we all sign the book […]
(S’il vous plaît, Docteur, s’il vous plaît / j’attends votre appel / les méchants ne seront pas seuls / un bord de route fleuri / un regard en coin, suggestif / plus dure sera la chute / tant de soucis que tu ne peux même plus manger / noyé sous les pilules / remède, mer sanglante / un vieux papier peint fleuri, déchiré / nous signons tous le livre[…] – traduction approximative par la rédaction !)
Le livre que mentionne le poème est probablement le registre que l’on signe en arrivant à l’hôtel. Un hôtel que ne renierait pas David Lynch, époque Twin Peaks. C’est l’un des rares éléments scénaristiques qu’on saisira assez aisément. L’aventure tourne en effet autour du lobby d’un drôle d’hôtel dont on visitera les chambres. Pour le reste du poème, un Docteur, des pilules, des soucis… Psychose ? Dépression ? Un désordre mental expliquerait en tous cas ce qui s’affiche à l’écran.
L’hallu
Dans un format 4/3 citant le siècle précédant, That Night, Steeped by Blood River affiche non seulement une basse résolution très rétro, mais aussi un style graphique tout en glitches et autres artefacts, habillant une 3D low-poly hallucinante, au sens littéral.
Le titre se joue à la première personne, et consistera à visiter les chambres de ce mystérieux hôtel. Si quelques énigmes traditionnelles émaillent le chemin (comme un Simon, ce jeu électronique de mémoire des années 80), le gameplay consistera surtout à découvrir où aller, et ce qu’on peut y faire.
Chaque chambre ramène irrémédiablement au lobby, mais les progrès ouvrent l’accès à de nouveaux endroits. Graphiquement, l’aventure est une hallucination permanente, comme un trip au LSD, dans laquelle on reconnaîtra quelques éléments graphiques un peu plus intelligibles, comme cette voiture encastrée dans le mur de la première chambre, ou la maison de style colonial qui donne sur un étrange jardin…
Des éléments qui, mis bout à bout, pourraient permettre de reconstituer une narration ? Mais là n’est probablement pas le but du jeu. Tout comme le gameplay n’en est pas non plus l’élément central. Sans être « facile » (on se perd souvent), le jeu ne représente pas de réel défi. C’est avant tout l’expérience esthétique qui compte ici.
Le coup du voyage qui prime sur la destination. Quand certains se posent encore la question (un peu idiote, pardonnez-nous…) de savoir si le jeu vidéo est bien un art, on pourrait se demander ici si cette œuvre d’art est bien un jeu vidéo.
Si vous souhaitez travailler sur le sujet, le jeu est mis à disposition à prix libre (et donc potentiellement gratuit, même si on ne saurait que trop vous enjoindre à le payer, quelle que soit la somme) sur la page itch.io de son auteur.
Walking simulator vintage, point ‘n click cru, ou véritable trip numérique à la façon de ceux qui étaient à la mode début 2010 avec les e-drugs (si, si, ça a existé !), That Night, Steeped by Blood River est un peu tout cela à la fois. Une expérience particulière, essentiellement esthétique, qu’il est compliqué de juger à l’aune de critères propres à l’industrie vidéoludique.
Cependant, sa mise à disposition par l’auteur permettra à tout un chacun de découvrir le titre qu’on peut, a minima, qualifier de radicalement original.