Secret Door est un studio flambant neuf, né sous l’égide de Dreamhaven, un éditeur lui aussi tout juste arrivé sur le marché. Si ce duo de noms encore peu connus peut paraître anodin, un détail attire rapidement l’attention : Mike Morhaime. L’ancien PDG de Blizzard Entertainment n’a pas fait les choses à moitié. Pour marquer le coup, il a organisé le Dreamhaven Showcase, un événement d’envergure qui a même fait appel à Geoff Keighley en personne pour dévoiler les quatre premiers jeux de l’éditeur, dont celui qui nous intéresse aujourd’hui : Sunderfolk.
Le projet se présente avec une promesse intrigante : “Redécouvrez les soirées jeux ensemble !” Car oui, au-delà d’inaugurer un catalogue, Sunderfolk se positionne d’entrée comme un jeu hybride, mêlant plusieurs influences. Un pari audacieux pour débuter une carrière dans l’industrie.
Nous nous sommes retrouvés un peu perplexes au moment d’évaluer le titre. Oui, c’est un jeu vidéo, et pourtant, c’est avec un prisme de jeu de société que l’analyse s’impose. Sunderfolk ne cherche d’ailleurs pas à le dissimuler : vendu autour d’une cinquantaine d’euros, jouable à plusieurs avec une seule copie, et alternant phases d’action et de discussion entre joueurs, il se rapproche davantage d’un Descent avec application mobile que d’un Demeo tout numérique. Reste à savoir si cette approche justifie vraiment de ranger les dés.
(Test de Sunderfolk sur PC réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Père Castor…
Arden est en danger. Le village baigné de lumière, nourri par les racines de l’arbre de vie, est soudainement assiégé par des ogres. Incarnant les habitants des Sunderlands, chaque joueur saisit son arme et se lance dans une quête pour reconstruire le village. L’ambiance, résolument enfantine, est magnifiquement soutenue par des portraits sympathiques et un travail de doublage impressionnant, malgré une seule voix pour l’ensemble du jeu. Comme si on nous racontait une histoire, chaque interaction a le potentiel de provoquer un sourire, et l’ensemble est conçu pour offrir un moment agréable et plein de charme.
Don’t you guys have phones ?
Pour démarrer une partie, il suffit d’une copie du jeu sur Steam ou console, et de quelques téléphones. Un QR code à scanner, et chacun peut rejoindre la session grâce à une application dédiée qui transforme le mobile en manette. Une formule simple et astucieuse, qui évoque immédiatement les soirées jeux de société entre amis. Sunderfolk se joue jusqu’à quatre participants, que ce soit en local ou à distance via un stream Discord, le jeu prend tout son sens à plusieurs.
Chaque joueur choisit un personnage parmi six, tous dotés d’une identité forte et d’un style unique pour aborder les situations. Sur ce plan, Secret Door tient ses promesses : le character design est soigné, et les rôles se complètent efficacement, peu importe la composition de l’équipe.
La manière dont votre groupe affronte les défis dépendra largement de votre composition : une équipe emmenée par le Berzerker Ours n’agira pas comme celle guidée par le Barde Chauve-Souris. Chaque personnage dispose de son propre ensemble d’outils, matérialisés par un deck de cartes unique qui définit ses actions et son style de jeu.
L’expérience de jeu se divise en deux grandes phases qui structureront votre soirée. La première, la phase de Mission, vous plonge dans un jeu de plateau traditionnel avec des mécaniques que nous détaillerons plus loin. Ensuite, une phase de discussion vous permet de vous immerger dans Arden, un village baigné de lumière dans lequel les interactions sociales et les décisions narratives prennent le relais.
La phase de discussion et de vagabondage se déroule sur les téléphones des joueurs, offrant ainsi une petite pause entre les missions. Chacun peut en profiter pour avancer à son propre rythme, que ce soit pour améliorer ses relations avec les habitants d’Arden, contribuer à la reconstruction de la ville et débloquer des améliorations, acheter des objets utiles pour les missions à venir, ou encore réorganiser son personnage pour préparer les événements à venir. Cette phase permet une certaine liberté et personnalisation avant de replonger dans l’action.
Les missions constituent le cœur du jeu, là où l’action prend toute son ampleur. Sur l’écran principal, les joueurs utilisent leurs téléphones pour sélectionner et jouer des cartes, observer les effets de leurs choix, et ce qui est encore plus impressionnant : ils peuvent diriger leurs mouvements et attaques avec une fluidité étonnante. Cette dynamique permet une immersion complète et un contrôle précis, rendant chaque décision stratégique encore plus engageante.
Gloom ou Dream ?
Le système de jeu de Sunderfolk s’apparente donc fortement à celui d’un jeu de société informatisé, oscillant entre une fluidité agréable et une certaine confusion quant à l’hybridation de ses mécaniques.
Aucun ordre de tour n’est imposé aux joueurs, qui décident eux-mêmes qui commencera en glissant la carte qu’ils souhaitent jouer vers le haut. Cette carte déterminera ensuite, de haut en bas, les actions possibles. Elle inclut généralement un déplacement et une interaction, que ce soit une attaque, l’application de malus/bonus, ou des interactions directes avec l’environnement. Chaque ligne de la carte est entièrement passable, mais il est impossible de revenir en arrière.
Il est également possible d’utiliser un des objets en votre possession pour ajouter quelques options supplémentaires à votre prise de décision. Une fois que tous les joueurs ont joué leur carte, c’est au tour des ennemis d’agir, en suivant des règles préétablies, connues à l’avance.
Les options de personnalisation du style de jeu, bien que limitées au début de la campagne, s’accumulent au fil du temps pour former un ensemble solide, élargissant ainsi considérablement le spectre des possibilités.
Après quelques heures de jeu, il vous sera possible de modifier vos armes pour leur ajouter des actions supplémentaires qui se déclenchent sous certaines conditions. Par exemple, le Berzerker pourra charger et infliger des dégâts à un ennemi qui a été blessé dans un rayon de 3 cases. Ces petites mécaniques « et si, alors » créent des synergies intéressantes et rendent le travail d’équipe particulièrement gratifiant.
Beep Boop I am a boardgame
Le format informatisé de Sunderfolk permet une grande variété de bonus et malus, là où un jeu de société traditionnel aurait dû s’appuyer sur un surplus de matériel et une charge cognitive accrue. Cela représente souvent un avantage, mais cela peut parfois devenir un peu chaotique, notamment en fonction des personnages sélectionnés et des monstres rencontrés.
De plus, le jeu hérite de certaines problématiques typiques des jeux de plateau, des aspects souvent tolérés par les joueurs du genre. On peut ainsi constater une certaine répétitivité sur la durée, comme devoir jouer la même carte pendant cinq tours consécutifs, ou bien des moments de pause où l’attente de la réflexion des autres joueurs peut créer des temps morts.
Ces derniers peuvent manquer une session de jeu sans que cela n’ait d’impact sur le déroulement de la partie, car aucun retard ne s’accumule d’une session à l’autre. Cependant, si vous souhaitez ajouter un cinquième participant, il sera nécessaire de recréer une nouvelle partie ou d’attribuer à ce joueur un personnage déjà utilisé par un autre joueur.
Nous admettons volontiers que ce défaut est mineur et qu’il ne touchera pas un grand nombre de groupes de jeu. Cependant, lorsque Secret Door nous annonce entre 20 et 40 heures de jeu pour terminer une campagne, il faut reconnaître que l’idée de devoir tout recommencer simplement pour ajouter un joueur à la partie peut devenir un véritable problème. Ce genre de contrainte, est d’autant plus frustrant lorsqu’on considère que dans le médium physique, ce problème est facilement contournable.
Sunderfolk est une expérience enchanteresse qui séduira petits et grands (à condition, toutefois, que chacun dispose d’un smartphone). C’est une réussite sur presque tous les plans : le gameplay se montre engageant, le scénario, bien que classique, tient parfaitement son rôle, et la technique, souvent délicate dans ce type d’hybridation, s’avère étonnamment fluide et fonctionnelle.
Si le titre de Secret Door n’est pas sans défaut, il faut reconnaître qu’il parvient avec une certaine adresse à raviver un sentiment que beaucoup pensaient disparu : celui de la convivialité partagée autour d’un jeu. Peut-être est-ce là, au croisement du numérique et du carton, que se dessine l’avenir du jeu de plateau ?