Mis en avant par un trailer intrigant durant le récent Summer Horror Game Fest, Madison est finalement arrivé sur nos consoles, après deux reports successifs. Considéré comme un successeur spirituel de P.T., sa dernière bande-annonce aura su aguicher les amateurs de jeux d’horreur. Profitant de la hype actuelle pour le genre, Madison se démarquait de la concurrence, dès ses premières images, par son esthétique léchée et son ambiance pesante.
Dans le jeu, nous incarnons Luca, un adolescent de 16 ans enfermé dans la maison de ses grands-parents, hantée par un démon qui parviendra à prendre ponctuellement possession de son corps. Bravant sa peur, surtout parce qu’il n’a pas d’autre choix, notre protagoniste va devoir fouiller cette maison à la recherche d’indices pour comprendre d’où vient ce démon, et détricoter par la même les liens qui l’unissent à sa famille.
Une histoire certes commune, mais l’horreur a rarement brillé par son scénario, et ce n’est pas vraiment ce nous attendions de Madison. Ce que nous voulions, c’était ressentir ce frisson glacial au moindre grincement de portes, subir le malaise de l’ambiance sordide d’une demeure que nous traverserions à reculons, et sentir le souffle presque palpable des esprits dans notre nuque. Alors, ce jeu aura-t-il instillé la peur en nous ?
(Test de Madison sur PlayStation 5 réalisée via une copie fournie par l’éditeur)
Les mécaniques de l’horreur
Dès les premiers instants du jeu, la répétitivité de certaines mécaniques nous a marqués, en mal. Une des premières que vous constaterez tient dans des sons en boucle, utilisés à outrance, à l’image de cette porte martelée au même rythme durant TOUT LE JEU.
Une autre, également présente pendant la totalité de l’aventure, est cette vue à la première personne au mouvement titubant, parfaitement reproduit à chaque pas et que nous pourrions décrire en un mot : vomitif. Ou peut-être juste une idée de la folie by design.
https://twitter.com/MADiSON_Game/status/1552050963166511104
Une dernière – c’est cadeau ! – tient à la simplicité des énigmes durant la première moitié de l’histoire (je trouve un objet A, il me servira avec l’objet B dans quelques instants), aux antipodes de l’absurdité incompréhensible et de la lourdeur de celles de la seconde moitié (l’énigme des horloges nous aura laissés perplexes). Voici une sélection, nullement exhaustive, des multiples raisons qui nous ont amenés à nous poser cette question : faut-il voir en Madison un jeu expérimental tenant plutôt de l’éloge de la médiocrité ?
Cette critique est une invitation à ne pas chercher la réponse à cette question par vous-même, tant ce jeu n’aura en aucune façon su stimuler notre intérêt ni notre intellect pendant les quelques heures qu’il nous aura fallu pour le terminer. Mais si vous tenez malgré tout à vous faire du mal, nous nous devons de vous préparer aux autres aspects du jeu qui lui portent préjudice.
Un jeu à l’ouest des codes du genre
Bloodious Games définit Madison comme un « jeu d’horreur psychologique à la première personne». Permettez-nous de vérifier cela ensemble. À la première personne, nous sommes d’accord, la caméra nous l’aura confirmé malgré son roulis permanent.
Quant à l’horreur, c’est vrai, elle est bien présente dans le gameplay proposé. Certes, il faut admettre que le travail sur l’ambiance est plutôt réussi. Quand bien même certains éléments décoratifs sont réutilisés un peu partout (les tableaux, les horloges,…), la découverte des différents recoins de la maison est un des rares points appréciables du jeu. Malheureusement, en dehors de cet aspect esthétique, l’horreur n’est pas au rendez-vous.
Le scare jump est, tristement et de façon maladroite, la seule mécanique du genre utilisée pour faire peur. Le démon qui vous pourchasse apparaîtra ainsi de façon complètement aléatoire, partout dans la maison, sans venir appuyer un quelconque moment scénaristique important, ou casser un rythme en berne.
Encore une fois, la répétition est délétère au jeu, et cette utilisation inadéquate des scare jumps vient simplement souligner une conception fainéante (ou trop rapide ?), donnant à ces visions un effet tenant plus de la surprise gratuite que du malaise réfléchi.
L’impact de la mort est lui aussi complètement raté. Dans un jeu d’horreur, vous avez normalement peur de mourir : soit parce que c’est souvent synonyme de scène sanglante et gore au possible que vous voulez éviter, soit parce qu’elle impliquera d’être à nouveau confronté aux épreuves que vous avez surmontées depuis le dernier checkpoint.
Ici, ce ne sera jamais le cas, car cela ne peut vous arriver que dans les confrontations face au boss, et que vous réapparaîtrez (trop rapidement pour la digérer) quelques instants avant celle-ci si vous succombez. Mourir ne fait donc pas peur, mais agace, parce que ce sera souvent lié à un déplacement rapide du boss, combiné à une impossibilité de vous servir deux fois de suite de votre « arme », un polaroid maudit avec lequel vous ne pourrez prendre qu’une photo toutes les dix secondes.
Quant à l’impact psychologique, il est nul. Dur de se plonger dans cette histoire quand le doublage est soporifique de façon générale, et que le personnage principal, notre cher Lucaptain Obvious ne fait qu’énoncer ce que nous voyons déjà à l’écran. « Serait-ce… des médicaments ? », « La porte vient de s’ouvrir… », « Il n’y a plus de lumière ». En faire un jeu muet aurait été pour le mieux, tant ces lignes sont vite horripilantes.
Et ce n’est pas le scénario, écrit probablement par le responsable des dialogues, qui viendra sauver le jeu. Pire, à certains moments, comme pour nous obliger à suivre le récit, le personnage est tout simplement coincé dans une zone de jeu pendant plusieurs minutes, le temps qu’un enregistrement audio détaillant des événements passés se termine. La pire des façons de proposer une narration : de force.
Cryptique au début, vide à la fin, l’histoire rate le coche. Jusqu’à cette scène finale complètement inutile, glauque au possible, et n’amenant rien au propos. Toutefois, si comme nous vous êtes resté devant le bref générique de fin, sachez que c’est à ce moment-là que notre opinion sur la valeur du jeu a changé.
Un rendez-vous manqué, mais une première fois louable
Car il y a un élément qui nous manquait avant de nous lancer dans Madison : l’historique du studio argentin derrière le jeu, Bloodious Games. Anciennement appelé Nosebleed Games, celui-ci est constitué uniquement de deux membres : Alexis di Stefano, le fondateur, et David Lovera, lead programmer.
Madison est l’aboutissement d’un projet entamé en 2016, et dont la première démo fut disponible un an plus tard sur Itch. Les premières images du site d’Alexis di Stefano démontrent le talent du jeune homme âgé de 22 ans aujourd’hui, ce qui signifie qu’il n’avait que 16 ans au début du projet ! Alors oui, le jeu est loin d’être parfait, et tout le monde n’est pas Lucas Pope, mais on ne peut qu’admirer l’investissement des deux hommes, et le résultat pour un premier jeu.
En l’état, leur jeu est vendu entre 35€ et 40€ selon les plateformes, ce qui reste un prix qui nous paraît trop important pour son rendu final. Qu’à cela ne tienne, vous ferez une bonne action en soutenant ses créateurs, qui restent à l’écoute des joueurs et continuent de travailler sur le jeu pour corriger les défauts qu’on leur remonte.
Nous espérons que ce premier projet, globalement encensé par les joueurs, leur donnera l’envie et les moyens de propulser leur studio dans une nouvelle dimension. Car ce qui aura probablement manqué à Madison, ce n’est pas la qualité technique de ses créateurs, mais l’expérience des codes du genre. Et, vu l’implication de ses créateurs, nous n’avons aucun doute que leur prochain jeu sera d’une toute autre qualité.
Mélangeant lourdeur de gameplay et difficulté, surprise avec horreur, c’est dans l’esthétique de Madison que vous trouverez son seul intérêt. Le jeu n’en reste pas moins l’aboutissement du travail colossal d’uniquement deux individus, dont ce premier projet aura démontré le talent.
Du surplace pour l’horreur, mais un pas de géant pour ces jeunes développeurs.