À peine un an après la sortie de l’excellent Yakuza: Like a dragon, septième épisode canonique de la saga et nouveau départ pour le titre, les studios Ryu Ga Gotoku nous proposent déjà un second épisode pour leur spin-off, Judgment. Intitulée Lost Judgment, cette suite nous permet de retrouver l’agence de détectives Yagami, toujours basée à Kamurocho, la ville dans laquelle on évolue depuis les tout premiers jeux Yakuza, ainsi que les mécaniques de beat’em all désormais attachées à la série (les Yakuza ayant désormais adopté les combats au tour par tour).
Après un Yakuza: Like a Dragon célébré par la presse et les joueurs, on attend beaucoup de Lost Judgment. D’autant que ce sera très probablement le dernier titre de la licence dirigé par son créateur, Toshihiro Nagoshi, qui devrait quitter SEGA pour NetEase…
(Test de Lost Judgment réalisée sur Xbox Series X à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
L’âge de raison
La décision de Nagoshi de quitter SEGA ne devait pas avoir été prise pendant le développement du jeu. Rien, en effet, dans le titre, ne semble figurer un au revoir. Au contraire, cet épisode est celui de la maturité. La licence a trouvé ses marques et son ton, et semble avec cet épisode s’installer pour de bon aux côtés de la saga principale Yakuza, à laquelle Lost Judgment reste rattaché, tout en affichant ses différences.
Dans le gameplay, d’abord, puisque Yakuza a pris avec brio le virage du tour par tour, tandis que les aventures de Yagami conservent les mécaniques de beat’em all. Mais au-delà du combat, Lost Judgment entérine des éléments de gameplay propres à sa série : filatures, observation et recherche d’indices, hypothèses… On est là pour jouer au détective, et entre deux bagarres, le titre ne l’oublie pas.
Dans le ton, aussi. Les jeux Yakuza sont connus aussi pour leur capacité à passer d’une séquence très sérieuse à l’absurde le plus total, d’autant plus dans Like a Dragon, avec la naïveté et la grandiloquence de son héros, Ichiban Kasuga. L’humour et les missions secondaires décalées seront bien évidemment de la partie, mais beaucoup moins dans l’absurde et le grand guignol pour conserver un ton noir qui va particulièrement bien au polar.
Public averti
Ce dernier épisode aborde en effet des thèmes très graves, et se montre de façon générale assez sombre. L’histoire commence au tribunal, où Akihiro Ehara doit répondre à des accusations d’agression sexuelle. Il a en effet été filmé par de nombreux passants en train de s’en prendre à une jeune femme dans un train. Mais à peine sa culpabilité annoncée, il fait une déclaration au tribunal : un corps va être retrouvé à Ijincho, un quartier de Yokohama.
Le corps, c’est celui de Hiro Mikoshiba, un professeur qui avait été accusé d’harceler le fils d’Ehara, le poussant alors au suicide. Le meurtre a donc tout d’une vengeance. Mais comment, puisque le principal suspect vient d’être reconnu coupable d’un délit qui s’est produit à des kilomètres de là ?
C’est ce mystère qui constituera l’enquête principale de Lost Judgment. Ainsi, Yagami s’immiscera dans la vie du lycée où Mikoshiba exerçait avant de disparaître, où il viendra aussi en aide à divers lycéens. L’occasion d’envoyer un petit clin d’œil à Persona à travers un thème musical qui ne pourra que faire penser à la B.O. de la série d’Atlus, mais surtout l’occasion de mini-jeux rigolos, comme les entraînements avec le club de danse, qui prennent la forme d’un jeu de rythme, mais aussi (et surtout) un moyen d’aborder des thèmes plus graves, comme le suicide, le harcèlement scolaire ou même la prostitution adolescente.
L’assassinat de Mikoshiba, auquel on assistera a posteriori, est extrêmement violent et vient placer le jeu directement sur l’étagère des PEGI 18. D’autant plus que cette violence n’est pas gratuite, mais s’inscrit dans un climat de souffrances pour plusieurs personnages (victimes de harcèlement, parents endeuillés, témoins impuissants…), qui fait directement référence à la réalité de certains phénomènes de société. « Au Japon, trois cents enfants mettent fin à leurs jours chaque année », nous explique un personnage. On voit bien ici comment les missions secondaires un peu décalées, comme celle où l’on promène un chien détective qui renifle des pistes, viennent désamorcer la tension importante du scénario principal.
On voit aussi comment le jeu est également un authentique polar, au sens qu’on donne au roman noir du même genre, dans lequel l’implication de l’objet social est au moins aussi importante que l’enquête à résoudre.
Spin: on / Spin: off
Si Lost Judgment s’est définitivement trouvé un ton, il a aussi su se forger une identité qui le place non pas à part, mais aux côtés de Yakuza. Rien n’est nié, ni renié, au contraire, les références à la saga principale sont permanentes, au clan Tojo, par exemple. Et puis le jeu se déroule en grande partie à Yokohama, dans le quartier de Ijincho où Ichiban Kasuga s’était réfugié dans Yakuza: Like a Dragon. On retrouve avec beaucoup de plaisir la carte et les lieux de cet épisode qu’on a parcourus plusieurs dizaines d’heures avec Ichiban, magnifiée par le passage à la génération actuelle.
On pense à la stratégie d’Ubisoft, qui recycle les cartes des Far Cry pour des épisodes en forme de hors-séries (Primal sur la carte de Far Cry 4, New Dawn sur la carte de Far Cry 5). Sauf que Lost Judgment n’est pas un épisode au rabais ou une sorte de gros DLC de Yakuza 7, mais une véritable aventure. La réutilisation de la carte permet d’inscrire le jeu dans un cadre, et n’est pas simplement une astuce pour économiser du temps ou des ressources !
Lost Judgment affirme ici son identité, et le chemin qu’il prend vis-à-vis de la saga mère. Et le seul petit reproche qu’on pourrait lui faire, c’est qu’en renforçant ainsi ce qui fait sa particularité, il prend le risque de se répéter. Lost judgment manque peut-être d’un peu de surprise, mais c’est un défaut qui est bien enfoui sous un amas compact de qualités !
Avec une écriture maîtrisée, un ton adulte qui sait aussi aborder des sujets graves sans pour autant oublier d’être fun, Lost Judgment s’impose comme un grand jeu, et une licence sur laquelle il faut compter. Le titre a réussi à s’extirper de la saga Yakuza et de son statut de spin-off sans rien renier de ses origines.
L’avenir n’est pour autant pas tout tracé pour un éventuel Judgment 3, car si le départ de Toshihiro Nagoshi se confirme, la saga de Kamurocho devra se poursuivre sans lui, qui l’a créée, même imposée, à une époque où son succès était loin d’être acquis, surtout à l’international. Sans compter les difficultés de négociations que SEGA a pu rencontrer avec Takuya Kimura, qui prête ses traits à Yagami. Il faut donc profiter à fond de cet épisode particulièrement réussi, en se disant que c’est peut-être aussi le dernier ; ce qui donnerait un tout autre sens au titre du jeu…