Dans l’ombre des fabriques à héros que sont Marvel et DC Comics, une autre maison d’édition de comics aura su marquer les esprits par certaines de ses créations. Initialement spécialisée dans les adaptations de films (Aliens, Predator, Star Wars, et même Godzilla !), Dark Horse Comics aura ensuite publié et révélé de très grands auteurs avec des créations originales : Frank Miller (Sin City, 300) Neil Gaiman (et sa récente adaptation d’American Gods), mais aussi Mark Mignola et son anti-héros Hellboy. Chose assez rare pour le préciser, l’auteur et dessinateur a participé à la réalisation de la dernière adaptation vidéoludique de « Brother Red »: Web of Wyrd.
Après une traversée du désert notable, et le raté de sa dernière itération cinématographique (qui nous aura fait regretter l’inestimable association Del Toro / Pearlman), c’est bien avec la sortie d’un jeu vidéo qu’Hellboy fête ses trente ans. Reporté à plusieurs reprises, c’est finalement dans le plus grand des silences, hormis quelques interviews à la Gamescom, que Hellboy: Web of Wyrd est finalement sorti le 19 octobre.
Cette absence de visibilité, on peut toutefois la comprendre étant donné la jeunesse et la taille modeste de l’équipe d’Upstream Arcade. Tout le monde ne peut pas avoir la puissance marketing d’Insomniac Games… L’ambiance diablement réussie des récents trailers nous laissait toutefois espérer que, dans la veine d’Hades, les enfers pourraient à nouveau briller dans un roguelite.
(Test de Hellboy: Web of Wyrd réalisée sur PC à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Une fidélité d’enfer
Hellboy: Web of Wyrd propose une histoire originale, et des personnages inédits, en dehors de notre héros fétiche. Et pourtant, tout nous a semblé familier tant l’adaptation est fidèle aux comics.
On a l’impression, dès les premiers images, de se promener dans les pages d’un nouveau chapitre de Red (les cinématiques étant volontairement constituées de cases figées), se déroulant à une période oubliée des comics : les années 80. Incontestablement, la présence de Mike Mignola a été bénéfique au processus créatif d’un studio déjà constitué de passionnés.
Hellboy est convié par le BPRD (Bureau for Paranormal Research and Defense) à enquêter sur la disparition d’un de ses membres en Argentine, dans un étrange manoir : la Maison Papillon. Le bâtiment semble de plus avoir une connexion avec des événements paranormaux se déroulant aux quatre coins de la planète. Déployé sur les lieux avec une équipe d’habitués, Hellboy part donc à la recherche de son ami et collègue.
L’essentiel des interactions scénaristiques se déroulera dans le manoir, en échangeant avec les autres membres de l’équipe, auxquels on accrochera très rapidement. La qualité d’écriture des dialogues et du doublage des acteurs permet, malgré la simplicité de la mise en scène (chaque personnage attendra bien la fin de la phrase de son interlocuteur avant de prendre la parole), de se retrouver facilement projeté dans l’univers de Mike Mignola. Encore une fois après Horizon Forbidden West: Burning Shores, le doublage posthume de Lance Reddick fait des merveilles – tout en nous pinçant le cœur –, et son interprétation confère au personnage d’Hellboy un caractère plus nuancé, moins violent et bien plus subtil qu’à l’accoutumée.
Esthétiquement, Web of Wyrd est une réussite totale. Sa luminosité anormale, créant des ombres surnaturelles et obscurcissant les traits des personnages comme des monstres, lui donne un cachet particulier et se combine à merveille avec le cel-shading de ses paysages difformes.
Les différents niveaux que vous traverserez ont tous une ambiance qui leur est propre, avec une colorimétrie changeante et un bestiaire distinct, le tout sublimé par les compositions musicales de Cedar Studio, qui avait déjà œuvré avec Upstream Arcade sur West of Dead. Si Web of Wyrd s’était limité à être un walking simulator, il aurait été parfait.
Il faut savoir séparer l’œuvre de ses démons…
… ou pas ! Parce que la réussite esthétique d’Hellboy: Web of Wyrd n’a d’égale que la frustration provoquée par ses lacunes techniques. Malgré quelques bonnes idées technologiques (la génération cyclique de donjons, et la modification du moteur graphique pour la lumière), l’envie nous aura pris à plusieurs reprises de jeter l’éponge.
Le jeu aura crashé une dizaine de fois avant qu’on en voie le bout (sur un PC récent et à jour), dont trois crashes se sont produits durant des combats de boss. Un bug rédhibitoire pour un roguelite, puisqu’il sera impossible de reprendre le combat là où vous l’aviez quitté, et que vous devrez vous coltiner à nouveau une run forcément différente puisque la création des niveaux est procédurale. Autant dire que notre partie de quinze heures aurait pu se limiter à une dizaine sans ces différents plantages.
Il nous aura fallu jouer en mode fenêtré dans une résolution réduite (malgré une 3090, un comble), et en utilisant d’autres subterfuges non officiels, pour parvenir à une certaine stabilité de jeu.
Mais cette stabilité n’est pas pour autant synonyme de performances : alors qu’il indique pouvoir tourner à 165 Hz, le jeu nous aura donné à voir régulièrement – dans tous les niveaux, sans exceptions – un lag infernal, gâchant notre expérience de jeux, le nombre de FPS se faisant si faible par moments que les combats en devenaient ridiculement lents.
Là où on est en droit d’attendre une nervosité et une évolutivité dans le gameplay d’un roguelite, Hellboy restera lourdaud du début à la fin du jeu. Bien que cohérente avec le personnage, sa lenteur tout comme le manque de renouvellement des armes que vous débloquerez au fur et à mesure du jeu portent préjudice au jeu.
Et que dire du manque d’inventivité de la seconde moitié du jeu, qui se limitera à nous proposer une redite des niveaux déjà traversés dans une difficulté rehaussée, et durant laquelle les échecs seront d’autant plus agaçants.
Certaines lacunes de conception viennent ainsi gâcher l’expérience de jeu, et remettent en question cette proposition de roguelite. Et quel gâchis ! Car avec ses patterns de boss appréciables et ses variantes de pouvoirs simples, mais efficaces, Hellboy: Web of Wyrd aurait pu être un rogue « light » à l’identité unique, idéal pour les non-initiés. Mais peut-être que les prochaines mises à jour sauront corriger ces problèmes et redorer le blason de ce qui est, à ce jour, la meilleure adaptation vidéoludique d’Hellboy.
Heaven or Hellboy ? Let’s Rock ! La délectable basse du thème de combat d’Hellboy: Web of Wyrd nous aura donné envie de relancer le jeu, au même titre que son ambiance diablement réussie. Quel dommage que ses lacunes techniques (et sa répétitivité) aient plombé notre expérience de jeu. Il semble cependant que les versions consoles du jeu soient épargnées des problèmes que nous avons subis sur PC, fort heureusement.
Saluons malgré tout le travail d’Upstream Arcade, petit studio indépendant qui nous propose ici une adaptation fidèle au personnage, et une histoire originale qui se suffit à elle-même. Un digne hommage à l’univers de Mike Mignola, qui donnera probablement envie aux joueurs d’aller se plonger dans les comics pour découvrir les autres aventures antinazis d’Anung Un Rama.