Plus de sept ans après la sortie de Batman: Arkham Knight, Warner offre un successeur au versant jeu vidéo du Batverse avec Gotham Knights, même si le parti pris est particulièrement culotté : se passer du Chevalier Noir. En effet, le jeu commence avec la mort de Batman, et ses héritiers spirituels tenteront d’élucider le mystère qui entoure sa disparition. Mais un jeu Batman peut-il se passer de Batman ? Et Warner Bros. Montréal, déjà responsable du mal-aimé (assez injustement) Arkham: Origins, a-t-il les épaules pour succéder à Rocksteady ?
(Test de Gotham Knights sur Xbox Series X réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Les Chevaliers de Gotham
On peut s’arrêter un instant sur le titre de ce nouvel opus, qui en dit beaucoup sur le jeu et sur le projet de Warner Bros. Interactive. Gotham Knights est en quelque sorte l’héritier d’Arkham Knight. S’il prend la suite de ce dernier, il n’en est pas la suite, scénaristiquement parlant. Les deux titres sont un peu cousins – le « knight », référence directe à l’un des alias de Batman, le Dark Knight, est présent dans les deux cas, mais le passage d’Arkham à Gotham vient marquer la rupture.
Arkham Asylum, Arkham City, Arkham Knight, on parle souvent de la trilogie Arkham (en excluant Arkham: Origins, développé par Warner et non par Rocksteady). En choisissant d’intituler leur jeu Gotham Knights, les développeurs l’excluent de cette continuité.
Le pluriel est important, aussi. D’Arkham Knight, au singulier, on passe à Gotham Knights, au pluriel. Si on extrapole un peu, il y avait là l’idée de montrer que le nouveau jeu est plus grand que le précédent, c’est aussi finalement un aveu, si ce n’est d’échec, au moins des difficultés rencontrées. Difficile de se relever de la pirouette qui vise à faire sans le Chevalier Noir, et pour essayer de se mettre au niveau, il va falloir s’y mettre à plusieurs…
Les 4 Fantastiques
Batman n’est pas complètement absent de cet opus, puisque le jeu s’ouvre sur… (attention, nous allons ici spoiler la 8e minute de jeu…) sa mort ! Si on avait des doutes quant au fait que l’Homme Chauve-Souris soit effectivement mort dans le jeu, ces doutes sont levés dès la scène d’ouverture, qui sera suivie par la découverte du corps de Bruce Wayne par ses jeunes protégés sous les décombres d’une Batcave effondrée.
Bien entendu, nous ne serons pas à l’abri d’un twist dont seuls les comic-books ont le secret, qui permettra de faire revenir le héros en fin d’aventure, mais on sait aussi comme les jeux vidéo Batman peuvent malmener les timelines « officielles », ainsi que nous le montre la scène du Joker incinéré au début d’Arkham Knight, ou l’identité, justement, de l’Arkham Knight, qui venait en totale incohérence avec le déroulé des événements tels qu’on les a lus. Il faut donc partir du principe que, oui, Batman est mort.
Pour le remplacer, ses héritiers ne seront pas trop de quatre : Nightwing, Batgirl, Redhood et Robin. Et on s’amusera à constater que chacun représente une facette du Chevalier Noir, respectivement le ninja, l’amateur de gadget, la vengeance et le détective.
« T’es ok, t’es BAT, t’es in »
La bonne idée derrière ce portrait « coupé en quatre » du Batman montre l’une des grandes qualités du jeu : l’écriture. L’enquête est claire et lisible, on sait à chaque étape du jeu ce qu’on doit faire, pourquoi on doit le faire, et où cela s’inscrit dans le scénario général qui vise à élucider la mort de Bruce Wayne, mais aussi à poursuivre l’enquête qui l’aura amené à l’irrémédiable, et le tout en continuant son œuvre de protecteur de Gotham.
On ira ainsi jouer les justiciers et réunir les informations nécessaires à l’enquête la nuit, en costume, sous les traits de l’un des héros. Bon point, on pourra d’ailleurs en changer à chaque retour à la base et ainsi essayer chacun des personnages au sein du même run. Durant la journée, on est en tenue civile, au Beffroi, l’ancienne base d’Oracle, l’identité secrète de Barbara Gordon/Batgirl quand elle était coincée en fauteuil roulant.
Si ces phases de jour servent essentiellement à gérer nos fiches de personnages (utilisation des points de compétences, fabrication de nouvelles armes et tenues…), elles seront aussi l’occasion de déclencher des courtes scènes narratives bienvenues sur le passé de chacun. C’est là aussi une différence marquée avec la trilogie Arkham : une plus grande place est offerte à la narration.
Gotham Nights
Plus de place à la narration, au détriment du gameplay ? Car si l’écriture a bien progressé depuis Arkham Knights, on ne peut pas en dire autant de la jouabilité. Première déception, les quatre protagonistes n’offrent pas exactement de variété dans la façon de les jouer.
Certes, Red Hood est plus lourd et Robin plus aérien – on le ressent effectivement dans l’animation des personnages –, mais cela n’implique rien en termes de gameplay. On aurait pu imaginer que, par exemple, Batgirl soit favorisée dans les approches façon infiltration, et que les armes à feu de Red Hood, bruyante, fassent des dégâts massifs. C’est peut-être le cas en regardant les stats de près, mais manette en main, on ne voit pas la différence entre flinguer les ennemis avec Red Hood ou leur envoyer des Batarangs avec Robin ou Batgirl.
Chacun des quatre héros se jouera de façon quasi identique, avec les mêmes commandes à la manette et les mêmes possibilités de gameplay, à quelques détails près (les possibilités de pièges environnementaux, par exemple, seront un peu différentes selon le personnage incarné…). Quatre personnages qui ne sont en fait que quatre skins…
Pire, les mouvements des personnages, sauts et déplacements au grappin, sont soumis à une assistance très peu souple et capricieuse. Accroupi sur un toit, si l’on souhaite sauter sur une surface inférieure, il faudra espérer que l’I.A. nous laisse atterrir là où on l’a prévu. Et pour des raisons qui nous échappent, ce n’est pas toujours le cas.
Ainsi, en hauteur, on visera une corniche en contrebas afin de se rapprocher des ennemis et les éliminer en silence selon une mécanique héritée des jeux Arkham. Sauf que le jeu aura décidé que la corniche en question n’est pas une surface propre à un saut, et nous fera atterrir 4 ou 6 mètres plus loin, juste aux pieds de l’ennemi en question, ruinant complètement nos efforts de discrétion… Frustrant.
De façon générale, les activités secondaires sont peu variées et vite répétitives. On s’amuse, le gamesystem est éprouvé et fonctionne. Les mécaniques de combats reprennent celles des précédents jeux, ce qui est une bonne chose. Cependant, on aurait aimé plus de nouveautés, et une ville de Gotham plus vivante. Certes, on y patrouille la nuit ; mais Gotham n’est-elle pas l’une de ces métropoles qui ne dorment jamais ?
C’est d’autant plus regrettable que son architecture (proche, là encore, de ce qui avait été fait par Rocksteady) est très réussie. On aurait voulu avoir plus d’excuses pour y flâner, mais on ne la verra que défilant à grande vitesse, en chevauchant le Batcycle d’une mission à l’autre.
Les joueurs qui ont vu la « vraie » fin d’Arkham Knight le savent : le postulat de départ de Gotham Knights était compatible avec une suite à la trilogie. Cependant, Warner a fait le choix de s’en détacher, sans réussir totalement à s’en affranchir.
On est face à un jeu qui souffle le chaud et le froid, aux qualités scénaristiques et graphiques indéniables, dans lequel on est heureux d’incarner ou d’affronter des personnages DC cultes, mais qui pèche par un gameplay un peu trop rigide et trop peu varié, pas exactement compensé par le mode deux joueurs, qu’il faut toutefois saluer. Les puristes lui reprocheront aussi une technique définitivement en retrait (affichage bloqué à 30 fps, quelques bugs, rares, mais existants).
Les fans de la Chauve-Souris y trouveront sans doute leur compte. C’était notre cas. Quant aux joueurs qui sont moins attachés à l’univers de Batman, les défauts du jeu risquent de peser plus lourd pour eux que ses qualités. Mais loin d’être un ratage, Gotham Knights n’est pas non plus un chef-d’œuvre digne de la trilogie Arkham, et va forcément mettre la pression aux équipes à l’œuvre sur le jeu Suicide Squad, développé, lui, par Rocksteady, et attendu pour 2023…