Nous sommes le 10 février 1988, le Japon se réveille au son des trompettes du nouvel opus d’une saga légendaire. Tellement légendaire qu’après les cohues dans les magasins et la défection d’étudiants pour se procurer ce troisième opus de Dragon Quest, préquel des deux précédents épisodes, une loi fut votée pour légiférer sur les jours de sorties des jeux vidéo. Et bien que cette anecdote ne soit qu’une légende urbaine, l’absentéisme à cette date fut bien réel et a fait entrer le titre, de retour aujourd’hui sous le nom de Dragon Quest III HD-2D Remake, au panthéon de l’industrie du jeu vidéo.
Reste que les jeux cultes d’hier ne font pas nécessairement ceux d’aujourd’hui (et encore moins ceux de demain). Et si cette ressortie sous l’écrin HD-2D ayant fait des merveilles, au moins techniques, sur bon nombres de jeux de Square Enix modernes pourra titiller efficacement la fibre nostalgique des joueurs l’ayant découvert il y a plus de trente-cinq ans (ou au travers d’une réédition), Dragon Quest III HD-2D Remake pourra-t-il convenir au palais des joueurs du 21è siècle ?
(Test de Dragon Quest III HD-2D Remake sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Une monstrueuse cure de jouvence
Il s’agit d’ailleurs de nos premiers pas avec cet épisode. Nous avons longuement trainé nos guêtres sur le huitième épisode, durant la grande époque de la PlayStation 2 (premier Dragon Quest parut en Europe), ou plus récemment sur l’excellentissime onzième opus, alors autant dire que nous avions plutôt hâte de voir de quel bois se chauffait le jeu. Un enthousiasme aussi alimenté par la nouvelle patine visuelle proposée.
En effet, Dragon Quest III HD-2D Remake est un ravissement pour les yeux, mais aussi pour les oreilles. La réorchestration des mythiques musiques de Koichi Sugiyama participent pleinement au souffle épique de l’aventure. Quant à l’aspect purement technique et visuel, et comme finalement tous les titres passés par la moulinette HD-2D (Octopath Traveler, Live a Live, Star Ocean: The Second Story R…), il se dégage un irrésistible charme du titre. Surtout que l’univers du jeu est particulièrement coloré et nous offre une harmonie dans sa colorimétrie et ses jeux de lumière assez fabuleuse.
Tous les biomes y passent. De la montagne enneigée aux contrées désertiques en passant par la mer azurée ou les sombres grottes et chacun d’eux a bénéficié d’un soin certain. Car Dragon Quest III HD-2D Remake, c’est avant tout l’aventure avec un grand A. On y incarne le héros, comme d’habitude pourrait-on dire, enfant du grand Ortega parti combattre les armées démoniaques alors que nous n’étions encore qu’un tout petit enfant.
Nous marchons donc dans les traces de notre père dont quelques réminiscences sont présentes ci et là, afin de découvrir l’origine de la recrudescence de monstres sur le continent. Voilà à peu près à quoi peut se résumer l’aventure. Et pourtant, malgré sa relative simplicité, nous avons pris beaucoup de plaisir à découvrir les différentes ramifications s’intégrant au scénario. Il ne s’agit pas uniquement d’une basique mission nous demandant de parcourir le monde à la recherche d’orbes magiques mais bien d’une épopée pour découvrir le monde afin de mieux le sauver.
En effet, Dragon Quest III HD-2D Remake, en nous invitant à le parcourir en long, en large et en travers, nous invite par la même à en découvrir ses différents aspects. On peut évidemment simplement passer de village en village, de donjon en donjon pour directement atteindre notre objectif principal, mais en s’intéressant aux personnages qui peuplent ce monde, on y découvre de nombreux trésors scénaristiques, petits ou grands, qui s’intègrent admirablement dans un grand tout.
Une bonne pratique qui nous permet, au delà d’en apprendre plus sur les habitants de chaque région, de débusquer de nombreux trésors, indispensables à notre survie, et de recruter quelques gentil monstres à faire combattre dans une arène dédiée, nouveauté de cet opus, et glaner quelques récompenses fort utiles. Des passerelles donc entre la narration et le gameplay classique mais toujours intéressante. Et puis, cela permet en même temps de se confronter à l’humour souvent percutant inhérent à la saga.
D’autant que l’écriture, et la localisation française, sont d’excellente facture. Les villes sont souvent inspirées de régions de notre monde bien réel (Italie, Japon, Portugal…) et les traducteurs se sont investis afin d’à la fois pourvoir les habitants de chaque lieu de particularités de langage tout en adaptant le texte en « vieux François » médiéval, pertinent dans cet univers. On peut même parler là de sans faute et d’exemple à suivre pour tous ces remasters/remakes non traduits à l’époque de leurs sorties et remis aujourd’hui au goût du jour.
Pour autant, et paradoxalement, c’est l’écriture des personnages principaux, ou plutôt son absence, qui nous a le plus déçu. Et pour cause, si notre héros reste finalement conduit par une destinée qu’il ne maitrise pas vraiment, ses compagnons de routes ne sont eux que des coquilles vides, des mercenaires jetables n’ayant aucune prise dans l’histoire et n’étant finalement là que pour accompagner le protagoniste principal dans ses combats.
Si on peut comprendre l’envie de nous proposer des compagnons personnalisables afin de façonner comme on l’entend notre équipe, nous sommes bien plus adeptes de partenaires ayant leurs propres histoires, passés, blessures et ambitions. Un détail certes dans une épopée aussi massive (comptez trente à quarante heures pour en faire le tour) mais qui nous a en partie gêné, nous laissant un peu trop l’impression que nous n’étions que spectateur d’un monde auquel nous n’appartenons pas vraiment.
Une aventure mortelle
Évidemment, qui dit J-RPG dit forcément combats, et sur ce point, force est de reconnaitre que Dragon Quest III HD-2D Remake nous propose une étonnante richesse, surtout pour un jeu de 1988 à la base, dans ses systèmes de jeu. Nos premières minutes de jeu nous permettent d’ailleurs de façonner le charactère de notre personnage (quoique, comme évoqué précédemment, cela n’est pas le moindre impact dans l’histoire contée).
Une mécanique inutile, en apparence, mais qui reste pourtant centrale si l’on veut maximiser ses chances de survie. En effet, selon le caractère de notre personnage, ainsi que des mercenaires que l’on se créera, nos hausses de statistiques seront différentes. Ainsi, il conviendrait, pour optimiser son avancée, d’attribuer un caractère permettant une meilleure hausse de la force pour un guerrier par exemple.
D’autant que relativement rapidement nous est offerte la possibilité d’hybrider nos compagnons, sans doute la fonctionnalité la plus importante du titre, permettant notamment une grande souplesse et personnalisation de notre équipe. Par exemple, notre partenaire de la classe mage initialement recruté pourrait à terme devenir soigneur, puis guerrier au prix d’un retour au niveau un mais en conservant ses compétences préalablement acquises ainsi qu’une partie de ses précédentes statistiques. On peut ainsi se créer un guerrier capable de magie ou un voleur doté de sorts de soin.
Et croyez-nous, pour survivre dans ce monde, le moindre détail peut faire la différence entre la vie et le trépas. Car si Dragon Quest III HD-2D Remake nous offre un paquet de fonctionnalités de confort, il a conservé sa difficulté d’antan. Les débuts ont beau nous mettre à l’aise, nous proposant de combattre quelques faibles Slimes, une fois le récit pleinement lancé, le moindre affrontement au détour d’un donjon peut être fatal.
D’ailleurs, de manière plus globale, le système de combat ne nous a pas vraiment convaincu, sur la longueur du moins. Il faut dire que nous n’avons plus forcément le temps ou l’envie d’investir de nombreuses heures simplement pour mettre à niveau nos équipiers. Surtout que les affrontements se sont révélés être lents (même en accélérant leurs vitesses) et nous ne sommes plus ni habitués, ni friands des combats aléatoires, « à l’ancienne ». Surtout que le nombre de rencontres de monstres fortuites se fait de plus en plus important sur le dernier tier du jeu, rendant les explorations de donjons assez hachées voire pénibles.
On se doute bien qu’une refonte aussi profonde du jeu aurait nécessité bien plus d’investissement de la part des équipes de développement, mais il aurait aussi permis un meilleur équilibre général de l’aventure. Pourtant, on sent que des efforts ont été fournis pour rendre l’ensemble plus digeste, avec la possibilité de se téléporter plus ou moins quand on le souhaite (afin de retourner se soigner à l’auberge plus rapidement), l’ajout d’une nouvelle classe, le Monstrologue, particulièrement puissante, ou la possibilité d’indiquer sur la carte notre objectif suivant, évitant des allers-retours chronophages.
Mais voilà, Dragon Quest III HD-2D Remake souffre de plusieurs pics de difficultés assez prohibitifs et on se retrouve régulièrement à sec d’objets de soin ou de récupération de points de magie (même si quelques outils d’aide sont à notre disposition). Reste alors un mode facile auquel, on le reconnait, nous avons succombé afin de pouvoir continuer d’avancer sans nous prendre la tête, celui-ci consistant à nous rendre immortel, bloquant nos points de vie à un au besoin.
Certes, c’est grossier et pas bien intéressant comme mode facile, mais il a au moins le mérite d’être présent et de permettre de manière provisoire (ou pas) de surmonter des défis qu’on ne souhaite pas vraiment relever. On en revient donc à notre frustration que le titre n’ait pas été équilibré plus en profondeur.
De plus, le titre offre la possibilité d’établir pour chaque personnage, héros inclus, des stratégies à suivre telles que « Pas de MP » ou « Soin avant tout », pouvant alors rendre les combats très vite automatiques, surtout si on ne peut pas mourir. Mais des stratégies dont l’efficacité est à pondérer car on se rend vite compte que nos péons agissent généralement n’importe comment, utilisant leurs sorts les plus puissants (et couteux en PM) pour de simples adversaires inoffensifs. Les plus stratèges devront donc nécessairement prendre la main sur leurs alliés, rendant de même coup chaque affrontement bien plus long à conclure.
Il n’est pas simple de juger un tel remake tant son appréciation dépendra de l’appétence de chacun envers les J-RPG old school ou envers cet épisode en particulier, devenu à l’époque le maître-étalon de la franchise. Clairement, pour le joueur l’ayant connu dans sa version d’origine, ou au travers d’une de ses rééditions, Dragon Quest III HD-2D Remake est une véritable madeleine de Proust revisitée de manière admirable.
Encore une fois, le moteur HD-2D fait des merveilles et permet de redécouvrir ce classique du jeu japonais dans des conditions bien plus acceptables pour le joueur 2024. Reste que malgré son apparence, Dragon Quest III HD-2D Remake est un jeu à l’ancienne qui risque, comme ce fut notre cas, de rebuter par sa difficulté parfois assez abrupte et punitive. Et même si plusieurs options d’ergonomie et d’équilibrage sont à disposition, elles n’empêchent pas la frustration, voire une certaine lassitude, après des heures d’aventures et de combats incessants.
Et pourtant, malgré un déséquilibre qui nous a incité à passer les affrontements en facile à plusieurs moments, nous nous sommes pris au jeu de l’univers dépeint. La quête de base à beau être simple, c’est en étant curieux, en parlant aux divers habitants des villages qu’on s’y est attaché. Le héros et ses compagnons peuvent bien s’apparenter à des pièces rapportées, le récit vit beaucoup à travers le monde qui nous entoure et s’exprimer alors d’autant mieux à celui qui s’y intéresse.
Ainsi, et si nous restons relativement mitigés après notre découverte de Dragon Quest III HD-2D Remake, nous avons tout de même envie de découvrir la suite des aventures de l’enfant d’Ortega qui sera dépeinte dans le futur Dragon Quest I & II HD-2D Remake prévu pour 2025, signe que, malgré tous ses écueils, le titre nous a touché.