Si l’on vous demandait de citer un jeu en 2D bien hardcore qui envoie du pâté, vous évoqueriez quoi ? MegaMan ? Ghosts’n Goblins ? Contra ? Cuphead ? Wait, what, Cuphead, kézako ? Je l’ai pas eu sur ma NES celui-là, il vient d’où ? Ha, OK, c’est un jeu récent, d’accord… Donc on oublie le côté difficult et on savoure un petit jeu tranquillou, nettement plus abordable pour les joueurs que nous sommes devenus à force de confort casu, c’est bien ça ?
Bah non. Soyez-en assuré, dans Cuphead, on va en caguer des ronds de chapeau. Mais est-ce que difficulté rime avec efficacité (poétiquement parlant, oui) ? Est-ce que die and retry rime avec frustration (poétiquement parlant, non) ? En un mot comme en cent, est-ce que Cuphead, premier jeu du studio indé MDHR, est véritablement le carto(o)n encensé par la presse ? La réponse est…
Looney Tunes strikes back
Si vous avez déjà entendu parler de Cuphead, le gros coup de cœur du moment, deux caractéristiques auront dû vous rester à l’esprit : cartoon façon années 30, et difficulté. Attelons-nous donc à creuser ces deux sujets pour déterminer s’ils sont révélateurs de ce qui constitue l’essence de ce jeu ou pas. Commençons par l’aspect technique.
Alors oui, mille fois oui, Cuphead arbore un style visuel volontairement désuet, qui nous renverra immanquablement dans le passé lointain du dessin animé, et l’on songera aux premiers Disney, à Felix le Chat, ainsi qu’aux premiers Looney Tunes, pour n’en citer que quelques uns.
Et autant le dire tout de suite : le résultat est fantastique. On se sent immédiatement plongé dans cet univers décalé et déjanté, et le grain d’image antique adopté par le jeu nous fait aussitôt croire que l’on s’est retrouvé dans une vieille bobine animée, tant le souci du détail visant à reproduire l’atmosphère de toutes ces antiquités est impeccablement et minutieusement travaillé. Un véritable boulot d’orfèvre, qui sous-entend une connaissance et un amour sans borne des auteurs pour les pépites animées de l’époque. Magnifique de nostalgie.
Et les musiques ne sont pas en reste, puisqu’on a droit à des envolées énergiques en diable, composées à base de cuivres, claviers et cordes déchaînés comme on pouvait en savourer jadis, qui accompagneront avec fureur vos affrontements dantesques. L’animation, enfin, est juste impeccable (et heureusement, étant donnée la difficulté des combats), et les grands mouvements désordonnés ainsi que les mimiques farfelues des personnages (surtout les ennemis) nous replongent eux aussi dans le désordre loufoque qui régnait au sein des dessins animés du début du siècle précédent.
Ci-dessous, un dessin animé d’époque, pour que vous cerniez bien l’esprit.
Le Diable au cup
Vous l’aurez compris, l’ouvrage est magistral, et le développeur nous livre ici un jeu simili-antique réalisé avec une rare maestria. Ceci étant établi, il est temps maintenant de se pencher sur des éléments plus concrets, tels que le scénar et le gameplay.
Cuphead, c’est l’histoire de deux petits personnages à tête de tasse (meh), Cuphead et Mugman, qui décident de parier gros contre le Diable au casino, et qui, bien évidemment, se font ratisser comme des gros noobs par le prince des enfers. C’est le jeu, ma bonne dame, le Diable s’apprête donc à soutirer leur âme à notre malchanceuse vaisselle, mais, bonne pomme, leur propose un marché : s’ils parviennent à récupérer tous les contrats établis entre le Diable et un certain nombre de ses créditeurs, le salut de leur âme leur sera accordé.
Ni une ni deux, nos sympathiques héros se lancent à la poursuite desdits emprunteurs, afin de leur coller une bonne rouste et de récupérer leur dû. Emprunteurs qui prennent la forme de tout un tas de monstres en tous genres, qui feront office de boss, et l’on en arrive de ce fait au déroulement du jeu. Après avoir quitté votre tanière, vous avez accès à une map, composée de plusieurs îles, sur laquelle vous pourrez vous déplacer plus ou moins librement, si tant est que vous avez réussi telle ou telle épreuve vous ouvrant accès à la section suivante.
Boss-a-go-go babyyy
Du coup, la plupart du temps, vous avez la possibilité de choisir quel niveau effectuer ensuite, au cas où l’un d’eux se montrerait trop rébarbatif pour vos maigres compétences de joueur ; un bon moyen de tenter autre chose si vous en avez marre d’échouer encore et encore lors d’un combat, avant d’y revenir plus tard, l’esprit plus clair. Encore un bon point pour le jeu, même si parfois, vous l’aurez compris sans besoin de sous-titres, les deux ou trois choix de stages disponibles s’avèrent tout aussi hardcore les uns que les autres.
Bien, à présent, voyons un peu à quoi l’on a affaire. Concrètement, le jeu se divise en 3 styles de gameplay différents. L’un évoquera sans faute le genre shoot’em up, dans lequel, après avoir acquis un petit avion, vous aurez loisir de dézinguer tout ce qui bouge en scrolling horizontal, en évitant pièges et tirs ennemis, avant de vous colleter un boss généralement bien vicieux. Dans le second, il s’agira d’une sorte de run’n gun à la Contra ou à la Metal Slug, mixant platformer bourré de pièges et shoot frénétique.
Et puis, il y a le gros morceau de Cuphead : les boss-fights. Sur un écran unique, ceux-ci constituent 80% du gameplay, et vous aurez affaire à des adversaires tout aussi farfelus que terriblement difficiles à vaincre. Il vous faudra essayer encore et encore, jusqu’à comprendre parfaitement leur pattern d’attaques, mourir et retenter à la chaîne, apprendre de vos erreurs pour progresser, jusqu’à la jubilatoire victoire.
Hard as a rock
D’autant que tous ces ennemis spéciaux jouissent de différents modes de combat, qui se mettront en place en fonction des dégâts que vous leur infligerez. Vous avez enfin compris comment fonctionne le boss ? Bim, il change radicalement de méthode, et à vous, de nouveau, de vous adapter au mieux pour ne pas manger les pissenlits par la racine. Surtout que votre marge d’erreur est salement limitée, puisque vous ne disposez que de quelques points de vie, chaque coup reçu vous en retirant automatiquement 1.
Dès lors, on comprend le second point évoqué plus haut dans l’article : la difficulté du jeu. Vous trouverez probablement un tas de gamers imbus qui vous diront que non, c’est pas si dur, on en bavait plus avec MegaMan, etc. FAUX ! Vous trouverez même probablement des vidéos de speed-runners qui vous déglingueront tous les boss en moins d’une heure, mais croyez-le bien, cette prouesse n’aura certainement pas été réalisée sans pleurer des larmes de sang avant accomplissement. Car, oui, Cuphead est véritablement un jeu difficile, sachez-le, et qui ne conviendra probablement pas à un joueur casu ayant envie d’une balade bucolique dans un dessin animé d’antan.
Le jeu s’avère véritablement punitif, chaque erreur peut vous coûter l’échec, et le terme die and retry n’aura jamais été aussi pertinent que dans Cuphead. Alors certes, les rares pièces de monnaie amassées au fil des stages run’n gun vous ouvriront l’accès à quelques améliorations bienvenues à récupérer en magasin, mais ne comptez pas refaire moult fois les levels qui en comportent ; une fois les pièces acquises, elles ne réapparaissent pas si vous retentez le niveau.
Masochisme
Et le plus beau dans tout ça, c’est que le jeu n’est jamais injuste. Doté d’une maniabilité aux petits oignons, il vous fera bien comprendre que votre défaite ne réside que dans votre manque de skill, et non dans une tricherie quelconque ou dans une hitbox aléatoire et vaseuse. Cuphead, c’est un jeu pour les gamers les plus endurcis, ceux qui savent tirer leçon, essai après essai manqué, de leurs lacunes pad en main, et il est tellement jouissif qu’on aime à s’y plonger sans fin jusqu’à avoir vaincu l’ennemi, sans sensation de frustration, avant de tomber sur un nouveau boss encore plus retors.
Et puis, une fois l’ennemi annihilé en mode considéré comme « easy », on s’aperçoit qu’on peut l’affronter de nouveau en mode « normal » pour obtenir son contrat, et là, c’est la grande panique, le déchaînement de nouvelles attaques terriblement agressives contre nos héros (oui, le jeu peut se jouer à 2, et c’est d’ailleurs conseillé, car double force de frappe = meilleures chances de survivre).
La force de ce Cuphead, c’est que même si l’on y passe des heures à tenter et retenter, c’est toujours aussi agréable, et l’expérience est un véritable ascenseur émotionnel, entre rage, détermination, sensation de défaite et gloire (lorsque l’on parvient enfin, après tant d’essais, à terrasser l’adversaire). Magique.
N’y allons pas par quatre chemins : Cuphead est une merveille. Entre son rendu technique axé années 30 et son challenge relevé, en passant pas sa maniabilité sans faille, on a certainement affaire ici à un des grands jeux de l’année 2017. Bourré d’humour antique et de combats diaboliquement difficiles et variés, il saura à coup sûr satisfaire l’amateur de défi, tout en laissant probablement le joueur casu sur le côté de la route.
Si vous n’avez pas peur d’une difficulté punitive vous permettant, sans injustice mais avec une rigueur millimétrée, d’acquérir le skill nécessaire pour progresser toujours plus loin à pas de fourmi, n’hésitez pas un instant : Cuphead, c’est assurément votre tasse de thé.