« Petite » production essentiellement française, premier jeu du studio Sandfall, Clair Obscur: Expedition 33 a pris tout le monde de court par son succès (500 000 copies vendues en trois jours, plus de 2 millions de jeux écoulés à l’heure où l’on rédige ces lignes), mais aussi par ses qualités : si le jeu était attendu, il ne l’était absolument pas à ce niveau-là !
Alors qu’est-ce qui rend le titre de Sandfall si particulier, et surtout, n’a-t-il vraiment aucun défaut ?
(Test de Clair Obscur: Expédition 33 sur PC réalisé via une copie commerciale du jeu)
Pardon my French
Le jeu s’ouvre sur ce qu’on prend pour un Paris dévasté : Arc de Triomphe explosé en deux, Tour Eiffel qui semble avoir fondu façon Dali (la peinture, déjà)… Pendant que le premier personnage que l’on rencontre, le très franchouillard Gustave, se balade sur des toits Haussmanniens typiques qui semblent abriter une civilisation post-apocalyptique.
Si on est bien dans la ville Lumière, on n’est pourtant pas tout à fait à Paris, mais dans une cité largement inspirée de la capitale française baptisée… Lumière ! Et malgré ce nom lumineux, la ville et ses habitants connaissent un destin bien sombre (le « Clair Obscur » du titre).
Un monolithe transperce l’horizon, affichant en gigantesques caractères, dorés le nombre 34. Bientôt, La Peintresse, une sorcière titanesque, à moins qu’il ne s’agisse d’une déesse, se réveillera pour effacer le 34, et le remplacer par un 33, faisant du même coup disparaître tous les habitants de Lumière âgés de 34 ans. C’est le « Gommage », en français dans le texte, même en jouant en anglais !
Il faut d’ailleurs jouer en anglais pour la synchronisation labiale et le casting, mené par Charlie Cox (Dare Devil, sur Disney +), mais aussi pour toutes les expressions en français dans le texte prononcées avec l’accent par les personnages, du mignon « Attention ! » ([a-tenn-sio] !) au rigolo « Poutain ! ».
Final Frenchtasy
Si le jeu accumule d’abord les clichés « oui-oui-baguette », ceux-ci deviennent rapidement accessoires et plus du domaine du clin d’œil. Une expédition formée d’hommes et de femmes dans leur dernière année avant le Gommage va en effet, comme chaque année, quitter Lumière, traverser la mer pour essayer de rejoindre le monolithe et mettre fin à la malédiction. Et c’est une fois de l’autre côté que l’aventure commence.
Le jeu se révèlera alors être une sorte de J-RPG (un F-RPG ?), dans lequel on contrôle une équipe de trois joueurs dans des combats qui se déroulent au tour par tour. Chacun possède des pouvoirs (les compétences), qu’il s’agira d’optimiser à l’aide d’effets spéciaux (les Luminas), de façon à maximiser les dégâts. Les personnages peuvent aussi fonctionner en synergie (le personnage A qui servira à multiplier les dégâts du personnage B), ou avoir des rôles particuliers (tank, healer…), selon les envies et le style de jeu du joueur. C’est Final Fantasy ou Persona, on est en terrain connu.
Là où Expedition 33 se montre plus original, c’est que, un peu comme dans Like a Dragon, le système de tour par tour est doublé d’actions à réaliser en temps réel : l’esquive et la parade. Lors de l’attaque de l’ennemi, une lecture fine des animations et des effets sonores permet de presser au bon moment la touche d’esquive (au timing « relativement » permissif) (notez les guillemets !) ou celle du contre (dont la fenêtre est bien plus resserrée).
Le jeu de stratégie qu’est le combat au tour par tout se double ainsi d’un jeu de rythme, ouvrant le titre à nombre de possibilités. Un joueur maîtrisant parfaitement l’exercice de la parade peut alors tout à fait se mesurer à des ennemis largement au-dessus de son niveau. Le combat sera long, risqué (les « gros » ennemis peuvent balayer l’Expédition d’une seule attaque réussie) mais théoriquement, la parade et surtout le contre lui permettront cette victoire. Inversement, le joueur maladroit à qui les jeux FromSoftware donnent des cauchemars pourra se concentrer sur son « build » et sa stratégie pour quand même progresser. Personne n’est laissé de côté !
Mais la plupart des joueurs seront quelque part au milieu, à tester différentes armes et Luminas pour tenter d’en tirer le meilleur, et à réussir de temps à autre un contre, tout en ratant parfois ses esquives. Une situation qui rend les succès en combat particulièrement grisants !
Clair Obscur
Si Expedition 33 est d’abord porté par son excellent système de jeu, ce n’est pas qu’un système de jeu ! C’est aussi un univers graphique et scénaristique aussi marquant qu’intrigant.
Avancer dans le scénario, découvrir les secrets du monde que l’on visite est une vraie motivation. C’est aussi parce qu’on veut savoir qu’on persiste contre un boss qui nous donne du fil à retordre. Surtout que derrière le clin d’œil franchouillard du début, c’est une vraie histoire originale et profonde qui nous est racontée, et, et c’est assez rare, sans prendre le joueur pour un imbécile. Certains éléments de l’univers ne sont ainsi qu’évoqués au détour d’un dialogue , et ce sera au joueur qui le souhaite de relier les points.
On n’échappe néanmoins pas à quelques petites incohérences, comme l’identité révélée du Conservateur, qui fait nous interroger rétrospectivement sur ses motivations à aider l’Expédition tout au long de l’aventure.
L’autre grande qualité d’Expedition 33 (qui n’en manque décidemment pas), c’est sa direction artistique. Le jeu assume ce qu’il est avec des références de bon goût à Final Fantasy, mais aussi et surtout à NieR (les plaines verdoyantes peuplées de quelques monstres solitaires rappelant les Ombres de NieR Replicant, mais encore la musique lyrique et atmosphérique employant, sur certains morceaux, une langue inventée) ou à Elden Ring, dans ses ambiances mordorées et certaines créatures aux allures de cauchemars.
Le titre, par ailleurs, ne ment pas en se parant d’un « Clair Obscur », faisant référence à cette technique picturale chère à Rembrandt et à Le Caravage, où les contrastes permettent de dramatiser une scène et l’embrumer de mystère.
Le joueur est ainsi dans l’ombre une grande partie de l’aventure, ne comprenant pas le monde dans lequel il évolue, malgré les indices évidents qui sont mis en lumière dès le début de l’aventure, dès le titre du jeu, même… (mais chut !).
10/10 ?
Expedition 33 ne manque pas de qualités, mais a-t-il des défauts ? Hélas, on doit bien reconnaître que la fin du jeu nous a laissé un petit goût amer. Certes, on se plaît dans cette histoire et dans cet univers, dont on s’attache aux personnages parfois bien plus complexes qu’on ne les imaginait d’abord, et l’on comprend qu’on n’ait pas envie de la quitter. Mais pas de là à en rester prisonnier !
Parce que le jeu ne sait pas se finir. Une séquence finale suit une séquence finale qui elle-même suivait ce qui semblait être la fin. Et quand, enfin, on pense être au bout du bout, c’est pour assister à un épilogue, puis à une énième séquence finale.
C’est d’autant plus énervant que, on l’a écrit précédemment, le scénario semblait justement faire confiance à l’intelligence des joueurs. Alors pourquoi étirer des explications qui n’ont plus aucun enjeu scénaristique et ajouter artificiellement des combats pénibles durant plusieurs trop longues heures ? Malheureusement, la fin d’un jeu marque au moins autant que tout le reste de l’expérience, et on garde ce petit goût amer en bouche d’un titre exceptionnel, mais qui, par excès de zèle, ne fait que frôler le score parfait.
Clair Obscur: Expedition 33 est un jeu qui fait déjà date. Ses qualités, tant narratives et graphiques qu’en termes de système de jeu ont provoqué un bouche à oreille favorable lui permettant de réaliser des ventes bien au-delà de ses ambitions. Un succès mérité, même si l’auteur de cette critique fut un peu frustré par une conclusion qui s’étire inutilement.
Cela dit, le même auteur de ces lignes est resté complètement hermétique à la saga Final Fantasy malgré plusieurs tentative (une expérience malheureuse narrée ici), mais a immédiatement adhéré au titre de Sandfall. Une façon de dire que, oui, on conseille vivement le jeu, qui a déjà de très solides chances de repartir avec quelques prix lors des cérémonies de remises de récompenses…