À l’évocation d’une version moderne d’Alex Kidd in Miracle World, classique d’entre les classiques, comment ne pas penser à l’exceptionnel travail que Dotemu avait réalisé sur Wonder Boy: The Dragon’s Trap ? Le platformer aux accents RPG sauce 16 bits était devenu le nouveau mètre-étalon de ce que devait être un remaster de ces classiques de l’âge d’or, et à chaque ressortie du genre, on n’échappe pas à la comparaison.
Alex Kidd in Miracle World DX ne fera pas exception à cette règle de bon sens. Alors, cette version Deluxe est-elle à la hauteur de la légende SEGA ? À la hauteur du modèle Wonder Boy ?
(Test d’Alex Kidd in Miracle World DX réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Télés couleurs et prises péritel
Alex Kidd est une véritable légende des jeux vidéo. Pas une superstar éternelle comme peut l’être Mario, mais une étoile filante, comme les Dexy’s Midnight Runner, qui signèrent un énorme hit planétaire (« Come on Eileen ») avant de disparaître…
À la fin des années 80, et après un début de carrière plutôt réussi en cartouche, Alex Kidd est intégré directement à la console SEGA Master System, la concurrente de la NES. C’est-à-dire qu’en allumant la console sans cartouche dedans, c’est Alex Kidd in Miracle World qui démarrait. De ce fait, le jeu est extrêmement populaire auprès de la génération de joueurs qui étaient au collège à la fin des années 80 ou au début des années 90 : s’ils ont acheté une Master System, ils ont joué à Alex Kidd !
Avec des sprites assez importants, de jolies animations, un univers coloré, une musique entraînante et un gameplay varié, le titre se voulait une réponse aux jeux Mario qui avaient permis à Nintendo de s’imposer. Il mettait aussi la Master System devant la NES question technique, là où cette dernière remportait l’épreuve du catalogue. La guerre des consoles battait son plein !
Peut-être aussi parce qu’il n’a pas traversé les époques comme un Sonic (qui sera venu le remplacer à son poste de mascotte SEGA) ou un Mario, Alex Kidd personnifie plus que n’importe quel héros de jeu vidéo cette période du deuxième âge d’or des consoles, des prises péritel, des machines qu’on laissait allumées quand il était l’heure de manger (parce que : pas de sauvegarde !) et des parents persuadés que la console allait laisser des marques sur la télé (mauvaise réputation tenace héritée de Pong…).
Résurrection
Avec un tel contexte, c’est peu dire que le jeu était attendu par toute la team cheveux gris. Et effectivement, le démarrage du jeu est un grand bol de pure nostalgie. Tout le monde n’a probablement pas fini Alex Kidd – les jeux des années 80 étaient assez impitoyables – mais personne n’a oublié le premier « tableau », comme on disait encore à l’époque.
Un début du jeu qu’on retrouve ici presque à l’identique, tout juste habillé d’une nouvelle parure graphique. Comme pour Wonder Boy: The Dragon’s Trap, Alex Kidd DX est exactement le même jeu qu’Alex Kidd in Miracle World version 1988, en plus joli. Et comme pour Wonder Boy, un bouton permet de passer en direct en pleine partie de l’original à l’héritier. Fonctionnalité très appréciable, elle permet aussi de voir le chemin parcouru…
Cependant, pour l’identité graphique de ce nouvel Alex Kidd, Jankenteam a décidé de faire un peu différemment de Dotemu, et a opté pour un pixel art très moderne, très fin, très réussi. Les jeux de lumière sont magnifiques et nous rappellent qu’on est bien sur des machines modernes, quand le pixel rappelle, lui, les origines du jeu. Un entre-deux plutôt malin et qui sert admirablement le propos.
C’était mieux avant ?
Non, bien entendu. Si on accueille avec beaucoup de plaisir le petit voyage dans le temps que nous propose le jeu, on se rend bien compte que l’âge a laissé ses marques. En nous livrant un jeu au gameplay strictement identique à l’original, Jankenteam amène en 2021 des problèmes qu’on aurait aimé quitter avec le XXe siècle.
À commencer par les contrôles et la maniabilité. Un air control rigide au possible associé à une inertie franchement inamicale rendent le jeu plutôt inhospitalier. En mourant – et il meurt souvent – Alex se transforme en petit ange à la moue boudeuse. Vers la douzième ou treizième mort au même endroit, causée par la nécessité du level design de se placer au pixel près quand le gameplay est lui, tout sauf au pixel près, alors on comprend que cette moue est en fait l’expression blasée du joueur lui-même.
Ce qui nous emmène vers le deuxième souci d’un titre au parfum rétro comme celui-là : la difficulté, souvent injuste. Quiconque a tenté de finir un Megaman sur console 8 ou 16 bits a dû bien s’amuser devant le débat concernant la difficulté autour de Returnal ! Les jeux de l’époque 2D et pixels étaient durs, très durs ! Placement des ennemis vicieux, sauts difficilement ajustables en l’air, hitbox impitoyables… Le jeu est difficile, et surtout, rageant ! Les développeurs en ont conscience et ont ajouté deux fonctionnalités pour pallier ce souci : d’abord, des check-points entre chaque niveau. Une fois un niveau franchi, le jeu est sauvegardé (ce qui évite de laisser la console allumée en pause toute la nuit comme on le faisait avec nos Master System…).
Et puis, le jeu peut être lancé en « vies infinies ». Un cheat mode intégré au jeu pour permettre aux joueurs trop habitués à notre époque de « fragiles » (!!) de parcourir quand même le jeu. Mais du coup, le troisième gros défaut apparaît d’autant plus visiblement : l’aventure est beaucoup trop courte…
Ce qui faisait beaucoup pour la durée de vie des jeux de l’époque, c’est qu’il fallait tout recommencer à chaque fois. Seul un apprentissage long et fastidieux pouvait nous emmener vers ce qu’on appelle aujourd’hui l’endgame (à l’époque, on disait juste « la fin »). Les check-points permettent de progresser beaucoup plus vite, mais réduisent de façon exponentielle la durée de vie du jeu, qui se bouclera avec un peu de bonne volonté en quatre à six heures.
Gros shoot de nostalgie, Alex Kidd in Miracle World DX est graphiquement admirable. Le gameplay, lui, fera remonter avec beaucoup de plaisir des souvenirs de joueurs aux plus vieux, mais risque de voir les plus jeunes fracasser quelques manettes contre les murs ! Le jeu vidéo a évolué, progressé, et dans le genre qui nous concerne ici, de Dead Cells à Celeste, nous n’avons plus l’habitude de perdre à cause du jeu lui-même. De même que de devoir battre des boss de fin de niveau à la chance uniquement pourrait – à raison – être accepté difficilement.
Néanmoins, on salue le travail de Jankenteam pour ce qu’il a réussi à faire d’un titre dépassant allègrement les vingt ans. Quand on pense, de plus, qu’il s’agit à l’origine d’un « petit » fan-game…! On se surprendra aussi à réaliser à quel point Alex Kidd avait à voir avec Son Goku, bien qu’on ne s’en rendait pas compte à l’époque. La petite écharpe jaune qu’il porte pour cette version DX, en plus d’amener un vrai dynamisme dans l’animation, rappellera la queue de singe du futur super-guerrier. Décidément un jeu de son époque. Peut-être moins de la nôtre…