Super Mario Bros. Le Film, le long métrage d’animation d’Aaron Horvath et Michael Jelenic qui connaît actuellement un grand succès en salle, vient mettre fin à une malédiction vieille de trente ans pesant sur les films inspirés de jeux vidéo, et qui les condamnait jusqu’ici à n’être au mieux que des nanars (au moins, on en rigole), et au pire, des films médiocres si peu intéressants qu’ils ne provoqueront même pas la moquerie (qui se souvient qu’il y a eu un film Need for Speed ?). Malédiction qui date justement de la sortie de Super Mario Bros., version live-action de 1993.
On ne reviendra pas sur la plus infamous des adaptations cinématographiques de jeux vidéo, devenue aujourd’hui un sujet d’étude, comme un contre-exemple parfait, à tel point que malgré sa réputation et l’accueil qui lui a été fait, le premier film Super Mario Bros. connaît encore en 2023 les honneurs d’une sortie Blu-Ray. Le ratage du film aurait pu servir d’épouvantail, et décourager les producteurs pour au moins dix ans d’utiliser des licences de jeux, d’autant que le média n’avait pas encore l’aura qu’il a aujourd’hui. C’est mal les connaître.
Ainsi, dès 1994 sort un film Double Dragon que tout le monde a oublié, avec pourtant un casting notable, incluant Marc Dacascos (Le Pacte des Loups), Alyssa Milano (Commando, Charmed) et Robert « T-1000 » Patrick en grand méchant. Deuxième essai, deuxième catastrophe industrielle avec moins de 2,5 millions de dollars de recettes pour un budget estimé à presque 8 millions de dollars.
Et pourtant, suivront Street Fighter (avec Van Damme), Mortal Kombat (avec Christophe Lambert), une longue série de films Resident Evil, Hitman (deux films !), Tomb Raider, World of Warcraft, Assassin’s Creed, et de nombreux films de série Z signés Uwe Boll : Alone in the Dark, House of the Dead, Bloodrayne… Tous ne sont pas si mauvais (mais aucun n’est bon), et tous ne sont pas des échecs commerciaux, mais de façon générale, cela ne vole pas très haut, et même souvent, ça creuse… On signalera l’exception Silent Hill, qui est aussi apprécié parce que surnageant dans cet mare de médiocrité que représentent les adaptations de Doom, Max Payne ou Tekken. Trente ans plus tard, Mario vient lui-même exorciser cette malédiction qui pesait sur les adaptations de jeux vidéo au cinéma. C’est avec Mario que cela a commencé, c’est avec lui que la parenthèse se referme. Il n’y a pas de coïncidence !
Bien entendu, d’autres œuvres sont venues assister le plombier dans les travaux. Ainsi, Tetris, le film sorti sur Apple TV+ une semaine tout pile avant les aventures au Royaume Champignon, est contre toute attente un thriller très efficace. Une version légèrement romancée des aventures de Hank Rogers, passé à l’Est à l’époque de l’URSS pour essayer d’obtenir les droits d’exploitation du jeu pour l’Ouest. Il y a du Mission Impossible et du Argo (Ben Affleck) dans ce film. De l’amour du jeu vidéo aussi (« It’s poetry. Art and math, all working in magical synchronicity. It’s… It’s the perfect game. », entend-on le personnage principal s’extasier). Mais le film Tetris n’adapte pas exactement le jeu (évidemment, pour nous. À Hollywood, par contre…), contrairement à Super Mario Bros. version 2023.
Le film est une excellente adaptation des jeux Mario dans leur ensemble. On y croisera du Mario 2D, du Mario 3D, bien évidemment du Mario Kart et du Super Smash Bros. Même Jumpman (le nom du personnage dans Donkey Kong, en 1981), Super Mario Maker ou Luigi’s Mansion auront leur clin d’œil. Tous les personnages gravitant autour du plombier auront droit à leur petite apparition, tout comme Charles Martinet, le doubleur du moustachu depuis 1990, qui fait plusieurs caméos réjouissant dans le film (V.O. impérative !).
Et ce que réussit très bien le film, c’est qu’il enchaîne les clins d’œil et références de façon assez naturelle, nous donnant l’impression qu’il le fait toujours dans le cadre de son scénario. On notera que les clins d’œil ne sont d’ailleurs pas tous centrés sur les IP de Nintendo, le film intégrant une B.O. dans laquelle quelques morceaux cultes de l’histoire de la pop (Beastie Boys, A-Ha, AC/DC…) se trouvent une petite place entre les thèmes des différents jeux, superbement réorchestrés. Ce faisant, Mario s’inscrit réellement comme une pièce de cette pop culture, et plus seulement comme l’un des personnages les plus connus du jeu vidéo : l’un des personnages les plus connus. Tout court.
S’amusant beaucoup devant le film, malgré une histoire assez basique et convenue, on aurait envie de se demander comment recevrait le film quelqu’un qui ne connaît pas Mario. Sauf que ce quelqu’un n’existe pas. À des degrés différents, d’accord, mais tout le monde connaît Mario.
C’est l’une des choses qui a changé depuis 1993. Mario, et le jeu vidéo dans son ensemble, ne sont plus ce qu’ils étaient il y a trente ans. Alors que le jeu vidéo courait derrière le cinéma avec des adaptations vidéoludiques aussi peu glorieuses que les films que nous mentionnions plus haut, c’est aujourd’hui le cinéma qui vient chercher le jeu vidéo. L’industrie du gaming représente aujourd’hui des sommes plus importantes que celles cumulées générées par l’ensemble des autres industries culturelles (cinéma, musique, édition). Et l’actualité croisée du cinéma et du jeu vidéo nous le montre bien : alors que les salles sont désertées, les consoles de jeux n’ont pas le temps d’arriver en rayon qu’elles sont déjà épuisées ; alors que les derniers films Marvel et DC sont des échecs cuisants (Ant-Man et la Guèpe et Shazam: La Rage des Dieux ), Super Mario cartonne au box-office mondial, ayant déjà obtenu le record des revenus pour un film d’animation lors de sa semaine de sortie, et visant désormais le milliard de dollars de recettes !
Réjouissant ? Rien n’est moins sûr… Les films Sonic et Detective Pikachu avaient déjà montré que le jeu vidéo au cinéma pouvait à peu près tenir la route pour le public, et surtout, se montrer rentable. L’accueil dithyrambique réservé à la série The Last of Us (certes, à la télévision) et le succès inattendu (à ce niveau-là) de Super Mario Bros. vont probablement être un tournant. Découvrant les chiffres du film estampillé Nintendo, les producteurs hollywoodiens ont assez certainement organisé des réunions imprévues afin d’identifier les licences qui pourraient être rapidement exploitées, et vont maintenant lancer des restructurations internes pour se désengager du super-héros à toutes les sauces, et nous faire plutôt du jeu vidéo à toutes les sauces…
Des futurs films Street Fighter et Five Nights at Freddy’s viennent d’ailleurs d’être annoncés. Après Mario, on repart pour trente ans de nanars ?
(Une indication qui pourrait expliquer les réussites à la fois de Tetris et de Super Mario Bros. : la présence dans les deux films du morceau de Bonnie Tyler « I need a hero »… Chanson porte-bonheur ou incantation plus mystique qui conduit au succès, on n’en saura pas plus. Toujours est-il qu’on ne saurait que trop conseiller au futur réalisateur de Street Fighter de faire figurer le morceau dans son film…)
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