Ce 28 septembre était lancé le coup d’envoi de la collaboration entre le Musée Van Gogh et Pokémon. Cette collaboration, annoncée pour les cinquante ans du musée, avait déjà bénéficié d’une bande-annonce qui mettait les formes, avec Pikachu et Évoli se promenant au milieu d’un champ d’Héliatroncs, sous un ciel faisant référence à La Nuit Etoilée, l’un des tableaux les plus célèbres du peintre. Cependant, l’événement tourne au cauchemar lorsqu’une carte représentant Pikachu dans le style de l’artiste est rendue disponible au musée, attirant le flair des scalpers.
La collaboration avec le musée Van Gogh était alors très attendue et allait permettre à de nombreuses personnes de découvrir l’univers du peintre de manière ludique et simple. L’événement garde bien entendu un aspect commercial, avec des objets à l’effigie de la collaboration mis en vente. Peluches, figurines, puzzles, sacs à la fois disponibles sur place au musée, et en ligne, sur les différents sites du Pokémon Center. The Pokémon Company propose ainsi un événement accessible et éducatif… ou la recette d’une grosse déception, lorsqu’on voit l’accueil du public.
Au cœur de cette collaboration se trouve justement une série d’illustrations réalisées autour de l’œuvre du peintre. On y retrouve des inspirations provenant de tous les aspects des tableaux de Van Gogh : dans la composition, dans les sujets choisis, même dans le trait inspiré de son style caractéristique. Une collaboration qui fait sens, lorsqu’on sait à quel point l’artiste a été inspiré par l’art japonais pendant sa carrière.
« J’envie aux Japonais l’extrême netteté qu’ont toutes choses chez eux. Jamais cela n’est ennuyeux et jamais cela paraît fait trop à la hâte. Leur travail est aussi simple que de respirer et ils font une figure en quelques traits sûrs avec la même aisance, comme si c’était aussi simple que de boutonner son gilet. » – Lettre de Van Gogh à son frère Théo, le 17 septembre 1888
Van Gogh est particulièrement marqué par les estampes japonaises, qu’il collectionne et utilise comme inspiration au cours des années 1880. Il s’agit de l’un des points d’appui de la collaboration, qui est régulièrement souligné par les responsables de la collaboration, Emilie Gordenker, directrice générale du musée, et Mathieu Galante, responsable des concessions de licences chez The Pokémon Company. Van Gogh voyait le Japon comme un idéal utopique, il en étudiait l’art avec beaucoup de passion.
Ainsi, cette collaboration coule de source, et les illustrations produites par les artistes de The Pokémon Company s’inscrivent parfaitement dans l’héritage de l’artiste influencé par le japonisme de la seconde moitié du XIXe siècle. On y retrouve différents tableaux parodiés, tout comme Van Gogh lui-même était habitué à reprendre des compositions d’estampes dans ses propres projets.
Ces illustrations mêlant l’univers de Pokémon et de Van Gogh se retrouvent mises en valeur sur les différents objets souvenirs disponibles à la vente, et font donc le petit souvenir idéal à rapporter de sa visite du musée. En plus de ces objets en vente, la fameuse carte Pikachu s’inscrit dans la visée éducative de la collaboration. Celle-ci étant indisponible à la vente, il faut prendre part à la chasse au trésor lancée dans le musée, dans laquelle les visiteurs doivent recueillir des informations sur le peintre afin de répondre à diverses questions avant de pouvoir réclamer leur prix.
La collaboration, bien pensée dans la forme, semblait avoir un juste mélange de ludique et d’éducatif. Elle permet de rassembler jeunes et moins jeunes, qui n’ont pas forcément une sensibilité artistique les ayant menés à connaître le travail de ce grand peintre et à prendre meilleure connaissance d’un pan important de la culture artistique européenne du XIXe siècle.
C’était sans compter sur des requins venus mettre leur grain de sel dans l’événement. Les scalpers, des spécialistes de la spéculation autour des objets de collection, après avoir entendu parler de la fameuse carte, allaient forcément pointer le bout de leur nez. C’est une évidence lorsqu’on connaît les prix auxquels peuvent s’écouler certaines productions des jeux de cartes les plus populaires du moment. Ce sont des images de marées humaines dans le hall du musée qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux, laissant entrevoir l’ampleur du problème.
Dès ce premier jour, le musée est dévalisé, qu’il s’agisse des cartes ou des objets en vente, par des personnes avec une attitude extrêmement irrespectueuse, se targuant de prévoir se faire un petit pactole en revendant la carte et les objets. Cela n’a pas coupé : le jour même, la carte « Pikachu au chapeau de feutre » s’est retrouvée en masse sur Ebay, avec des prix dépassant facilement les 1 000€.
Pire encore, pour ajouter à la violence de l’événement, les sites officiels Pokémon Center ont bien entendu été eux aussi dévalisés, tous les objets – accompagnés de leur carte promotionnelle, bien entendu – étant apparus en rupture de stock en moins de quelques minutes.
L’ouverture de l’événement, ruiné, met un coup à l’image de marque de The Pokémon Company. Cela fait plusieurs années que l’entreprise est aux prises avec ces problèmes de scalping. Il n’est pas rare, lors de la sortie d’une nouvelle collection, que cette dernière soit complètement écoulée avant même d’atteindre les étagères des magasins spécialisés et des grandes surfaces.
S’il semblait que, lors de ces derniers mois, The Pokémon Company réussissait à quelque peu endiguer le problème grâce à la production d’un plus grand stock, ce qui crée plus d’offre et donc réduit la possibilité de jouer sur la rareté de l’objet, cette collaboration semble être un grand bon en arrière.
Il était évident que les scalpers allaient sauter sur une telle occasion, mais The Pokémon Company a été incapable de se prémunir efficacement. Tout comme leurs jeux vidéo, leur gestion de l’événement et de la crise qu’il cause démontre l’amateurisme sans faille de la firme, qui ne semble pas être au courant qu’elle a entre ses mains la licence la plus rentable au monde. Il n’est pas suffisant de laisser l’incident survenir, puis de publier un simple message d’excuse sur fond blanc.
Ce n’est pas la première fois que The Pokémon Company collabore avec un musée autour d’un artiste européen : déjà en 2018 et 2019, le Tokyo Metropolitan Museum avait collaboré avec la firme autour du peintre norvégien Edvard Munch lors d’une exposition dédiée à l’impressionniste. Tout comme Van Gogh, il s’agit de l’un des peintres les plus marquants de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment grâce à son tableau « Le Cri » (1897), une œuvre qui représente l’artiste se couvrant les oreilles alors qu’il voit et entend un « cri infini qui déchirait la nature ».
Là aussi, des cartes inspirées du chef-d’œuvre de l’artiste avaient été distribuées. Cette fois-ci plus nombreuses, on en retrouvait différentes variantes : qu’il s’agisse de Brindibou, Pikachu, Évoli ou Mimiqui, chaque fan pouvait retrouver un Pokémon qui lui plaisait mis aux couleurs de l’œuvre d’Edvard Munch. Aujourd’hui, le Pikachu de cette collection oscille entre 1 700€ et plus de 3 000€ sur les sites spécialisés dans la vente de cartes.
Pourtant, l’événement n’avait pas déclenché de mouvements de foule aussi spectaculaires : nulle part sur les réseaux sociaux il n’est possible de trouver des vidéos du Musée Métropolitain de Tokyo à Ueno attaqué par les masses humaines comme l’a été le musée Van Gogh
Alors, il est certain que le mouvement des scalpers a pu être influencé par la popularité de cette collection inspirée d’Edvard Munch. Cependant, il est également très probable que la nouvelle popularité qu’ont trouvée les jeux de cartes à jouer et collectionner depuis la période Covid soit également à blâmer : c’est vers cette période que les prix des cartes ont explosé, certaines se retrouvant à un prix multipliant par dix celui d’origine, sans vraiment redescendre depuis.
Cependant, c’est loin d’être une excuse : cette situation n’est plus récente, et The Pokémon Company ne semble pas chercher à endiguer le problème pour de bon. S’il est difficile, voire impossible, de se débarrasser des scalpers, il est clair qu’aucune réelle prise en charge des risques par The Pokémon Company n’a été effectuée. C’est bien malheureux : des collaborations de cette ampleur semblent alors perdre leur sens. Elles risquent également d’être plus rares, puisqu’au-delà de ruiner l’événement pour beaucoup de monde, cette attitude des scalpers a dérangé le bon fonctionnement du musée, voire aurait pu être dangereuse.
Dommage, l’initiative est réellement appréciable. L’absence de carte ou de merchandising n’empêche bien entendu pas d’en apprécier l’art et l’exposition, mais cela rend clairement l’expérience plus amère. En plus de priver les visiteurs d’un beau souvenir, de tels débordements placent les licences de jeux vidéo en dessous de ce qu’elles méritent : elles ne redeviennent que de simples objets de consommation, reproductibles en masse, faits pour assouvir un désir primaire de possession plutôt qu’appeler à une réelle contemplation.
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