Naughty Dog a récemment annoncé une nouvelle mise à jour pour The Last of Us Part II Remastered, disponible gratuitement sur PS5 et PC, ajoutant un mode « chronologique », qui permettra au joueur de vivre les événements dans l’ordre réel de leur déroulement, sans flashbacks, sans ruptures, sans miroirs narratifs. Sur le papier, c’est une curiosité. Dans les faits, c’est une relecture. Et au fond, c’est un geste qui interroge.
Car The Last of Us Part II n’est pas un jeu dont la narration éclatée est là pour servir le récit. Son montage complexe, ses allers-retours entre Ellie et Abby, ses temporalités croisées, sont le cœur même de sa proposition. C’est dans ce tissage volontairement entremêlé que le jeu plonge le joueur dans l’inconfort moral, qu’il déconstruit ses attentes, qu’il force à comprendre l’autre, quitte à le faire à contrecœur. Le dérouler en ligne droite, c’est lisser l’expérience. L’adoucir, peut-être. Mais aussi l’amputer.
Le solo ou le service ?
Cette initiative n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large et assez récent : celui de l’exploitation continue de jeux purement narratifs, conçus à l’origine comme des œuvres closes. Là où le jeu-service s’assume comme une plateforme évolutive (GTA Online, Fortnite, Destiny 2…) certains titres solo, eux, semblent forcés de rentrer dans ce moule. Mais à quel prix ?
Dans le remake de Dead Space (2023), on redonne la parole à Isaac Clarke. Le silence du personnage original n’était pas un oubli : il faisait partie de la mise en scène, du sentiment d’isolement, de l’effroi. En lui donnant une voix, on cherche une immersion plus « cinématographique », mais on modifie profondément l’ambiance du jeu, son rythme, et la place du joueur.
Même logique pour NieR Replicant ver.1.22 : le remake ajoute des éléments narratifs absents du jeu de 2010, des clins d’œil, des ponts, dans une volonté de « reconnecter » artificiellement le titre à l’aura culte de NieR: Automata. Une sorte de rétro-raccord forcé, là où l’œuvre originale n’appelait pas forcément de suite.
L’illusion du « plus »
Le problème n’est pas d’offrir davantage de contenu. Ce n’est pas une question de quantité, mais de posture. Le risque est de glisser vers une logique d’empilement, où le « plus » devient un argument de vente, au détriment de la forme pensée initialement. Alan Wake Remastered a ainsi été réédité avec des ajustements graphiques minimes et sans ses contenus additionnels d’origine, puis réinscrit dans le Remedyverse avec Alan Wake II, au prix, là encore, d’un glissement de ton, et d’un changement de registre narratif.
On pense aussi aux Resident Evil Remake modernes qui, en adoptant une caméra libre et une direction plus orientée action, trahissent en partie ce qui faisait la puissance évocatrice des originaux : le point de vue imposé, pensé comme un outil de mise en scène, presque hitchcockien, au service du malaise et du suspense. En “modernisant”, on fait une croix sur une vraie intention de réalisation. Et en rendant tout plus accessible, plus fluide, on perd la rugosité qui faisait la singularité de l’expérience initiale.
Patch ou coup de scalpel ?
Ces jeux, surtout, n’étaient pas conçus pour être rejoués éternellement, ni pour muter à chaque génération de consoles. Leur narration était un équilibre fragile, un puzzle fermé, un récit fini. Leur redonner vie, ce n’est pas un mal en soi. Mais quand la démarche consiste à réinjecter de l’inédit dans les interstices, non pour enrichir, mais pour recycler, alors c’est l’intégrité de l’expérience initiale qui vacille.
Le jeu vidéo narratif n’est pas un bac à sable. C’est une œuvre de rythme, de silences, de montées, de cassures. Lui appliquer les logiques du jeu-service, c’est aussi absurde que si, au cinéma, l’on proposait de prolonger Princesse Mononoké avec des scènes inédites, ou de remonter Memento dans l’ordre chronologique: on finit par démystifier ce qui devait rester opaque, et disséquer ce qui avait été pensé pour être ressenti d’un bloc.
La fausse promesse de l’exclusif
Ces ajouts ne sont souvent qu’un prétexte pour justifier une énième version « remasterisée » ou « définitive », quand bien même le public les possède déjà sur une ou deux générations précédentes. Ils deviennent alors l’argument marketing central, la promesse du « jamais vu », quand bien même ils trahissent l’intention de départ.
Alors oui, The Last of Us Part II en mode chronologique peut séduire les complétistes, les curieux, les fanatiques. Mais il incarne aussi un symptôme : celui d’une industrie qui peine à lâcher prise, qui recycle même ce qui n’est pas fait pour l’être. Une industrie qui, parfois, oublie que certaines histoires méritent d’être racontées une seule fois. Et dans un seul sens.
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