Manor Lords fait partie de ces jeux indépendants qui semblent trop beaux pour être vrais, trop ambitieux pour arriver à terme ou trop intéressants pour ne pas être une arnaque. Et pourtant, développé par Slavic Magic, unique développeur à temps plein sur le projet, le jeu va bel et bien arriver entre nos mains en avril 2024.
Mais Manor Lords n’est pas qu’un jeu intéressant, c’est une petite révolution qui a lieu dans un genre en pleine stagnation, au sein d’une industrie du jeu vidéo où les passions sincères des développeurs disparaissent au gré des controverses et de l’avarice généralisée qui s’assume de plus en plus.
Un vent de fraîcheur pour le genre des jeux de stratégie
Qu’est-ce que Manor Lords ? C’est un jeu de stratégie et de gestion en temps réel, à la manière des Age of Empires (et feu les Empire Earth), mais en plus profond, plus poussé, plus réaliste et, finalement, flirtant avec une certaine dimension de simulation. Contrairement aux stéréotypes des jeux de stratégie où un paysan va construire dix maisons et un château-fort en deux minutes, tout seul et armé de son petit marteau, les choses seront ici plus progressives et visuellement authentiques. Partant d’un modeste village, votre fief deviendra de plus en plus urbanisé et animé tout en s’étendant au gré des conquêtes et de l’enrichissement.
Les routines de la population sont particulièrement soignées, et ce n’est pas sans rappeler Ubisoft qui a reproduit des modes de vie aussi authentiques que possible dans sa trilogie d’Assassin’s Creed en monde ouvert. Il faut rendre l’hommage là où il est dû, et le studio français a su respecter l’Histoire en partageant avec nous autant que possible le quotidien de la société égyptienne dans Origins, la vie urbaine des Grecs classiques dans Odyssey et la vie artisanale anglaise dans le Wessex.
Le jeu de Slavic Magic s’inscrit dans cette lignée et va proposer une reconstitution du mode de vie médiéval de la fin du XIVe siècle en Franconie, ce qui plaira tout autant aux fans de jeux de stratégie qu’aux fans d’Histoire, et on sait que bien souvent ces deux publics se rejoignent.
Manor Lords, ce n’est pas que des soldats qui se tapent dessus, des ouvriers qui construisent et votre personnage qui déambule dans son fief. Non, c’est aussi un jeu étonnamment poussé incluant la recherche d’innovations technologiques, des relations diplomatiques avec les seigneurs voisins, de la revendication de terres et les contraintes des saisons sur votre petite économie. Un jeu aussi complet et soigné ne peut qu’inquiéter une concurrence qui se satisfait de la stagnation de ses franchises, ce qui nous amène notamment au mastodonte du genre qui devrait prendre des notes, du moins s’il finit par se réveiller.
Un « Total War killer » ?
On ne présente plus les Total War, une franchise de jeux représentant un genre et une niche à elle seule. Un monopole absolu de Creative Assembly, faute de concurrence sérieuse, laissant le studio aux lauriers flétris paresser et se contenter de produire des jeux clonés ad nauseam.
Une nonchalance hautaine que le studio britannique semble désormais payer au prix fort, allant de flops en désastres et transformant ses poules aux œufs d’or en coqs se tenant fièrement sur des tas de fumier. Désormais confrontée au désamour de ses fans historiques, la franchise voit un autre jeu arriver sur le genre de la stratégie en temps réel, et, ironiquement, proposer une ambition qu’elle aurait dû elle-même initier.
Des archers qui tirent en volée ou en feu à volonté ? La possibilité de choisir son blason et construire sa dynastie à partie de rien comme dans un Bannerlord ? Des combats dynamiques et fluides où ne se forment pas d’énormes blobs ? Des bannières qui claquent au vent sur le terrain et sur les murs de nos villes ? Des batailles décisives où chaque tué dans vos rangs est un sujet en moins dans vos cités, rendant les pertes réellement importantes ?
Manor Lords propose tout cela alors que les experts en la matière s’en abstiennent. On espère donc que nos amis britanniques vont se réveiller de leur torpeur qui dure depuis un certain nombre d’années et proposer de réelles innovations dans les jeux futurs. D’ici là, on souhaite que le jeu de Slavic Magic s’installe sur un trône laissé vacant et négligé et, peut-être, initie l’émergence d’une concurrence sérieuse et solide dans un genre où régnait de manière monopolistique CA.
De l’importance de soutenir les jeux indépendants
Au-delà de ce que le jeu propose, il importe de se souvenir qu’il s’agit du labeur d’un seul développeur, réalisant la plupart des assets, le gameplay, tout le code et l’animation des personnages. 2023 nous avait déjà offert l’incroyable Baldur Gate’s 3, un jeu indépendant et vendu totalement complet, sans battlepass ni DLC et bénéficiant de mises à jour extrêmement rapides de la part des développeurs. Et, comme Manor Lords, un jeu construit progressivement en tenant compte du feedback des joueurs pour l’améliorer et répondre aux attentes du public visé.
Nous sommes à un point où de grands mastodontes du jeu vidéo se contentent de proposer des clones insipides, ne bouleversent rien de leur formule et se permettent d’augmenter les prix ou d’opter pour des modèles économiques toujours plus prédateurs sans que la qualité ne suive cette hausse tarifaire. Les DLC des Total War sont passés de 10€ à 25€ en une année, le prochain Call of Duty est un DLC du jeu précédent déguisé en jeu à part entière vendu 70€ tandis qu’Overwatch 2 vend des cosmétiques à 40€, soit le prix du premier Overwatch avant que le jeu ne passe en free-to-play. Voilà l’état de l’industrie aujourd’hui.
Si par le passé nous avions déconseillé d’acheter Shadows of Change pour Total War: Warhammer III, nous ne pouvons cette fois que recommander chaudement aux joueurs de garder un œil sur Manor Lords qui, par-delà la promesse d’offrir un jeu soigné et développé avec passion, représente également une certaine manière d’envisager l’industrie du jeu vidéo et les joueurs. Une certaine approche de notre loisir commun qui paraît plus respectueuse et passionnée.
Dans ce monde de l’industrie du divertissement qui nous est si cher, nous ne pouvons voter qu’avec notre argent seulement. Essayons donc de récompenser ceux qui méritent de l’être et de ne pas cautionner les pratiques motivées par l’avarice et la déconsidération.
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