Et si à se concentrer sur les boîtes, on en oubliait les jeux ?
Pour beaucoup, le démat’, c’est le mal. En nous imposant de plus en plus le format numérique, l’industrie nous dépossède de nos jeux, nous prive du marché de l’occasion, et nous force à racheter les jeux encore et encore au gré des arrivées de nouvelles machines.
Ajoutons à cela la désagréable sensation de se faire voler, un jeu dématérialisé coûtant souvent le même prix qu’en magasin alors même qu’il n’a nécessité ni impression, ni transport, ni stockage en entrepôt…
Bref, le démat’, c’est le mal, et les « vrais » joueurs ne jurent que par les versions physiques, tout comme les mélomanes continuent de n’écouter leurs albums qu’en vinyles, jurant que les CD retirent son âme à la musique (le fameux son « chaleureux » de la galette noire…).
C’est dire si notre époque est maudite ! Depuis que Steam a relancé le marché du jeu PC et en même temps fait complètement disparaître les jeux en boîte pour ce support, le phénomène s’étend, et draine de plus en plus de joueurs, parfois avec de vicieux appâts, comme les jeux gratuits proposés par l’Epic Games Store…
Nouvelle étape dans la dématérialisation totale du jeu vidéo : après avoir supprimé les supports, l’industrie supprime les données, et presque les machines ! Ils appellent ça le cloud gaming, et c’est la dernière révolution du jeu vidéo. On peut désormais jouer à la PlayStation ou à la Xbox… sans PlayStation ni Xbox, via le PS Now ou le Game Pass…!
Et si on adhère à ce qui a été dit plus haut, c’est dans l’incompréhension la plus complète qu’on constate le succès de ces services. Sommes-nous donc complètement idiots pour nous laisser prendre au jeu (si je puis dire !), et laisser l’industrie nous faire les poches de la sorte ? À moins que nous y trouvions notre compte…
On connaît la chanson
Reprenons l’analogie avec l’industrie de la musique. Avec la généralisation du MP3 et l’apparition de boutiques du type iTunes, nombreux étaient ceux qui criaient haut et fort combien ils préféraient l’objet, l’importance qu’avait la pochette… On parie qu’ils ont (presque) tous aujourd’hui un compte Deezer ou Spotify ?
Simplicité, immédiateté, et intégralité auront convaincu jusqu’aux plus réticents. Pour le prix d’un seul album, plus besoin de changer de disque après 12 titres, et la totalité (ou presque) de l’histoire de la pop musique est disponible dans sa poche, partout, tout le temps.
Sans compter les playlists, les algorithmes qui nous aident à découvrir de nouveaux artistes – ce que la radio ne fait plus… Bref, on a perdu l’objet disque, mais on n’a jamais autant écouté de musiques.
Pourquoi en serait-il autrement du jeu vidéo ? Alors oui, le dématérialisé n’est pas sans causer quelques problèmes. On l’a vu par exemple avec la disparition de Scott Pilgrim vs. The World, jamais sorti en version physique, qui est resté introuvable pendant une dizaine d’années (souci en passe d’être corrigé grâce à une ressortie du jeu).
Les jeux Danganronpa sont brièvement devenus inaccessibles suite à la perte de la licence par leur éditeur (licence récupérée depuis par un autre éditeur, permettant le retour des jeux sur le PS Store). Et que dire des dizaines (centaines ?) d’exclusivités Wii jamais sorties en boîte, perdues pour toujours suite à la fermeture des serveurs de la console…
L’autre problème, c’est la difficulté de rejouer à des jeux dix ou quinze ans après leur sortie. Si les serveurs de la machine ferment, on perd l’accès à toute notre bibliothèque (sauf à avoir tout téléchargé sur la console, et à condition que celle-ci tienne le coup…).
Ces soucis sont bien réels, et il n’est pas question ici de les nier. Mais de voir, en échange de ces désagréments, ce que nous avons à y gagner.
Sapés Jouer comme jamais
Des services comme Apple Arcade, le Game Pass, le PS Now et bientôt Luna, d’Amazon, coûtent moins de 10€ par mois. Pour ce prix, on a accès à des centaines de jeux, de façon illimitée. On s’en plaint aujourd’hui alors qu’on en aurait rêvé il y a vingt ou trente ans. Allez dire à un gamin des 90s qui payait 395 francs sa cartouche de Sonic que non, avoir une centaine de jeux disponibles pour une dizaine d’euros, ce n’est pas si bien que ça en a l’air (pour rappel, un Sonic à 395F équivaut environ à 60€ au taux de conversion francs -> euros, mais est plus proche de 100€ en prenant en compte l’inflation depuis 1991, date de sortie du jeu) !
Avec le jeu dématérialisé, on a aujourd’hui l’occasion de jouer comme jamais, pour un prix qui n’avait jamais été aussi bas.
Et ce n’est pas le seul avantage. L’arrivée du dématérialisé, et encore plus, des services de jeux illimités nous poussent à la découverte, à s’essayer à des genres dans lesquels on aurait peut-être pas investi 60€. À ce prix, on veut être sûr de son coup, sûr d’en avoir pour son argent, et on aura tendance à rester dans sa « zone de confort », avec des genres dont on sait qu’ils nous plairont, et souvent chez les AAA.
Mais si essayer un nouveau titre ne coûte pas plus cher, alors pourquoi ne pas tenter ce puzzle game tout bizarre, ou ce jeu d’enquête en pixel art façon Zx Spectrum ?!
Et puis, soyons honnêtes, est-ce que vous auriez vraiment relancé FAST Racing League, l’exclu WiiWare clone de Wipeout (ou de F-Zero, on est chez Nintendo !) cette année ? Ou est-ce que la présence de Hot Shot Racing et de Forza Horizon 4 dans le Game Pass compense plus ou moins sa disparition ?
Bien sûr, des questions se posent, sur la juste rémunération des développeurs, par exemple, qui ne peuvent pas, contrairement aux musiciens, compenser les éventuelles pertes de revenus, entraînées par ce nouveau modèle économique, par la multiplication des concerts… Sur la conservation des œuvres, également.
Aujourd’hui, les « pirates » jouent le rôle d’agents du patrimoine. Mais sans eux, les exclus dématérialisées Wii et 3DS sont-elles vraiment perdues pour toujours ? Quid des jeux indépendants Steam qui quittent la boutique en ligne ?
Des améliorations, des protections, restent à mettre en place, notamment sur ces sujets. Le dématérialisé est clairement la plaie du collectionneur. Mais du point de vue du joueur, on n’a pas tant à perdre que ça. Au contraire, grâce au jeu dématérialisé (entre autres), on vit quand même une époque plutôt faste pour les fans de jeux vidéo !