On pousse à fond les curseurs du cynisme et du mépris.
Dans le concert de louanges et de superlatifs qui collent à Cyberpunk 2077, le crunch imposé aux salariés de CD Projekt est venu jouer le rôle du grain de sable dans l’engrenage. Pas de quoi stopper la machine, mais assez pour produire une petite musique désagréable aux oreilles, surtout à celles des responsables du studio.
Heureusement, ces derniers peuvent compter sur leurs pairs pour leur brosser leur ego dans le sens du poil, et faire regonfler un peu leur fierté. Ainsi, le fondateur des studio People Can Fly (ex-Epic Games Pologne), Adrian Chmielarz, désormais à la tête du studio The Astronauts (The Vanishing of Ethan Carter), vient au secours de la direction de CD Projekt en justifiant le crunch de la pire des manières. Un bel exemple d’entre-soi.
Chmielarz s’est en effet fendu d’un long post sur Facebook raillant ceux qui considèrent que le crunch est le résultat d’un management défectueux. Une conclusion due sans doute « à de nombreuses années d’expérience (lecture de Kotaku probablement) », écrit-il. On sent que les nombreux articles sur les conditions de travail dans l’industrie du site de référence lui sont restés en travers de la gorge…
Il déclare alors que le crunch s’explique surtout par la nature même de l’activité de développement d’un jeu, à la fois artistique et imprévisible, soumise à des calendriers sur lesquels les développeurs n’ont pas la main… Des explications basiques, qui font preuve d’une bonne dose de mauvaise foi (les studios ne pourraient, selon lui, pas se permettre d’être absents de certains événements, comme les Game Awards, au risque de voir leur jeu invisibilité… On parle tout de même de Cyberpunk 2077, le jeu le plus attendu de ces trois dernières années !), et entendues mille fois.
Mais là où il va très loin, c’est quand il nous explique que le crunch est surtout le fait… des salariés eux-mêmes ! En effet, il s’étonne qu’on pointe du doigt les manques des managers, et que dans le même temps, on s’imagine que « les employés ne font pas de pauses cigarettes, ne parcourent pas Reddit ou Facebook, ne parlent pas d’une demi-heure du cul de Marynia »…!
Voilà le nœud du problème selon un responsable de studio : l’incompétence des équipes. Tout bonnement hallucinant.
Mais admettons. Jouons un peu avec le feu, et faisons semblant de croire que l’argument n’est pas un véritable scandale, mais serait un tant soit peu recevable. Les salariés feraient preuve d’incompétence, soit. Mais qui les a sélectionnés ? Qui est responsable du recrutement ?
Le crunch, n’en déplaise à Adrian Chmielarz, est toujours le fait des managers, que ce soit un choix économique ou le résultat d’un management approximatif. Mettre en place un planning réalisable, gérer les impondérables… Ce sont bien là les tâches qui incombent aux chefs de projets et autres managers. Et quand bien même, pour une raison ou pour une autre, il ne resterait qu’une semaine pour réaliser 70h de boulot, les responsables ont toujours le choix de faire faire des heures supplémentaires à un salarié, ou d’en embaucher un deuxième…
Bien entendu, CD Projekt a souscrit à l’ensemble du discours. Lukasz Szczepankowski, lead technical designer pour les studios polonais, a ainsi commenté le post de Chmielarz :
« Je ne peux que confirmer tout ce qu’écrit Adrian Chmielarz. Et même dans les situations qu’il décrit, mon expérience m’a montré que les devs étaient relativement solidaires, où qu’ils se situent dans la pyramide hiérarchique. Je vais vous décevoir, mais les managers ne sont pas ces clichés capitalistes qui comptent leur argent en fumant des cigares […]. Sérieusement, j’ai l’impression que certaines personnes préfèreraient qu’on soit les méchants simplement pour avoir matière à alimenter leurs schémas narratifs idéologiques ».
Des devs solidaires contre vents et marées, donc, six jours obligatoires par semaines. Sauf peut-être ceux qui sont trop occupés à « parler du cul de Marynia »…
Outre le mépris pour les équipes que transpirent ces déclarations, on voit surtout que les responsables et les personnes décisionnaires dans ces affaires de crunch ne semblent pas voir qu’il y a un vrai souci, et que la pratique est problématique. On devrait donc pouvoir, et cela n’a rien de réjouissant, continuer à publier nos « schémas narratifs idéologiques » un moment encore.
Vous pourrez jouer à Cyberpunk 2077 façon GTA à vos risques et périls !
Luynan
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