Six années après la révolution qu’a été pour l’industrie Breath of the Wild, ce 12 mai dernier est sorti sur Nintendo Switch sa suite directe, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Vous n’avez pas pu passer à côté, c’est clairement le jeu de ce premier semestre, un phénomène au-delà même de celui qu’a été Hogwarts Legacy il y a peu. Après avoir été une série au succès commercial mesuré sur ses derniers épisodes, le succès insolent de la Switch et, évidemment, la réussite du virage opéré pour la saga ont fait de l’Hylien l’une des figures de proue de la firme de Kyoto avec le célèbre plombier en salopette bleue.
Mais alors que tous les yeux sont attirés par l’univers terriblement accrocheur d’Hyrule et que les joueurs s’en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux, à partager leurs découvertes et créations, y a-t-il encore quelque chose à dire sur ce titre ? D’ores et déjà annoncé comme le jeu de l’année par bon nombre d’observateurs, comme son aîné l’avait été en 2017 lors de la cérémonie des Game Awards, le dernier titre de Nintendo a-t-il les armes pour rééditer cet exploit, et damer le pion à des Hogwarts Legacy ou Final Fantasy XVI notamment ? Et surtout, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est-il vraiment à la hauteur des attentes immenses qu’il a su susciter au fil des mois ?
(Test de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom sur Switch réalisé à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Hyrule, comme sur des roulettes
En préambule, il convient de préciser un point. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous n’avons pas encore atteint complètement le dénouement du titre. Néanmoins, avec plus de 150 heures de jeu au compteur sur ces deux dernières semaines, nous pouvons affirmer sans douter avoir suffisamment éprouvé le jeu pour nous forger une solide opinion. Faut-il réellement attendre le dénouement d’un titre pour pouvoir être légitime à en parler ? Dans le cas d’un titre à la narration forte, c’est évident, mais dans The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, le voyage importe plus que la destination (bien que le scénario soit étonnamment intéressant, aux origines d’Hyrule). De fait, nul besoin d’avoir joué au précédent opus pour profiter pleinement des joies proposées dans cette nouvelle mouture.
Ainsi, si Breath of the Wild faisait la part belle à l’exploration, nous invitant à visiter chaque recoin de sa carte par une remarquable science du « World Design », faisant en sorte que de n’importe quel point où l’on se trouve, on pouvait apercevoir toujours au moins trois destinations intéressantes à portée, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom y ajoute une nouvelle strate : l’expérimentation. Et c’est sans doute là la plus grande force du titre de Nintendo. Sans renier les jalons poser par son aîné, le titre nous propose de le redécouvrir d’une manière différente, plus personnelle et donc plus unique. Aucune partie, aucun cheminement, aucune approche ne ressemble aux autres. Ici, on ne joue pas à un Zelda, on joue à son Zelda.
C’est dans cette optique que se positionnent les différents facultés inédites à notre disposition. Infiltration, permettant de traverser les plafonds en un clin d’œil, et changeant donc radicalement notre vision de certains pans du monde, et Rétrospective, une sorte de retourneur de temps à utiliser sur un objet, permettent une grande souplesse dans l’exploration et dans la résolution des énigmes environnementales. En général, trouver la solution prévue à un problème est gratifiant, mais trouver sa solution, sans qu’elle ne paraisse être celle attendue, est encore plus satisfaisant.
Mais ce qui offre encore plus de liberté, c’est bien les capacités d’Emprise et d’Amalgame, permettant d’une part de se fabriquer ses propres armes (y compris pour les flèches, offrant encore plus de possibilités), et d’en améliorer notamment la puissance ou la durabilité (même si les réfractaires à la fragilité des armes seront déçus du maintien de ce choix pour cette suite), et d’autre part de se fabriquer à peu près tout et n’importe quoi pour peu qu’on en ait l’imagination (aussi grâce à un moteur physique exceptionnel). Vous avez sans doute vu passer ici ou là des vidéos de joueurs ayant réussi à se fabriquer des engins impressionnants permettant de mettre à feu et à sang Hyrule. Ce n’est que la partie visible d’un iceberg et nul doute que dans six ans encore, de nouvelles possibilités offertes par le jeu émergeront.
Néanmoins, pour ceux qui, comme nous, ne sont pas très versés dans la fabrication de véhicules ou autres engins motorisés, il n’y a vraiment pas d’inquiétudes à avoir. Le fait que The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom mette énormément en avant son côté créatif n’implique absolument pas que l’on soit obligé de s’en servir. Nul besoin d’une carrosserie rutilante, une planche et quatre roues suffisent largement lorsque l’envie ou le besoin d’utiliser un moyen de locomotion se fait sentir. Le reste n’est qu’accessoire et chaque matériau peut être utilisé, ou non, pour sa fonction première.
Voyage voyage
Cependant, les nouveautés ne s’arrêtent pas là. Bien que le système de création ait dû occuper une bonne partie des six ans de développement, afin de le rendre suffisamment permissif pour être intéressant sans pour autant trop déséquilibrer le jeu, et le tout (prouesse incroyable en 2023) sans bug, les développeurs de Nintendo n’en sont pas restés là. On pense directement bien sûr aux îles célestes, mais ce ne sont pas les seules surprises que nous réserve l’exploration. Pourtant, passés les premiers yeux écarquillés, force est de constater que ces ajouts restent décevants quand on les compare au reste de l’univers proposé.
C’est finalement le sentiment qui s’est dégagé au fil des heures. La plupart des nouveautés proposées, en dehors des nouveaux pouvoirs et de leurs implications, ne nous ont pas pleinement convaincus. Les donjons remplaçant les décevantes créatures divines de Breath of the Wild par exemple (décevantes par leur taille et leurs boss notamment), s’ils sont très corrects, n’arrivent clairement pas au niveau de ce à quoi la série nous a historiquement habitués. Un peu scolaires, voire simplistes structurellement, on aurait aimé plus de folie. C’est d’autant plus dommage, car ils font partie de l’ADN de la saga ; ils ne sont hélas ici qu’une étape de notre aventure plutôt que d’en être son point culminant.
Entendons-nous bien néanmoins, The Legend of Zelda: Breath of the Wild était un jeu extraordinaire en 2017, et The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom l’est tout autant cette année. C’est l’aventure avec un grand A. On s’est laissé happer par cet univers et il a été bien difficile de lâcher la manette chaque soir. Il y a tellement de choses à faire, partout, tout le temps. En permanence notre regard est attiré par un papillon ludique. Les Korogus font bien sûr leur grand retour, tout comme les sanctuaires à dénicher aux quatre coins d’Hyrule. Un peu à la manière d’Elden Ring (dont les profondeurs ont aussi dû être une source d’inspiration, quoiqu’avec moins de grandiloquence), un nombre considérable de grottes sont aussi à visiter. Sans compter les nombreuses quêtes annexes à débloquer au fil de conversations avec les PNJ du jeu, certaines étant particulièrement réussies
The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom mérite les éloges que l’on entend partout, indéniablement. C’est une proposition vidéoludique rare, qu’on n’est pas près de revoir de sitôt, et dont il faut profiter au maximum, prendre le temps de vivre chaque instant et les apprécier. À ce titre d’ailleurs, nous avons particulièrement apprécié le mode d’affichage dit « Pro » permettant d’épurer l’écran, renforçant encore un peu plus l’immersion et l’envie de nous perdre complètement dans les méandres d’Hyrule.
Le jeu est pourtant loin d’être parfait, cependant, sa proposition « à la carte » offrant une liberté d’approche encore inégalée aujourd’hui (à l’exception de son aîné) en fait donc une expérience unique, parfois maladroite, mais suffisamment exceptionnelle sur ses atouts pour nous faire pardonner sans sourciller ses écueils.
Au-delà des limites
Et c’est donc là que l’on en vient au sujet principal qui anime les détracteurs du dernier-né de Nintendo. La technique, ou plutôt les graphismes, sont effectivement très en deçà des standards actuels du jeu vidéo. Très clairement, le titre aurait pris une tout autre ampleur sur une machine plus puissante, même si sur l’écran OLED de la machine hybride, il reste très joli à regarder. Mais l’important est-il là ? Est-ce vraiment sur ce terrain-là que nous attendions Nintendo ? Pas vraiment en réalité, la firme de Kyoto ne nous habituant plus depuis bien longtemps aux graphismes léchés, préférant peaufiner la finition globale de ses titres et leur intérêt ludique.
Pour autant, si les graphismes sont simples, avec des parois rocheuses parfois ignobles, et que le clipping est omniprésent, avec des apparitions de textures à des horizons pas si lointains, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est pour nous un petit bijou technique, utilisant au maximum les ressources de son support. Jamais la fluidité n’a été prise à défaut durant toute notre aventure, pas un seul bug alors qu’on a affaire à un open world immense (rappelons-le, c’est miraculeux de nos jours) et une distance d’affichage impressionnante. Alors oui, pour faire rentrer tous ces impératifs sur une console déjà technologiquement dépassée en 2017, il faut faire des concessions. En résulte donc ces couacs accompagnés de temps de chargements un peu longuets lors de nos téléportations.
N’oublions pas non plus la direction artistique de ces œuvres, bien plus marquante que de simples beaux pixels. Sur ce plan, il n’est pas sûr que nous aurions pu espérer mieux pour The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Les panoramas offerts sont remarquables. Les levers de soleil par exemple ont été chaque jour dans le jeu un ravissement sans cesse renouvelé. Les ennemis, nouveaux comme anciens, bénéficient d’un design très réussi, à commencer par le plus grand vilain de la saga qui fait son retour, plus charismatique et cruel que jamais, Ganondorf. Que pouvait-on espérer de mieux ?
The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est, comme son aîné avant lui, un titre extraordinaire, qui met en avant lui aussi l’exploration et la découverte, mais ajoute la notion d’expérimentation. Nous tenons là à nouveau un chef-d’œuvre dont on découvrira encore dans quelques années de nombreux nouveaux secrets. L’aventure promise est bien là et fait ressortir en nous le héros de la légende que l’on souhaite être. Rarement un titre nous aura autant mis aux commandes, concrètement, de son aventure.
Chaque énigme, chaque étape, chaque décision que l’on prend nous est propre et il n’a pas été rare que nous « arnaquions » différentes énigmes simplement en utilisant astucieusement les outils proposés, rendant ces résolutions encore plus jouissives. Jamais les frontières d’un jeu auront été autant explosées, laissant libre cours aux envies des joueurs. C’était certes déjà le cas dans Breath of the Wild, mais ici, avec les nouveaux pouvoirs, les possibilités sont encore plus grandes, et le plaisir exacerbé.
Mais, tout chef-d’œuvre soit-il, le titre de Nintendo n’est pas exempt de défauts et s’apparente même globalement à une version 1.5 de la production de 2017. Les corrections apportées, notamment concernant les donjons, ou les nouveaux terrains de jeu créés ne nous ont pas pleinement convaincus. Est-ce grave pour autant ? Pas vraiment. En termes de liberté dans un open world, aucun titre n’égale Breath of the Wild à l’exception de ce The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. De fait, si vous aviez déjà pris une claque il y a six ans, vous reprendrez la même claque aujourd’hui, un peu moins surprenante, mais toujours bigrement violente.