Neuvième tome des aventures de Geralt De Riv, The Witcher : La Croisée des Corbeaux en est aussi le premier. Par quelle magie cela est-il possible ? Déjà, parce qu’on parle bien ici du Sorceleur, cqfd, mais surtout, parce que le roman est en vérité une préquelle, narrant la jeunesse de celui qu’on ne désigne alors pas encore comme le Loup Blanc…
On ne naît pas sorceleur. On le devient.
Bien que l’auteur des romans, Andrzej Sapkowski, ne les porte pas dans son cœur, les jeux vidéo ont permis à Geralt de Riv de s’imposer comme une figure majeure de la fantasy contemporaine. The Witcher III, en particulier, mais aussi la série TV de Netflix, ont fixé cette image du Sorceleur que l’on a tous en tête. Pourtant, et ainsi que le rappelle le quatrième de couverture de La Croisée des Corbeaux :
« Avant d’être connu sous le nom du Loup Blanc ou du Boucher de Blaviken, Geralt de Riv était un jeune sorceleur formé à Kaer Morhen, faisant ses premiers pas dans un monde incapable de comprendre ni d’accepter ceux de son espèce. »
C’est cet « avant » que nous raconte le nouveau roman des aventures du Sorceleur, mettant en scène un jeune Geralt qui ne disposera pas encore ni de l’assurance, ni des compétences du Witcher que l’on connait. C’est ce jeune homme naïf et même parfois gauche qui va construire sa légende sur les routes du Continent. Le début du roman rappellera d’ailleurs un autre héros voyageur : Le maître du sabre Miyamoto Musashi.
Au début de La Pierre et le Sabre (Eiji Yoshikawa), Musashi s’appelle en effet encore Takezo, et est considéré comme un criminel, attaché à un arbre. C’est un moine qui le libèrera, le renommera Musashi avant d’initier sa transformation pour l’aider à devenir l’escrimeur de légende. De la même façon, dans les premières pages de La Croisée des Corbeaux, Geralt est accusé de meurtre pour être venu en aide à une jeune fille sur le point de se faire agresser par des brigands. Il sera sauvé de justesse par Preston Holt, un sorceleur expérimenté qui, comme le Moine pour Musashi, participera à transformer le frêle Geralt en effrayant Loup Blanc.
Et, clin d’œil supplémentaire, comme Takezo changera son patronyme pour Musashi, on assistera à l’ajout « artificiel » de cette particule dans le nom du Sorceleur : Geralt de Riv .
Sur la route
Préquelle oblige, on n’y rencontrera ni Yennefer, ni Vesemir. C’est ce Preston Holt, sorceleur « senior » possédant sa part d’ombre, qui assurera la dernière partie de la formation de Geralt, faisant de lui un (futur) maître de l’épée, l’entrainant aussi presque contre son gré dans un conflit entre Sorceleurs et magiciens…
Comme d’autres tomes des aventures du Witcher, La Croisée des Corbeaux est d’abord un récit de voyage (ce qu’on appellerait au cinéma un « road movie »). Et comme d’autres tomes avant lui, ce parti pris stylistique rend l’aventure parfois un peu décousue, certaines péripéties se présentant presque comme des nouvelles indépendantes.
On a régulièrement l’impression de lire une « édition complète » d’un roman-feuilleton du XIXème siècle (Le Tour du Monde en 80 jours, Le Comte de Monte-Christo…), qui serait d’abord paru de façon morcelée et épisodique dans la presse. À nouveau, on pourrait convoquer les aventures de Musashi, elles aussi d’abord publiées sous forme de feuilleton.
« Ce sorceleur attire les ennuis comme un aimant. » (p.275)
De façon générale, si l’on suit avec plaisir Geralt dans ses pérégrinations, on ne sait pas toujours où il va, ni où, que ce soit lui ou l’auteur, veulent nous emmener. La fin du volume donnera un peu de sens aux voyages de Géralt, mais on en viendra à se demander si elle n’a pas été imaginée après coup, pour donner un peu corps aux errements du personnage.
Conte philosophique
La Croisée des Corbeaux est d’abord un roman d’aventure qui nous donne à voir des combats entre un héros qu’on aime à retrouver et des monstres que l’on a pas l’habitude de voir. Et, rendons-lui justice, Sapkowski a du métier (la traductrice Lydia Cantin-Waleryszak aussi, d’ailleurs, et il est difficile de savoir ce que l’on doit à l’un où à l’autre) et il sait rendre ces scènes inquiétantes, drôles, palpitantes…
« De ce chevreuil, il ne restait pas grand-chose, le crâne, la peau, les os brisés et soigneusement sucés. Et à côté, il y avait une énorme crotte puante. Geralt se pencha sur sa selle, examina attentivement la chose. Ses soupçons se confirmèrent. Il remarqua une empreinte. Grande. Et large. D’un demi pied et demi de long. Une seule créature était dotée de panards aussi énormes. Une seule créature déféquait à l’endroit même où elle mangeait. Un schrat des forêts. » (p.212)
Mais plus étonnamment, ce volume des aventures du Sorceleur n’est pas « que » cela, et l’on pourra découvrir au détour d’un chapitre une défense du droit à l’avortement et une dénonciation du patriarcat (dans un roman d’heroic-fantasy !) qui font chaud au cœur :
« – Les gars devant la porte racontaient que… Ils racontaient qu’ils devaient chasser les femmes qui se présenteraient au temple.. Ils pensaient à …
– Je sais à quoi ils pensaient. À cette même loi selon laquelle l’aide médicale apportée aux femmes est illicite et condamnable. Bien entendu, ce sont des hommes qui ont inventé ça. Ha ! Si c’étaient eux qui se trouvaient enceintes, l‘interruption de grossesse aurait déjà été élevée au rang de saint mystère et elle se pratiquerait au son des prières et des chœurs dans des volutes d’encens ! » (p. 101)
Plus loin, un passage pourra-t-être lu comme une critique pleine d’ironie des théories du complots et autres croyances fantaisistes :
« Au début, rempli d’une ferveur propre à sa jeunesse, Geralt n’ignora aucun de ces appels à l’aide. Il s’empressa de porter secours partout où on le demandait. Son enthousiasme s’éteignit cependant à mesure qu’il devait expliquer à des familles que le grand père âgé de quatre-vingt-dix-ans -chapeau bas !- souffrait de décrépitude et de sénilité, et que ce n’était pas là le fait, ainsi que le soutenait sa famille, d’un sort jeté par une méchante voisine. Dans le village suivant, il eut le loisir d’observer les parties génitales du maire, et d’expliquer à ce dernier que non, ce n’était pas une malédiction, mais une chaude-pisse d’un stade avancé, et qu’il ne fallait pas appeler un sorceleur, mais un médecin. » (p. 125-126)
Ce nouveau tome des aventures du Sorceleur, en choisissant de se situer avant que Géralt ne soit cet aventurier respecté et craint, apporte un vent de fraîcheur appréciable sur la licence. C’est un Géralt qui manque d’assurance, parfois gauche, qui frôlera même la mort par excès d’imprudence, que l’on accompagnera tout au long du voyage. Un voyage ponctué de passages qui sembleront s’adresser directement à notre époque, rendant l’ouvrage et son auteur bien plus sympathiques à nos yeux qu’on ne l’aurait imaginé de prime abord, à nous, qui trouvions les premiers volumes pas forcément à la hauteur des qualités d’écriture du jeu The Witcher III.
Parce que c’est une préquelle, La Croisée des Corbeaux ne nécessitera pas de connaître plus en avant l’univers de The Witcher, et devient de ce fait LE tome à conseiller à quelqu’un qui voudrait se lancer dans la lecture des aventures du Sorceleur !
The Witcher La Croisée des Corbeaux
par Andrzej Sapkowski, traduit du polonais par Lydia Cantin-Waleryszak
édité par Bragelonne
316 pages, 17,95€
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