Tout le monde connaît Tetris, qu’on soit joueur ou non. On connaît moins son histoire, cachée derrière nombre de légendes. Certains s’imaginent ainsi que le jeu est né sur Game Boy, il se raconte aussi que le créateur du jeu n’a jamais touché un centime sur les ventes monumentales du titre. L’histoire de Tetris, celle que raconte la BD de Box Brown, « Tetris. Jouer le jeu« , est en vérité bien plus complexe que ces mythes urbains, bien plus riche aussi.
« Tetris. Jouer le jeu » (« Tetris. The Games People Play » en V.O. – notez l’emploi du pluriel qui n’a pas été retranscrit par la traduction) nous permet d’assister à la création, au milieu des années 80, du plus grand puzzle-game de l’histoire. Alekseï Pajitnov est un scientifique russe passionné de jeux et d’informatique, à une époque où les deux n’étaient pas aussi liés qu’aujourd’hui. On sort en effet difficilement du crash des jeux vidéo, et Nintendo n’a pas encore réalisé son incroyable hold-up sur l’industrie.
Pajitnov s’amuse, sur son temps libre, à adapter sur ordinateur des jeux de société et autres casse-têtes. Parmi ceux-là, un jeu qui consiste à placer des pièces en bois de différentes formes, chacune constituée de cinq carrés unitaires, et appelées pentaminos. Évidemment, une fois le jeu adapté, les pièces ne seront plus constituées que de quatre petits carrés et rebaptisées tetraminos, et le jeu séduira tous ceux qui auront alors la chance de s’y essayer.
Le rideau de fer divise encore le monde en deux, et le business est uniquement géré par l’état. Alekseï Pajitnov n’a donc pas le droit de simplement vendre son jeu. Cela ne lui vient même pas à l’idée, et le jeu est distribué de la main à la main à ses amis et connaissances. Mais son effet est tel que la réputation du titre va se répandre comme une traînée de poudre, et même franchir le mur de l’URSS.
« Tetris. Jouer le jeu » nous raconte alors le ballet particulièrement complexe des distributeurs qui vont essayer de négocier les droits sous toutes les formes (jeux d’arcade, PC, consoles, etc.) pour leurs différents pays. La situation du jeu, n’appartenant pas tout à fait à une compagnie, rend la chose encore plus difficile. Et on a bien du mal à suivre, malgré l’apparente naïveté de l’ouvrage ?!
Et au-delà de ces histoires de droits et de distribution, ou plutôt à travers elles, on réalise à quel point Tetris concentre tout un pan, plusieurs même, de l’histoire du jeu vidéo. La BD nous donne à voir, à travers le prisme de la création de Tetris, l’arrivée façon tornade de Nintendo sur le marché du jeu vidéo, mais aussi la guerre des consoles (avec Atari comme acteur principal, à l’époque), le déplacement du marché de l’arcade vers les consoles à la maison, puis l’émergence du jeu portable, et même les très contemporaines pénuries de composants, qui avaient déjà défrayé l’actu jeu vidéo dans les années 80…
Et même plus loin que la petite histoire de l’industrie vidéoludique, Tetris fut aussi le témoin privilégié, presque un acteur, de l’Histoire, la grande, celle des frises et des manuels scolaires. Son succès fulgurant aura ainsi forcé le passage de l’économie de marché en URSS, métaphoriquement, mais aussi littéralement : l’ouvrage nous raconte en effet comment Henk Rogers, de Bulletproof Software, s’est rendu en URSS, pénétrant candidement dans un bâtiment gouvernemental interdit au public pour négocier les droits de Tetris afin de le distribuer sur le Game Boy encore à l’état de prototype.
Sans être réellement l’étincelle qui mit le feu au poudre, Tetris fut en 1985 l’un des rares produits culturels issus de l’URSS à passer le rideau de fer, et à entrer à ce point dans l’économie de marché. Le jeu sort en effet officiellement « à l’Ouest » sur PC en 1988. L’année suivante, le Mur de Berlin s’effondre, et avec lui l’empire soviétique.
Une création vraiment à part, donc, qui a eu une vie particulièrement riche. Quant à son auteur… Il vous faudra lire l’ouvrage de Box Brown pour savoir s’il est vrai qu’il n’a jamais pu profiter du succès de son œuvre ! L’ouvrage est passionnant, et son style graphique naïf, sans fioriture, et fidèle à l’œuvre qu’il raconte en trois couleurs – les graphismes de Tetris et des jeux de l’époque étaient eux aussi dépouillés.
Malgré son origine américaine, la BD ne tient pas tant du comic book tel qu’on se l’imagine (DC, Marvel et consorts) que du reportage dessiné qui tente de s’échapper de son genre littéraire (la BD) en essayant d’imposer le terme de roman graphique (même si l’ouvrage a plus à voir avec une biographie qu’avec un roman). Box Brown s’était auparavant rendu célèbre avec une biographie dessinée du catcheur André le Géant (« André le géant – La vie du géant Ferré », en 2014) restée durant trois semaines dans la liste des meilleures ventes du New York Times.
C’est surtout par curiosité qu’on s’était lancé dans la lecture de l’ouvrage. Une BD sur Tetris, comment cela pouvait tenir la route sur 250 pages ? On en sort fasciné par la vie de ce phénomène vidéoludique qui contient en lui seul une bonne partie de l’histoire du gaming. Une lecture qu’on se saurait que conseiller à tout amateur de jeux vidéo et curieux de son histoire, en attendant le tome 2… Car entre le renouveau de la licence opéré par Tetris Effect en VR ou Tetris 99, et la sortie prochaine d’un film made in Hollywood, on sait que Tetris n’a pas encore fini de faire parler de lui…!
Fiche Technique
- Éditions La Pastèque
- Scénario et dessin de Box Brown
- Prix : 19 €
- 248 pages en bichromie
- Format : 15,3 cm × 21,7 cm
Un large extrait peut être consulté sur le site du journal Le Monde.
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