Itch.io est une boutique de jeux en ligne bien connue. Et cette semaine, bon nombre de ses utilisateurs ont vu des jeux disparaitre du jour au lendemain de leur bibliothèque numérique. D’un seul coup, la politique autour des jeux pornographiques a été changée par le site, menant à la suppression de centaines de titres.
Une nouvelle politique qui n’est pas poussée par le site, mais par les systèmes de paiement qu’il est obligé d’employer pour les transactions financières. Face aux pressions de MasterCard et de Visa, le site aurait été obligé de plier rapidement selon le créateur d’Itch.io, Leaf Corcoran :
« Nous devions agir rapidement pour protéger la structure de paiement de la plateforme. Malheureusement, cela signifie que nous ne pouvions pas prévenir les créateurs à l’avance »
Itch.io, la dernière victime en date des conservateurs australiens ?
Ce n’est pas la première fois que MasterCard et Visa imposent leur loi. Déjà, très récemment, c’était Steam, la plateforme de Valve, qui avait été la cible de ces changements forcés. Si on élargie le spectre un peu plus, en 2024, le site d’illustrations Pixiv avait du déployer des mesures de censures limitant l’accès au site en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Des sites dédiés à la vente de dôjinshi, des livrets auto-édités, souvent coquins, avaient également été touchés par la même politique.
Dans le cas d’Itch.io, ce sont 1700 jeux qui ont été supprimés. Enfin, supprimés. Après le tollé que la situation a fait sur les réseaux sociaux, le site a voulu clarifier que les jeux n’avaient pas été supprimés, juste blacklistés. Reste que beaucoup de joueurs ont vu leur bibliothèques allégées de certains jeux.
Mais quels jeux, alors ? Comme dans le cas de Steam, ce sont les jeux pornographiques qui ont été ciblés. D’abord, ceux à la limite du légal, présentant du contenu violent, mais aussi des jeux présentant du contenu queer, où le sexe pourrait être à la marge.
En réalité, cette censure n’intervient pas en vase clos. Elle s’inscrit dans une large poussée du conservatisme sur internet. Si MasterCard et Visa ont rapidement sauté sur l’occasion de censurer du contenu de mauvais goût, c’est encore une fois l’association australienne Collective Shout qui serait derrière cette censure. Certains membres se sont notamment enorgueillis que la censure d’Itch.io n’avait nécessité qu’un millier d’appels aux services clients des différents systèmes de paiement.
Cette association s’était déjà illustrée dans la censure de Steam. Ses membres avaient écrit une lettre ouverte soutenant la suppression d’un jeu… déjà supprimé par la plateforme. No Mercy, qui permettait au joueur d’agresser sexuellement des femmes.
Alors, en réalité, beaucoup penseront que la suppression de ces jeux n’est pas si grave, qu’effectivement, c’est du contenu choquant et qu’il est peut-être même étrange de le rendre disponible à tous sur des plateformes généralistes.
Cependant, c’est souvent ainsi que commencent des mouvements de contrôle plus larges. Censurer quelque chose, même si cette chose est de mauvais goût, c’est déjà montrer que l’on peut censurer. Le « mauvais goût », le « contenu dangereux », ce sont des mesures à géométrie variable. Il sera facile, dès lors qu’une première censure pour « mauvais goût » a été effectuée, de pointer du doigt autre chose de déplaisant, affirmant que c’est cette chose qui doit être censurée.
Le truc, c’est que chacun a sa définition du « mauvais goût ». Pour Collective Shout, par exemple, cela inclue des titres comme Detroit Become Human ou Grand Theft Auto V. Probablement que cela inclut la plupart des jeux vidéo avec des personnages un peu sexy ou un peu marginaux, en fait.
Une censure qui n’était pas souhaitée, mais qui était attendue
On est, pour l’instant, loin de voir des jeux de gros éditeurs être affectés par ce genre de mesure. Cependant, il est évident qu’un pas de plus vers un contrôle plus serré d’internet a été effectué. Itch.io a longtemps été vu comme un moyen de contourner les sites et vendeurs généralistes pour proposer un contenu plus marginal. Un peu comme Tumblr et consorts, Itch.io était devenu un lieu permettant l’expression d’individualités qui ne trouveraient pas leur place ailleurs.
Cependant, ces personnalités savaient déjà que leur avenir sur Itch.io n’était pas garanti. Déjà en 2021, Ana Valens expliquait sur le site Daily Dot :
« La plateforme est accueillante pour le contenu sexuel LGBT car les systèmes de paiement le permettent. Puisqu’Itch.io est une plateforme espérant tenir sur le long terme, il ne faudra pas espérer qu’Itch.io défende les pornographes, peu importe à quel point le twitter du site semble les tenir en estime. […] Préparez vos sac, ayez une sortie de secours déjà prévue et ne vous attachez pas au site et à son esthétique indie. Lorsqu’on est un artiste marginalisé, l’exode reste toujours à l’horizon, et Itch.io ne sera jamais l’exception qui confirme la règle. »
Dans les faits, force est de constater que cette double action de MasterCard et Visa n’est probablement pas seulement le fruit d’une quelconque pression. Les moyens de paiement n’ont pas attendus mille appels d’une organisation australienne pour faire pression sur des sites comme Pornhub ou Only Fans, on peut même remonter jusqu’en 2003 pour trouver des tentatives de censures.
En réalité, cela fait même depuis 2024 que ces deux institutions sont ciblées par différents tribunaux pour leurs pratiques : avant de passer à des décisions extrêmes, MasterCard et Visa font pression de manière bien plus simple. Ils augmentent les prix de leurs services, affirmant que ce sont des transactions « à risque », pour faire plier des business entiers.
C’est déjà le cas de Denpara, un site dédié aux Visual Novels. Ce sera encore le cas de Pixiv en septembre 2025, des sites probablement inconnus des ménagères de Collective Shout. Forcément, les réactions apeurées des conservateurs, de plus en plus présents en ligne, donnent une excuse toute trouvée à MasterCard et Visa. Cependant, ils ne font que faciliter la tâche à des systèmes souhaitant, depuis longtemps, pouvoir faire la pluie et le beau temps sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas sur internet.
Un espoir, tout maigre soit-il subsiste : en commençant à toucher des plateformes plus généralistes comme Steam et Itch.io, de plus en plus de voix semblent s’élever en découvrant le monopole de ces systèmes. L’efficacité des diverses pétitions tournant actuellement sur internet restera à prouver.
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