Le jeu vidéo a régulièrement dû subir les foudres des tenants de la pensée réactionnaire. D’abord cible des médias généralistes qui ne connaissaient pas vraiment leur sujet, le jeu vidéo était par exemple souvent accusé de pousser les « jeunes » à la violence. Mais comme pour le cinéma (on se souvient des polémiques autour de « Tueurs Nés ») ou la musique (le procès de Prince qui a donné lieu à la création du macaron « Explicit Lyrics »), le phénomène a fini par s’épuiser.
Si on constate encore quelques résidus de ce type d’accusation, comme lors des reportages sur l’assassinat d’une petite fille dans l’Essonne, quand il a été mis en avant que le principal suspect jouait à Fortnite, sous-entendant que le jeu aurait sa part de responsabilité, ces critiques se sont déportées. Le jeu vidéo serait aujourd’hui le champ d’une « bataille culturelle ».
D’un côté les « woke » et autre « DEI » (pour Diversité, Egalité et Inclusion) qui auraient noyauté l’industrie du jeu vidéo pour y introduire leur pensée, et insérer de force dans les jeux des personnages figurant la diversité des genres, des couleurs de peaux, des orientations sexuelles ainsi que des thématiques progressistes, nuisant ainsi à la qualité générale des jeux (bien qu’on n’ait pas encore compris comment).
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De l’autre, les « anti-woke » et « anti-DEI » s’en prennent aux jeux qui soutiendraient des thèses progressistes en abordant des thématiques comme celles de l’homosexualité ou de la transidentité, et/ ou en mettant en scène des personnages figurant la diversité.
Un affrontement idéologique qui fait beaucoup de bruit et qui serait au cœur des préoccupations aussi bien des joueurs (qui achètent ou refuse d’acheter tel ou tel jeu selon le « camp » auquel ils appartiendraient) que de l’industrie, qui orienterait le contenu des jeux selon les mêmes critères.
Le lecteur attentif aura noté l’emploi du conditionnel tout au long de cette description. Car ce combat n’existe pas, ou, comme le dit notre rédac’ chef bien aimé, ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit.
L’Observatoire Européen du Jeu Vidéo, sorte de think tank (comme on dit en politique) fondé notamment par Olivier Mauco, créateur de jeux vidéo (Prisme 7, pour Arte et Le Centre Pompidou) et Docteur en Science Politique, vient de publier une étude intitulée « Jeux vidéo, terrain de bataille des guerres culturelles » qui s’intéresse à ces phénomènes. Et qui montre justement que ces polémiques ne sont en vérité qu’anecdotiques.
Ainsi, concernant Dragon Age The Veilguard, accusé d’être porteur d’une idéologie « woke », on peut lire dans l’étude :
« La politisation d’un mécontentement est l’un des processus des plus mobilisateur et accélère le passage dans l’espace public médiatique généraliste. Il ne traduit pas tant la représentativité du conflit que son intensité et sa capacité à faire l’agenda. » (p.31)
Autrement dit, le fait que ces discussions semblent faire couler beaucoup d’encre (l’intensité) ne dit rien des véritables préoccupations des joueurs (la représentativité).
L’étude consacre également un chapitre à Assassin’s Creed Shadows, visé par de nombreuses polémiques. La présence d’un personnage noir, le samouraï Yasuke, est ainsi vue par certains comme de la « propagande woke », alors même que son existence est avérée. Là encore, le bruit généré n’est aucunement représentatif des sujets qui intéressent réellement les joueurs, comme le démontre de manière chiffrée le travail de l’Observatoire :
« Au total, on retrouve une communauté d’un minimum de 728 comptes fortement interconnectés, qui ne représentent que 0,8% des locuteurs sur le sujet Assassin’s Creed: Shadows aux États-Unis mais qui pèsent cependant 22,1% de l’ensemble des retombées. Cette communauté, marginale, fonctionne cependant comme une chambre d’écho particulièrement puissante puisqu’elle génère aussi 16% de de l’activité numérique sur X. Ce niveau de répétitions d’un même message ou des déclinaisons d’un même message est de nature à impacter la perception de l’ensemble de la communauté numérique. » (p.25)
Moins d’1% des personnes évoquant Assassin’s Creed Shadows sur X critiquent son contenu supposé « woke » ou « DEI ». Et même si ces personnes génèrent 22% du bruit autour du jeu, 99% des utilisateurs du réseau social s’en fichent.
Toujours dans cette même étude, on trouve un autre point intéressant : la « communauté de 728 comptes » citée dans l’extrait ci-dessus serait en fait constituée de beaucoup moins d’individus, mais de nombreux comptes clonés répétant systématiquement les mêmes messages de façon à laisser à simuler « un mouvement spontané ou populaire pour influencer l’opinion ». Si les « influenceurs » sont désignés comme tel, c’est bien qu’il y a une raison…
Les systèmes de rétention de l’attention des réseaux sociaux, et les flux de contenus construits selon des algorithmes ont tendance à nous enfermer dans « chambres d’échos » qui nous laissent penser que certains sujets polémiques ont plus de résonnance qu’ils n’en ont réellement. Certes, il y a pourtant bien des gens à la manœuvre qui essaient de porter ces sujets et de les faire gonfler pour servir leur propre agenda. À nous d’être vigilants et de prendre le recul nécessaire pour ne pas confondre tentative de propagande et fait de société.
« Dragon Age est vôtre maintenant »
EcureuilRouge
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