Genre né au milieu des années 80, le beat’em up a traversé l’histoire du jeu vidéo, disséminant les classiques sur son passage : la série des Kunio Kun, qu’on a redécouverte récemment ici, mais aussi (et surtout) les Double Dragon, Golden Axe ou encore Streets of Rage… Ces dernières années, le genre est revenu sur le devant de la scène grâce à quelques titres qui venaient dépoussiérer le genre, soit à grand renforts de citations (Scott Pilgrim, River City Girls), soit en y ajoutant de petites touches de modernité dans le gameplay (Streets of Rage 4).
Young Souls s’inscrit dans cette tradition de gameplay classique avec une touche de contemporanéité. Suffisamment pour qu’on se lance dans la mêlée ?
(Test de Young Souls sur Xbox Series X réalisée à partir d’une copie commerciale du jeu)
Tapez-les tous !
On aime les beat’em up pour leur côté défouloir, l’immédiateté de leur accès. C’est simple (mais pas pour autant facile), on avance, on tape, on avance, on tape. Et plus on avance, plus on tape fort, et plus on se cogne de gros ennemis. Et plus c’est jouissif ! Fidèle au genre auquel il appartient, Young Souls respecte à la lettre ce schéma : en scrolling horizontal, on élimine les ennemis qui se dressent sur notre chemin pour rejoindre l’extrémité droite de chaque niveau.
Et grâce à la réussite du level design et à la progression bien pensée, la magie opère : on s’amuse beaucoup ! Il faut dire qu’au-delà de l’amour du bourre-pif, le jeu tient aussi à une proposition qui met en jeu l’identité visuelle du titre, son écriture, et le petit twist que les développeurs ont mis dans le gameplay classique du beat’em up : la modernité.
Dès l’écran titre, on est accroché. Réalisés dans une technique proche du cel-shading , les personnages « existent » en 3D, mais apparaissent en 2D, comme des personnages de bande dessinée. Pas de gros détourage noir à la Jet Set Radio ici, mais des aplats de couleurs. On pense aux personnages d’Arthur De Pins (Zombillénium). La jeune fille à l’accueil de la salle de sport ou la jolie prêteuse sur gage auraient d’ailleurs chacune leur place dans un volume de Pêchés Mignons, les albums érotico-comiques de De Pins.
Ci-dessus, la prêteuse sur gage et la fille de la salle de sport dans Young Souls ; ci-dessous, les personnages d’Arthur De Pins.
Plus généralement, l’esthétique de Young Souls s’inscrit dans une veine de la BD indépendante d’aujourd’hui, mixant les styles, empruntant autant à l’illustration traditionnelle qu’à Disney ou au manga. On pourrait ainsi comparer le style graphique du jeu au Fauve D’Or 2022, tout juste remporté par Marcello Quintanilha lors du 49e Festival D’Angoulême, Écoute Jolie Marcia. Rien d’étonnant, le jeu est développé par 1P2P, une petite équipe du Nord de la France, formée par des ex-Ankama (Dofus, Wakfu…), une école qui reste assez inattaquable du point de vue graphique !
RPG’em all
Une modernité que les auteurs ont mis aussi et surtout dans le gameplay. Comme les émissions culinaires nous proposent des gratins dauphinois revisités ou des éclairs au chocolat revisités, Young Souls est un beat’em up revisité (certains verraient d’ailleurs parfaitement Philippe Etchebest au générique d’un jeu de combat, mais on s’égare…).
Au scrolling horizontal un tant soit peu bourrin s’ajoute une fiche de personnage qui nous permettra de choisir son équipement, un pouvoir spécial (parmi d’autres, un arc, un gadget de téléportation, ou encore notre préféré : un totem d’aspiration de points de vie…), et des baskets offrant divers bonus (oui, oui, des baskets !). Il est ainsi question de construire pour chaque personnage – et comme dans cet autre jeu ! – un « build » qui correspond à notre façon de jouer (tout en force et dégâts, tout en souplesse et rapidité, sac à PV, équilibré…).
Pour compléter la personnalisation de nos héros, ceux-ci peuvent aller à la salle de sport pour renforcer au gré de mini-jeux des caractéristiques au choix, force, endurance, ou vitesse. Employons les grands mots puisqu’on a déjà évoqué la fiche de perso : le jeu est un beat’em up qui possède une composante RPG. Avec deux personnages switchables à la volée pendant la partie, on peut se construire deux modèles différents, qui auront chacun leur utilité selon la situation – caricaturalement, un très costaud et un très rapide, par exemple.
Et cela ajoute beaucoup au plaisir de jeu, car la map n’est pas la carte linéaire à laquelle on est habitué dans ce genre de titres. Des zones s’ouvrent au gré de nos progrès, et c’est un vrai plaisir que de looter une arme venant compléter notre build, et qui dit aussi « avec ça, tu vas pouvoir aller dérouiller le gros balèze qui t’avait posé problème deux ou trois tableaux auparavant » !
Kung Fu Writing
Étonnamment, l’écriture du jeu est aussi à souligner ! Et pourtant, on parle toujours d’un beat’em up. Le jeu paraîtra peut-être un peu bavard à certains, mais c’est un souci maîtrisé : le titre possède une touche avance rapide, qui, plutôt que de skipper les séquences narratives et les cutscenes, les accélère, offrant au joueur un entre-deux bien vu.
Certes, la trame est extrêmement classique, c’est le genre qui veut ça, et le jeu se revendique en tant qu’hommage à l’un des papas du beat’em up, Golden Axe. On y est d’ailleurs, comme dans Golden Axe, armé (épée, marteau…) quand la tradition est plutôt au brawler (Streets of Rage, Double Dragon…). Les dragons que l’on pourra chevaucher lors d’un niveau sont eux aussi un clin d’œil appuyé au jeu de SEGA. Mais sur ce matériau presque cliché, 1P2P réussit à construire une narration qui s’inscrit complètement dans la modernité que nous évoquons depuis le début de cette critique.
Le ton d’abord. Les dialogues sont funs et enlevés. Du Seigneur des Ténèbres blasé d’être aussi mal entouré aux gros mots des jumeaux, on ne s’ennuie pas. On s’attache d’ailleurs très vite aux personnages, qui finiront par prendre une teinte bien moins cliché qu’il n’y paraît.
À un stade de l’aventure, les héros s’interrogeront sur leurs propres actions, la légitimité de leur combat et de la violence qu’ils déchaînent. Un sujet qui peut paraître un peu niais, mais qui est trop peu souvent abordé dans le jeu vidéo, ce qui contribue à cette image qu’a le grand public non-joueur d’un média ultra-violent. Dans le même esprit progressiste, si le couple de héros est constitué d’un garçon et d’une fille, aucune limitation ni aucune stat n’est attribuée par défaut à l’un des personnages. Liberté, Égalité, Fraternité, le joueur est libre de faire ce qu’il veut des deux jumeaux, indépendamment de leur genre.
On attendait Young Souls comme on attend River City Girls 2, comme une sucrerie un peu classique, mais agréable, la promesse d’un petit moment de fun sans prétention. On se retrouve positivement surpris, devant une proposition plutôt originale, qui mélange habilement les genres pour inscrire ce Golden Axe-like bien dans son époque. La direction artistique inspirée et les dialogues à l’image de ces deux sales gosses super sympathiques que sont les héros finiront de nous convaincre.
Young Souls n’est pas le « petit jeu » annoncé, mais un beau titre indé qui, pour le peu que le genre vous parle, mérite qu’on s’y attarde. À vrai dire, derrière le générique de fin, on a même regretté l’absence d’un New Game Plus… Si jamais les gars de 1P2P lisent ces lignes, on ne serait pas contre un mode NG+ où (par exemple) on garderait toute l’expérience et les objets acquis, mais avec par contre zéro vie ? Allez…!