Le jeu vidéo chinois a aujourd’hui réussi à faire son trou dans le paysage vidéoludique mondial. Popularisés notamment par Black Myth Wukong, lequel s’est écoulé à plus de 25 millions d’exemplaires, les titres en provenance de l’empire du milieu attirent de plus en plus le regard des joueurs aguerris en quêtes d’une nouvelle vision créative. C’est ainsi que Wuchang: Fallen Feathers, développé par le studio Leenzee, a pu susciter l’attente des amateurs de Souls-like.
Mais comment faire son trou dans un genre qui commence à être saturé par les productions plus ou moins réussies, ou de plus en plus de titres ne se démarquent que par une direction artistique différente ou par une difficulté exacerbée ? Wuchang: Fallen Feathers, malgré son statut de AA (comme l’atteste son prix réduit de 50 €) dispose-t-il néanmoins des armes nécessaires pour hisser son bec hors du nid ? A-t-il réussi à se forger une identité propre ou sombre-t-il lui aussi dans la caricature d’un genre qui ne cesse de tourner sur lui-même ?
(Test de Wuchang: Fallen Feathers sur PS5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Si son plumage se rapporte à son ramage
Nous avons bien entendu vu passer les plaintes des joueurs Steam concernant le jeu et ses problèmes techniques (entre autres) survenus depuis sa sortie. Des problèmes inacceptables, que le studio semble prendre au sérieux puisque les développeurs ont déjà annoncé travailler d’arrache-pied à des correctifs, mais qui semblent circonscrits à cette version PC. Pour notre part, sur PS5 donc, et post patch day-one, nous n’avons pas du supporter de problèmes notables. Il y a bien eu quelques baisses de frame rate ci et là (malgré le mode performance), mais rien de vraiment handicapant ou rédhibitoire.
Nous n’aimons pas vraiment commencer à parler d’une œuvre, dont l’appréciation est par nature subjective, par des considérations techniques aussi terre à terre, mais il nous semblait important pour cette fois de passer par là. Et ce qu’on en voit le plus en ce moment, c’est que le titre subit un review bombing massif (légitime ou non, la question n‘est pas là), en résulte un piteux 6,8/10 sur Metacritic et seulement 45 % d’avis favorables sur Steam. Mais qu’en est-il réellement dans le fond ?
On pourrait fustiger l’utilisation, et la maîtrise approximative, sans doute en cause des problèmes sur PC, de l’Unreal Engine 5, le fait est que le travail accompli pour créer le monde de Wuchang: Fallen Feathers est admirable. L’ensemble est soigné et harmonieux, de sorte qu’on n’a jamais l’impression que l’imbrication des différentes régions entre elles soit artificielle. L’ensemble est crédible, homogène et, malgré un nombre de lieux à visiter restreint, il y a énormément à parcourir et découvrir.
C’est probablement ce qui nous a le plus impressionné d’ailleurs, à tel point qu’on a eu quelques réminiscence du premier Dark Souls tant le level design de Wuchang: Fallen Feathers tient parfois du génie. Si les premiers environnements semblent linéaires, très rapidement, on se retrouve face à une foultitude de chemins à explorer. Certains se rejoignent en un point, d’autres mènent à des trésors, monstres uniques, quêtes annexes ou simples culs-de-sac, et d’autres encore nous envoient même dans de nouvelles régions, voire, parfois, à une porte fermée qu’on a croisé de nombreuses heures auparavant. On ne sait jamais sur quoi on va tomber, mais on tombe toujours ou presque sur quelque chose, ce qui rend l’exploration encore plus plaisante et gratifiante.
On a plusieurs fois eu le sentiment d’être écrasé par ce monde. Non pas par son gigantisme, comme on a pu le vivre sur Elden Ring, mais plutôt par son ampleur si compacte et par sa complexité naturelle. Dommage d’ailleurs que la direction artistique de l’ensemble ne suive pas. Wuchang: Fallen Feathers nous propose pourtant souvent de très jolis panoramas et même quelques vues à couper le souffle, mais quelques fois, certains décors sont trop quelconques et on peut, du fait de leurs « banalités », avoir plus de mal à se repérer dans les régions les plus labyrinthiques.
Toujours est-il que nous avons adoré d’un bout à l’autre l’exploration de cet univers et que, malgré quelques écueils et maladresses (comme des pièges pas toujours bien visibles ou le positionnement de quelques raccourcis hasardeux, nous tenons là l’un des Souls-like les mieux construits de ces dernières années. Pas forcément innovant ni même exubérant comme pouvait l’être Lords of the Fallen mais toujours de haute facture et sans baisse de sa qualité.
Bird to be wild
On aurait aimé qu’il en soit autant avec la narration. Ceci dit, il est difficile de complètement blâmer le jeu sur ce point. Contrairement au folklore japonais qui est entré dans notre quotidien depuis des décennies maintenant, les mythologies et l’histoire chinoise nous sont beaucoup moins familières. De fait, il est beaucoup plus compliqué de trouver dans ces récits des références connues auxquelles se rattacher. Black Myth Wukong avait su s’émanciper de se problème, la pérégrination vers l’ouest qui y est contée étant peut-être l’œuvre chinoise la plus connue en occident (merci Dragon Ball).
Avec Wuchang: Fallen Feathers, on a beaucoup plus de mal à nous immerger dans l’histoire, et donc à nous sentir concerner. On a bien compris que Wuchang, notre héroïne, tout comme de nombreux habitants de ce monde, sont affectés par l’Ornithropie, une maladie les transformant peu à peu en monstre et dont l’un des symptômes est de voir des plumes pousser sur son corps. Heureusement, nous avons la capacité de résister, et même mieux utiliser, cette affliction combattre nos ennemis et ainsi tenter de sauver le monde.
Faut-il comprendre plus ? Sans doute pas pour avancer dans le jeu, mais force est de reconnaître que l’impression de passer à côté de nombreuses références voire de pans entiers de narration parce qu’on n’a pas les codes pour les déceler, ou même simplement parce qu’on a du mal à différencier les différents PNJ par leurs noms, et donc à comprendre leurs rôles, est particulièrement frustrante. D’autant qu’on sent que le titre veut nous raconter quelque chose, mais c’est tout une facette du jeu à côté de laquelle il est aisé de passer.
Alors on s’arrête aux basiques, notre malédiction à combattre et des vilains à occire. Une affliction qui prend pied aussi dans le gameplay d’ailleurs. Quoi que ce soit très mal expliqué (comme la plupart des tutoriels du jeu, hélas), notre folie est symbolisée par une jauge qui se remplie ou se vide en tuant des humains ou des monstres. Ainsi, en tuant des êtres « saints », nous sombrons peu à peu dans la folie, nous rendant plus puissant, certes, mais également moins résistant (et vice-versa).
Mais ce n’est pas tout. Mourir fera également grimper cette jauge, rendant peu à peu le jeu plus difficile, quoi que la différence ne soit pas aussi marquée que dans un Demon’s Souls par exemple. Petite originalité toutefois, périr avec une jauge de folie au-delà d’un certain seuil aura aussi pour effet de faire apparaitre, à l’emplacement de notre décès, un redoutable spectre à combattre. L’idée est intéressante sur le papier même si au final elle ne sert pas à grand-chose si ce n’est matérialiser la folie qui nous gagne au fil de nos trépas.
La folie s’arrêtera là. Globalement, manette en main, Wuchang: Fallen Feathers fait dans le classique, simple et efficace. Quelques combos d’attaques simples, des compétences magiques et martiales et un gameplay axé sur l’esquive et le tour est joué. Alors il y a bien la possibilité de faire des assauts impressionnants, avec des combos avancés mais, à moins d’avoir sciencé le jeu dans ses moindres pixels, c’est un peu de la poudre aux yeux et on n’a que très peu d’occasions de véritablement s’en servir.
Une expérience qui bat de l’aile ?
Et pourtant, ces combos auraient pu être la pierre angulaire du système de combat, ajoutant un dynamisme peu commun dans les Souls-like. Mais un problème gâche tout : l’équilibre des combats de boss. Si pendant toute la première partie du jeu, les zones comme les boss sont d’un niveau correct, d’un coup, sans crier gare, la difficulté monte de plusieurs crans. Un stop comme on n’en avait pas subit depuis bien longtemps et qui viendra vraisemblablement à bout de la patience de beaucoup de joueurs.
On se questionne alors, sur notre compréhension des mécaniques du jeu, très mal introduites, si nous n’avons pas raté un chemin vers une autre zone, plus à notre niveau, sur les caractéristiques de notre personnage, alors même que la région s’est explorée sans heurts majeurs. Mais il fait se rendre à l’évidence, c’est simplement ce boss qui est doté d’un équilibre douteux. Alors on insiste, et au bout de plusieurs heures, on fini par le tomber, non sans mal, mais il a, à lui seul, fait ressortir de nombreux soucis, plus ou moins importants.
Au premier rang d’entre eux, nous avons envie d’évoquer l’arbre de talent. Dans Wuchang: Fallen Feathers, la montée de niveau ne nous permet pas d’attribuer des points de caractéristique comme il est de coutume dans le genre mais nous offre un point à utiliser sur une sorte de sphèrier. Le cœur de notre évolution est là, que ce soit en termes de statistiques (vie, magie, agilité, force…), en compétences, en augmentation de niveau d’arme ou de potion… Mais encore une fois, tout est terriblement mal expliqué.
Mais pire encore, on ne sent pas de réelle évolution de notre personnage. Dans un autre Souls-like, quand on augmente ses stats, on sent tout de suite nos progrès sur les monstres alentours, ici, la différence se fait si minime qu’on n’a pas l’impression d’avoir gagné en puissance même après avoir farmé cinq ou six niveau pour tuer ce boss récalcitrant.
Alors, ce problème d’équilibre serait unique, on pourrait y voir là un simple écueil dans un tout acceptable, mais le problème s’est répété encore et encore, jusqu’à ce qu’après plus d’une cinquantaine d’heures de jeu, et malgré qu’on soit proche de son dénouement, nous n’avons plus la force ni la patience d’insister face à ces boss parfois décourageants. Entre leurs hyper-armors permanentes, nous empêchant de les étourdir (et rendant donc caduques toutes envies de placer un combo), leurs enchaînements à rallonge, leur propension à nous attaquer alors qu’on est au sol et la lenteur de l’utilisation des potions, notre pauvre Wuchang cumule les handicaps.
Nous espérons ardemment que les développeurs préparent un rééquilibrage global de leur jeu car malgré ces moments particulièrement rageants, nous avons passé un très bon moment sur Wuchang: Fallen Feathers. Et puis, quelques ajouts de conforts pourraient être intégrés histoire d’atténuer la frustration des nombreux morts sur les boss. On pense par exemple aux ascenseurs qui pourraient être remis dans le bon sens après un décès, comme l’avait proposé par exemple Lies of P), ou le fait de récupérer automatiquement notre mercure rouge (équivalent des âmes d’un Dark Souls) en entrant dans l’arène du boss.
Wuchang: Fallen Feathers nous propose finalement plus que ce qu’on attendait de lui initialement. On imaginait en effet un Souls-like classique dans ses mécaniques, nous proposant quelques particularités afin de ne pas être qualifié de pâle copie d’un autre jeu du genre, et il réussi globalement ce qu’il entreprend. Malgré quelques maladresses, un équilibre plus que douteux (dont on espère une correction prochainement) et des problèmes techniques sur la version PC (pour lesquels un patch est lui confirmé), le titre se parcourt très agréablement, pour peu qu’on ait suffisamment d’abnégation pour passer les divers et incompréhensibles pics de difficulté.
Dommage qu’encore une fois, le genre se caricature et que les studios ne cherchent qu’à proposer des expériences « juste » de plus en plus dures, quand bien même cette difficulté serait artificielle, et perdent de vue l’essentiel. Car au lieu d’un sentiment d’accomplissement, c’est du soulagement qu’on ressent quand enfin on vient à bout d’un boss qu’on pourrait facilement juger comme injuste, comparativement au reste du jeu.
Là où on n’attendait toutefois pas le titre de Leenzee, c’est dans la construction de son monde. Le level design de Wuchang: Fallen Feathers est de très haute volée et a suffit à lui seul à nous happer dans une aventure généreuse malgré son apparente petitesse. De quoi nous faire regretter les impairs suscités qui auraient sans doute pu être identifiés et corrigés avec quelques semaines de développement supplémentaires.