Placer des photos dans le décor pour les voir devenir réalité et modifier l’environnement : l’idée est simple et Viewfinder s’évertue à la décliner brillamment. Premier jeu des Écossais de Sad Owl Studios, il nous entraîne dans une aventure sous forme de puzzles à la première personne, dont nous découvrons progressivement les enjeux. Après avoir révélé un bout de démo à l’occasion du festival des jeux de réflexion sur Steam en avril dernier, voilà que le titre fait sa sortie officielle sur PC et PS5.
La durée de vie de cette version complète reste néanmoins assez modérée, là où les possibilités créatives du concept paraissent sans fin. Cependant, n’est-il pas en effet plus judicieux de s’en tenir à cette économie de niveaux, dans lesquels chaque casse-tête correspond à une innovation de gameplay, plutôt que de diluer les idées à travers des tâches répétitives ou des combinaisons de mécanismes complexifiant inutilement le jeu ? En somme, reste-t-on vraiment sur sa faim ?
(Test de Viewfinder sur PC réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
L’aventure pas à pas
Les premiers pas dans Viewfinder se font tout en douceur : d’abord, on s’aperçoit de l’absence de dégâts de chute, puis on découvre la capacité de remonter dans le temps pour revenir sur toutes ses erreurs. Très vite, on se sent pris par la main et on comprend que le jeu n’a pas vocation à nous placer en difficulté. D’ailleurs, les premiers niveaux, dans lesquels on doit simplement trouver comment positionner les photos que l’on ramasse dans le décor, semblent n’être qu’une formalité. On commence dans des espaces réduits avec un nombre très limité d’options à disposition, ce qui nous guide par élimination sur la marche à suivre pour compléter les énigmes.
Petit à petit, de nouveaux mécanismes sont introduits : on découvre une photocopieuse, puis l’on dégotte notre propre appareil photo nous défiant de trouver nous-même le point de vue qui nous aidera à progresser, etc. On pourrait alors craindre qu’avec des niveaux plus grands et un nombre croissant de mécanismes entre lesquels jongler, la complexité explose exponentiellement. Pourtant, il n’en est rien : Viewfinder nous donnera toujours tout juste ce dont on aura besoin pour terminer un niveau (même si plusieurs solutions sont parfois possibles), en procédant par courts paliers qui se résolvent en une poignée de minutes chacun, un obstacle à la fois.
On peut comparer cette approche à celle des sanctuaires dans The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, qui nous impose par la contrainte de trouver des solutions créatives à partir des pouvoirs et éléments de l’environnement que l’on a à disposition. De la même manière, on sentira bien que, lorsque l’on se retrouve bloqué, ce n’est pas parce qu’il est attendu de nous que nous exécutions une suite d’étapes obscures, mais bien parce que l’on n’a pas réfléchi au problème sous le bon angle. En somme, chaque série d’énigmes fonctionne de la même manière : on est mis face à un mécanisme et on apprend à se l’approprier à travers une série d’épreuves qui en exploitent toutes les possibilités.
Solastalgie
On pense également beaucoup à Portal dans la manière d’utiliser un outil simple pour résoudre les puzzles en créant des paradoxes spatiaux. Seulement, en lieu et place de l’irascible GLaDOS qui nous tournait en dérision dans le titre de Valve, l’intelligence artificielle qui nous accompagne prend les traits de CAIT, un chat qui nous encourage et nous félicite (et que, oui, nous pouvons caresser !). Là aussi, le ton est donné, en accord avec ce que nous laissait déjà comprendre le level design : Viewfinder se veut bienveillant envers ses joueurs. D’ailleurs, si l’on bloque quelque part dans la poursuite de l’histoire principale, il nous mettra un indice à disposition.
L’histoire principale, justement, venons-y. Très vite, on nous explique que l’on se trouve dans une simulation (l’environnement dans lequel on démarre rappelle d’ailleurs fortement l’esthétique du lobby du Meta Quest). Pour y faire quoi ? C’est ce que l’on comprendra plus progressivement. À travers les dialogues avec CAIT, des notes et enregistrements disséminés dans le décor, et des coups de téléphone que l’on reçoit de temps à autre, on saisit que nous avons été mandaté à la recherche d’une solution aux affres du dérèglement climatique qui ont ravagé notre réalité, et qu’une équipe de chercheurs aurait laissée derrière elle dans cet environnement qu’elle a conçu.
En plus de résonner avec une triste actualité, Viewfinder esquisse ainsi les contours d’un questionnement fondamental : est-ce dans le monde virtuel que l’on peut espérer trouver des réponses aux problèmes réels ? Les implications sont très concrètes quand on sait que le développement de la réalité virtuelle a un coût écologique conséquent. Viewfinder n’aborde pas frontalement ce paradoxe, se contentant de laisser planer l’ombre de l’urgence climatique sans se montrer moraliste. On pourrait être tenté de lui reprocher un traitement en surface, néanmoins il s’agit là aussi de garder une cohérence de ton, dans un titre qui se veut charitable avec ses joueurs.
L’horizon des possibles
Il y a donc une saveur douce-amère qui s’infiltre progressivement dans l’aventure, au fur et à mesure que ses enjeux s’éclaircissent. Si ces notes plus sombres viennent donner un peu de fond et de corps au scénario, c’est avant tout l’enthousiasme d’un gameplay hautement ludique qui domine, avec toutes les possibilités qu’il laisse entrevoir. En effet, même si le level design nous met en fin de compte sur des rails dont on ne peut guère dévier, la sensation n’en est pas moins que les pouvoirs que l’on a entre les mains ouvrent un horizon quasi infini à l’imaginaire, tissant une ode à la créativité dans laquelle on pourrait facilement s’égarer.
L’inventivité vient également des décors que l’on explore, qui nous emmènent dans les paysages intérieurs des différents membres de l’équipe de recherche, que l’on apprend à connaître à travers eux. Surtout, on sera régulièrement amené à ramasser et matérialiser des images dans des styles graphiques très différents (qui cacheront d’ailleurs souvent des secrets), ou à appliquer nous-mêmes à nos photos des filtres que l’on aura débloqués via des niveaux optionnels, nous permettant de transformer notre environnement en un patchwork surréaliste. On regretterait presque de ne pas pouvoir profiter davantage de cette fantaisie visuelle.
D’un autre côté, le concept a également ses limites, et ne peut se renouveler que jusqu’à un certain point. Viewfinder sait éviter l’écueil de puzzles répétitifs qui allongeraient artificiellement sa durée de vie, et reste sur chaque mécanisme juste assez longtemps pour ne pas lasser. En définitive, après cinq heures d’une exploration paisible et sans pression du gameplay, on se rend compte que nos pérégrinations jusque-là nous auront avant tout servi de préparation pour le niveau final, en temps limité, qui est la véritable mise à l’épreuve dans laquelle on doit faire la démonstration de sa maîtrise des différents mécanismes du jeu.
La juste portion
La cinématique de fin peut ainsi sembler arriver un peu tôt : après tout, le temps passe vite quand on s’amuse ! Néanmoins, nous ne sommes pas pour autant mis à la porte de l’univers. Il est ainsi toujours possible de revenir sur ses pas pour faire les niveaux optionnels que l’on aurait laissés de côté, ou retraverser ceux déjà faits à la recherche d’objets à collectionner, de succès ou de solutions alternatives aux énigmes. C’est plus que jamais un moment propice à l’expérimentation, même si celle-ci doit toujours se faire avec les contraintes d’un puzzle donné (un nombre limité de clichés dans l’appareil photo, notamment).
C’est peut-être là le léger regret que l’on peut avoir à la fin de cette expédition en terre impossible : celui de n’avoir jamais la bride totalement lâchée. Si, jusque-là, la restriction des possibilités est garante d’une résolution des énigmes sans nœuds au cerveau ni longue réflexion, on aurait pu être tenté de voir jusqu’où l’exercice pouvait être poussé dans un mode bac à sable ou un éditeur de niveau. Viewfinder nous fournit en effet de formidables briques de game design avec lesquelles on aurait envie de construire notre propre édifice, mais l’on se retrouve finalement captif de celui que les développeurs ont bâti eux-mêmes.
Cependant, la présence de ces limites permet aussi, dans une certaine mesure, de préserver l’œuvre. Elles lui empêchent en effet d’être dévoyée, là où tant d’attention semble avoir été portée à s’assurer que la progression du joueur se fasse en douceur et sans friction. Par ailleurs, peut-être que les mécanismes que nous avons pris tant de plaisir à découvrir au fil de l’aventure donneraient rapidement l’impression de tourner à vide si nous étions libres de les déployer à notre guise. Les bouchées sont ainsi d’autant plus savoureuses que l’on sait que la ration est limitée, et nous laisse tout juste rassasiés à la fin du repas.
Avec son premier titre, Sad Owl Studios nous offre ainsi un sympathique jeu d’énigmes qui charme par son ingéniosité et nous stimule sans chercher à nous mettre en difficulté, nous menant simplement de bonne idée en bonne idée. Si le gameplay peut sembler quelque peu décorrélé de l’histoire qui vient s’y greffer, le tout forme néanmoins un ensemble plaisant capable de s’adresser à tous les publics, et on imagine facilement pouvoir se passer la manette de parent à enfant.
D’une certaine manière, Viewfinder réussit l’exercice même auquel il nous soumet dans la plupart de ses casse-têtes : savoir trouver le bon cadrage. Ni trop étroit pour ne pas être élitiste, ni trop large pour qu’on ne se perde pas dans ses mécanismes, il sait au contraire toujours mettre le focus sur les éléments clés et nous dire où regarder. Il n’y a alors qu’à suivre le point de fuite de ce level design minutieux pour profiter au mieux de cette inventive balade.