Le studio Dontnod est au jeu vidéo ce que le genre post-rock est à la musique, une sorte de petit frère un peu étrange capable de fulgurances incroyables, et qui arrive à sa manière à prendre le contre-pied constant du monde dans lequel il évolue, nous étonnant continuellement. Une patte distincte qui a donné naissance aux excellents Life is Strange, mais aussi à cette expérience singulière qu’est Remember Me. Aujourd’hui, on retrouve le studio pour ce test de Twin Mirror, titre pour lequel Dontnod porte aussi la casquette d’éditeur, l’occasion d’enfin entrer dans la cour des grands ?
On précise d’entrée de jeu que l’ensemble du test est garanti sans spoil, libre à vous d’arpenter ces lignes sans mauvaise surprise.
(Test de Twin Mirror sur PlayStation 4 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Par-delà le miroir
L’histoire de notre héros Sam démarre lors de son retour dans le petit village de Basswood, bled paumé en pleine Amérique. Un lieu qui respire le redneck et les U.S.A dans toute leur splendeur, et dans lequel notre protagoniste revient pour assister aux funérailles de son meilleur ami Nick. L’occasion pour lui de revoir quelques têtes connues pas toutes ravies de le revoir, et de se mettre la biture de l’année à grand coup de pintes.
Quelques heures et un mal de crâne plus tard, notre Sam, qui semble finalement être celui qui boit, se réveille complètement groggy dans sa chambre d’hôtel, dans laquelle il retrouvera sa propre chemise couverte de sang, symbole criant d’une fin de soirée qui a très, très mal tourné. Commence alors un long parcours pour retrouver sa mémoire de la veille, ainsi que la personne qui s’est sciemment vidée sur sa chemise.
Pour ce faire, vous pourrez compter sur l’intelligence sherlockienne de Sam, qui, ancien reporter de son état, a le don de fouiner partout et de savoir bien le faire, non sans déranger la populace locale. Un petit hic pour votre progression dû à un héros aussi doué pour s’attirer la sympathie qu’un Trump avec Twitter. Heureusement, contrairement à ce dernier, il lui arrive quasiment à chaque fois de faire éclater la vérité.
De plus, et c’est là l’une des principales forces du titre, votre héros est constamment accompagné d’un double intérieur, sorte de Jiminy Cricket de la sociabilité qui vous permettra régulièrement de rattraper votre manque criant d’empathie, et d’équilibrer un peu les possibilités de vos échanges.
Une véritable dualité interne se dessinera alors, entre l’omniprésence d’un Lui (car tel est son nom) à l’intelligence émotionnelle hors-norme, et d’un Sam à la logique froide et implacable, dont les échanges vous amèneront très souvent à l’aube de grandes décisions, impactantes pour la suite du jeu.
À mi-chemin entre une Navi passée par Harvard, et un psychologue capable de sonder n’importe quelle âme humaine, Lui n’aura de cesse de venir porter secours à Sam, pour le meilleur et pour le pire, selon où l’on se positionne.
Car d’un côté, si Lui nous apparaît en véritable sauveur nous permettant d’obtenir rapidement l’affection des gens, et par conséquent ce que l’on souhaite d’eux, on ne peut s’empêcher d’avoir le sentiment de ne rien contrôler tant Sam semble être perdu sans lui. Un choix de narration intéressant qui pourra en « ennuyer » certains, mais que nous trouvons fort à propos, étant donné les thèmes abordés par le jeu.
Car si Lui est bien une béquille sur laquelle on s’appuie sans arrêt, on ne peut s’empêcher d’éprouver de la peine et de la sympathie pour un Sam qui essaie parfois de faire taire cette voix intérieure qui semble travestir ce qu’il est réellement.
Une relation qui nous rendra un peu triste compte tenu des vrais points forts de ce dernier, avec en premier lieu son intelligence et sa mémoire hors du commun, ici symbolisés par son Palais Mental, pratique mnémotechnique vieille comme le monde (lien ici pour en savoir plus, le sujet étant passionnant et au cœur des mécaniques du jeu).
Ainsi, la majorité de nos échanges proposera de deux à trois réponses différentes, opposant généralement les mentalités des deux Sam. Un exercice classique, mais rondement mené, en dépit de la propension qu’ont les deux partis à systématiquement argumenter sur les conséquences de nos choix, nous retirant à nous, joueurs, la liberté de penser, ou d’imaginer nous-mêmes les conséquences. Un point irritant, mais qui au final est raccord vis-à-vis des échanges internes du héros.
Une écriture intelligente pour une histoire classique
Pour le scénario dans sa globalité, il faut l’admettre, c’est un peu du réchauffé. Néanmoins, comme disait Bocuse, un bourguignon n’est jamais aussi bon que le lendemain. Une maxime qui semble aussi s’appliquer à Dontnod, qui arrive à partir d’un postulat déjà vu (quand on regarde son ensemble) à nous tenir en haleine d’un bout à l’autre du jeu, grâce à l’intelligence avec laquelle les phases de gameplay se mêlent à l’histoire.
Alors certes, certains passages sont un peu capillotractés (qui ne vérifie pas la maison après un cambriolage, qui ?), mais n’enlèvent en rien l’immersion dans laquelle Twin Mirror nous plonge durant la dizaine d’heures qu’il vous faudra pour le terminer. Une durée de vie assez courte, notamment à cause d’un méchant final expédié à la vitesse de l’éclair, nous coupant l’herbe sous le pied après un twist qui laissait pointer quelques heures supplémentaires de jeu à l’horizon.
Un final d’autant plus dommageable qu’il fait tache dans un jeu qui avait tout à gagner à prolonger l’expérience compte tenu de son excellent rythme ! Tout s’enchaîne diablement bien, et l’on évolue à travers les différents lieux avec une fluidité réelle, grâce notamment au système de Palais Mental qui nous permet de profiter de phases de réflexion diverses et variées.
Certaines stopperont le cours du temps pour nous permettre de réfléchir aux différentes actions possibles, alors que d’autres nous amèneront à reconstituer différentes scènes à partir des preuves récupérées sur les différents lieux de l’histoire. Et même si l’on résoudra sans trop de problème la majorité des énigmes du jeu, la sensation d’être un véritable détective sera bien là, et c’est bien le principal.
Et puis, que dire des thématiques évoquées dans ce jeu ? Entre l’acceptation de soi, le libre arbitre, mais aussi la place de la vérité dans le bonheur, il y en aura vraiment pour tous les goûts, et il ne tiendra qu’à vous d’aller explorer les émotions de notre Sam au travers de passages allégoriques du plus bel effet, pour vous en rendre compte.
Avec une D.A à la hauteur des ambitions du titre, Twin Mirror nous immerge dans l’esprit décidément rempli de surprises de Sam, pour le plus grand bonheur de nos rétines. Quelle tristesse cependant que le jeu souffre d’expressions faciales dépassées. Un point qui aurait pu s’avérer réellement rebutant si le doublage n’était pas d’aussi bonne qualité, nous permettant de nous fier à la voix des comédiens pour ressentir l’émotion du moment. Un état de fait qui ne s’applique hélas pas à l’ambiance sonore, oubliable, malgré quelques bons thèmes par-ci par-là.
C’est désormais une chose acquise, on ne sort plus d’un jeu Dontnod comme on y est entré. Agitateur de méninges par excellence, Twin Mirror, à travers son test, nous aura permis de poser un regard différent sur l’acceptation de soi et des autres au travers d’une histoire éculée remise au goût du jour, grâce notamment à l’ingénieux mélange des phases de gameplay et de narration.
Doté d’une D.A de qualité, le titre souffre néanmoins de quelques légers défauts techniques, le plus flagrant étant au niveau de l’animation faciale. Un point négatif qui, couplé à une fin expéditive, nous empêchera de le considérer comme un très grand du genre. Un constat dommageable tant le voyage aura été source de plaisir et de réflexion, grâce à un duo Sam/Lui qui ne laissera personne indifférent.