Tron et le jeu vidéo, c’est une association qui fait sens. Le jeu vidéo est au cœur du film, et son esthétique renferme intrinsèquement des idées de game design, comme la course de lightcycles, clairement inspirée du jeu Blockade (1976), ou le combat de disques, devenu lui-même un jeu dès 1983 (Discs of Tron) . Rien d’étonnant, au contraire, donc, que Mike Bithell, auteur de Thomas Was Alone ou de John Wick Hex, ne s’empare de l’univers de la Grille. Après Tron: Identity, voici donc Tron: Catalyst.
(Test de Tron: Catalyst réalisé sur Xbox Series via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Watch the Tron
Avec Tron: Identity, Mike Bithell s’emparait véritablement de la licence pour la faire sienne. Il invente alors l’Arq Grid, une copie de sauvegarde de la Grille (The Grid en V.O.), la création de Kevin Flynn dans le film, qui aurait été laissée à l’abandon et aurait ainsi développé son propre écosystème et dans laquelle les Utilisateurs sont devenus un vieux mythe presque oublié.
Cette mise en place permet à Bithell de tordre l’univers de Tron un peu comme il le veut, et avec Tron: Identity, il livrait habilement un visual novel teinté de puzzle game qui transformait la Grille en décors de polar.
Pour Tron: Catalyst, on retourne donc dans l’Arq Grid, et comme dans Identity, tout commence par une explosion. Le personnage qu’on incarne, Exo, est un coursier qui va, malgré lui, livrer un colis qui contient des explosifs. Bien entendu, Exo aura toutes les difficultés du monde à convaincre les autorités de son innocence, et se retrouvera rapidement incarcérée dans une prison dans lequel les détenus participent à des sortes de jeux du cirque. Mais l’explosion à laquelle elle s’est retrouvée mêlée lui a aussi transmis un drôle de pouvoir : la possibilité de « looper ».
ReTron en arrière
Un pouvoir très « jeu vidéo » qui permet d’intégrer de façon intradiégétique les mécaniques de die and retry : un échec, un combat déclenché par mégarde ? Pas de problème, on rembobine et on recommence, à la fois au niveau du scénario (le personnage utilise son pouvoir de retour dans le temps), et au niveau du système de jeu, qui nous fait simplement revenir au dernier point de sauvegarde.
Mais puisque ce système est intégré au scénario, il a des conséquences sur le déroulement des évènements. Ainsi, il sera possible d’obtenir un objet, ou un mot de passe, en utilisant des méthodes peu avouables, comme… la violence (!), puis de revenir quelques temps en arrière de façon à « effacer » ce dont on s’est rendu coupable, tout en conservant les informations ainsi obtenues. Il est également possible de débloquer des passages qui resteront ouverts entre deux « loop ».
Cette fonctionnalité est mise en avant dès le premier niveau, qui sert aussi de tutoriel, dans lequel il faut réaliser un parcours en un temps déterminé. On va alors échouer plusieurs fois, remonter le temps à chaque fois pour recommencer, mais en ouvrant de nouveaux passages à chaque tentative, permettant un parcours de plus en plus rapide, jusqu’au succès.
Un gimmick malin et meta, qui s’intègre parfaitement dans l’inivers de Tron, mais qui n’est hélas pas suffisant en soit pour rendre le jeu impactant.
Grand Tron Auto : Grid City Story
Car au-delà de ce die and retry scénarisé, le jeu est plutôt classique, et l’on cherche un peu le « twist » que Bithell implémente en général à ses jeux (le classique Solitaire transformé en jeu narratif avec The Solitaire Conspiracy, l’action effrénée d’un John Wick qui prend son temps dans un jeu au tour par tour…).
Tron: Catalyst est un jeu d’action classique en vue de dessus. On se voit confier des missions qui consistent généralement à se rendre à un endroit et à y éliminer les ennemis pour s’emparer d’un objet/rencontrer un personnage/pirater un ordinateur (ce qui, en termes de gameplay, ne change pas grand chose). Le système de combat, intégrant parade, esquive, attaque au corps à corps et à distance, n’est pas désagréable, mais manque clairement d’originalité (malgré la présence du Disque, dont les ricochets offrent quelques sympathiques possibilités).
Comme dans un GTA-like à l’ancienne (Chinatown Wars), on parcourt une carte ouverte (de taille plutôt réduite) à pied, ou en lightcycle, ce qui peut donner lieu à des poursuites pendant lesquelles on éliminera les ennemis grâce à la trainée de lumière que laisse derrière lui le véhicule. Des phases qui viennent donner un peu variété au gameplay, mais hélas entachées par une maniabilité perfectible ; des phases qui raccrochent aussi un peu le jeu à ses origines.
El Patron ou el pas Tron ?
Car ce qu’on regrette en plus haut lieu, c’est l’éloignement de ce Tron: Catalyst avec ce qui était au cœur de Tron, soit une vision métaphorique de la « vie » dans un système informatique. Si les personnages s’appellent encore « programmes » et cette nouvelle Arq Grid fut un asile pour les ISOs, les références à une informatique anthropomorphisée se font rares, et ne représentent plus qu’un élément de décors.
Certes, le scénario reste une fable qui met en exergue les travers de nos sociétés humaines modernes, avec ici l’affrontement entre l’autoritarisme des Core et la volonté émancipatrice des Automata, mais à une époque ou l’I.A. est au cœur de tellement d’enjeux, en ne l’évoquant pas du tout alors que c’est l’ADN même de la licence (le premier film montre des programmes anthropomorphisés d’abord imitant leur créateur avant que certains ne réclament un libre arbitre…), le scénario de ce Tron là semble à côté de la plaque.
On ne voulait pas finir sur un commentaire négatif, car Tron: Catalyst n’est pas un mauvais jeu. La direction artistique au néon typique de la licence est bien là et satisfera les amateurs, la musique de Dan Le Sac (qui nous avait jadis enjoint à devenir meilleur), déjà à l’œuvre sur le jeu précédent, reste efficace et tout à fait dans le ton, et le gameplay fonctionne.
On a néanmoins l’impression que la rencontre d’une licence aussi forte, et d’un auteur de la trempe de Bithell aurait pu aboutir à quelque chose de plus grand, que ce soit dans les mécaniques de jeux, qui restent ici très classiques, ou dans la narration, qui ne tire pas vraiment partie de l’univers créé par Steven Lisberger.