On ne présente plus la saga Tomb Raider et son héroïne, Lara Croft. Avec plus de 95 millions de jeux vendus depuis sa création en 1996, elle est aujourd’hui l’une des franchises les plus célèbres de l’histoire du jeu vidéo et plus généralement de la pop culture. À l’origine du succès, une première trilogie sortie entre 1996 et 1998, véritable révolution vidéoludique pour l’époque. Tomb Raider 1, 2 et 3 ont posé les fondations d’un tout nouveau type de jeu : mélange d’aventure, de voyages dans des lieux exotiques, d’énigmes et d’action, le tout porté par un personnage féminin en 3D rapidement devenu iconique.
Vingt-huit ans après, ces trois opus originels sont proposés dans une version dite remastérisée, Tomb Raider I-III Remastered, disponible sur PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Series, Switch et PC. À l’annonce de la sortie, la question de l’utilité d’un tel remaster s’est grandement posée. Pourquoi remettre sur le devant de la scène trois jeux certes cultes, mais bourrés de défauts et fortement datés ? La trilogie Tomb Raider remastérisée a-t-elle les moyens d’apporter un nouveau public à Lara Croft ou n’est-elle qu’un énième puits de nostalgie pour un public déjà conquis ?
(Test de Tomb Raider I-III Remastered réalisé sur Nintendo Switch à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Une jolie madeleine pour le goûter
Mettons directement les pieds dans le plat, ce n’est pas sans une certaine émotion que nous avons lancé ce Tomb Raider I-III Remastered pour la première fois. Allions-nous débuter par le premier jeu et sa vallée aux dinosaures ? Ou directement lancer le second opus, avec nos souvenirs quasiment intacts de Venise ? À moins d’aller faire un petit tour du côté du manoir de Lara, lieu d’entraînement devenu culte, pour jouer avec le majordome et la salle réfrigérée (les plus anciens s’en souviendront).
Quel que soit votre choix, si vous ne débarquez pas en terrain inconnu, la magie de la nostalgie opère d’entrée. C’est un plaisir de retrouver Lara dans des environnements variés autour du globe à la recherche d’artefacts rares, et de revoir les poses et mouvements iconiques du personnage (les sauts de côté, ou encore les deux revolvers pointés vers l’avant en courant).
De l’Inde à Londres, en passant par le Tibet ou la Grèce, c’est une vraie galerie de paysages qui s’offre à vous. Pour l’époque, c’était déjà énorme, mais en 2024, ça reste toujours aussi grandiose en termes de quantité et de durée de vie. Même Nathan Drake ne peut se targuer d’avoir visité autant de lieux.
Ça fonctionne d’autant plus que Tomb Raider I-III Remastered est plus beau que ne l’étaient les jeux originaux, sans pour autant rentrer dans les standards des jeux modernes. Encore heureux, nous direz-vous, tant les versions des années 90 paraissent aujourd’hui datées.
Une simple pression sur un bouton de votre manette, et vous pourrez switcher de la version originale à la version remastérisée sans quitter le jeu. C’est malin, et ça permet quelques rapides comparaisons. Alors qu’on ne s’attendait pas à s’en servir outre mesure, ce petit gadget nous a même permis de nous sortir de quelques situations compliquées dans la version remastérisée aux couleurs parfois beaucoup trop sombres.
Lara Croft et les paysages qui l’entourent sont beaucoup moins cubiques et pixelisés que dans les versions originales. On s’est même surpris à utiliser le tout nouveau mode photo ajouté pour l’occasion, afin d’immortaliser certains points de vue sur le Sphinx ou l’arrivée de Lara dans les murs de l’Atlantide.
Si la mise en beauté est plutôt réussie pour Lara et les environnements, on ne peut pas en dire autant de ses adversaires, qu’ils soient humains, animaux ou créatures imaginaires. Sur eux, le coup de polish n’a pas vraiment fonctionné, et on est vite retombé dans les années 90. Loin d’être rédhibitoire, mais il est dommage que l’attention n’ait pas été portée sur tous les éléments du jeu.
Lara Croft, héroïne aux nombreux défauts
Mais critiquer Tomb Raider I-III Remastered, c’est aussi replacer dans le contexte d’une nouvelle époque des jeux datant de quasiment trente ans. Oui, les graphismes sont améliorés, mais que reste-t-il des qualités qui ont fait de la trilogie Tomb Raider un tel phénomène à l’époque ? Et surtout, que reste-t-il de ses défauts ?
Faire progresser Lara dans les différents niveaux reste un régal. Chaque tableau est un mélange d’action, d’énigmes et de parkour savamment équilibré. Vingt-huit ans après, les premiers jeux Tomb Raider tiennent largement la comparaison avec des jeux récents en termes de level design et d’inventivité. On s’est même pris à comparer l’aventure à certains titres de FromSoftware (toute proportion gardée) avec son lot de pièges, de surprises, de passages secrets, et de va-et-vient incessants à la recherche du bon objet qui nous permettra d’avancer.
Mais en 2024, il faut bien plus qu’un bon level design pour faire un jeu réussi. Et si c’est un plaisir de découvrir ou de redécouvrir les lieux qui ont fait de Tomb Raider le mythe qu’il est devenu, force est de constater que le remaster n’a pas réussi à masquer nombre de défauts. Malheureusement, si ceux-ci étaient pardonnables en 1996, ils sautent tellement aux yeux aujourd’hui que l’expérience de jeu en est sensiblement modifiée.
Si la trilogie Tomb Raider était incroyablement longue et difficile pour l’époque, aujourd’hui, on peut rajouter qu’elle est terriblement frustrante. Faire se déplacer Lara relève par moments du parcours du combattant, la faute à une caméra régulièrement mal placée, ou à des commandes qui ne répondent pas, ou avec un temps de latence important.
Problème, Tomb Raider I-III Remastered ne laisse aucune place à l’erreur. Pour éviter une mort précoce à Lara, chaque saut se joue au millimètre et chaque combat nécessite une bonne gestion de l’espace. Malheureusement, le gameplay trop rigide a petit à petit entaché notre plaisir de jeu. Trop de morts bêtes, trop de moments à se battre avec la caméra, et la fluidité de l’aventure est partie en fumée, la transformant par moments en un jeu de plateforme impitoyable, loin de la promesse de départ.
Pour qui et pourquoi ?
Avec presque trente heures de jeux en quelques jours, ce serait mentir que de dire que nous n’avons pas pris de plaisir à retrouver Lara Croft dans ses premières aventures. Mais à chaque saut raté (certains par notre faute, d’autres non), à chaque moment où la caméra fait n’importe quoi, et à chaque chute dans le vide, la même question s’est imposée : serions-nous encore en train de jouer si nous n’avions pas une attache personnelle avec les trois titres ?
Et c’est avec déception que nous devons répondre par la négative. Tomb Raider I-III Remastered a ramené avec lui tous les défauts de son temps. Et soyons honnêtes, beaucoup d’autres jeux actuels se font lyncher pour moins que ça. Quoi qu’on en dise, c’est bien un jeu de 2024 qu’il nous a été donné l’occasion de tester, pas un jeu des années 90. Or, pour un jeu contemporain, ça ne suffit pas, et on a bien du mal à imaginer un public autre que connaisseur partir à la chasse au trésor.
Pour ceux qui ont découvert Lara Croft avec les derniers opus rebootés, on est loin des QTE et des jeux résolument tournés vers l’action depuis 2011, bien plus ancrés dans l’époque actuelle. Vous l’aurez compris, fans de Uncharted, s’il est indéniable que le personnage de Lara Croft a servi de modèle, l’élève a aujourd’hui dépassé sa maîtresse. Ou plutôt, la maîtresse a pris un sacré coup de vieux.
Tomb Raider I-III Remastered est un bel hommage aux premières aventures de Lara Croft sur nos écrans. Près de vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que les qualités des trois premiers opus sont restées intactes, et sont magnifiées par la mise à niveau graphique du remaster. Le level design est fantastique et n’a pas à rougir de la comparaison avec les standards actuels.
Si l’effet madeleine de Proust a bien eu raison de nous, nous ramenant avec plaisir aux quatre coins du monde avec Lara Croft, difficile néanmoins d’imaginer un public jeune se diriger vers cette anthologie. Pas assez belle graphiquement, incroyablement frustrante par moments et surtout truffée de petits bugs (caméra, déplacement, collision…), il sera bien difficile de tenir en haleine des joueurs exigeants sur la durée.
C’est dommage, car proposée au petit prix de 30 euros, l’affaire était alléchante sur le papier, encore plus au vu de la durée de vie des titres proposés. Mais en y réfléchissant bien, le prix était peut-être un premier indice.