Un an après la sortie du dernier épisode de The Dark Pictures Anthology, Supermassive Games revient et s’impose, sur les réseaux sociaux comme dans la presse, avec sa dernière création horrifique intitulée The Quarry. Successeur pressenti d’Until Dawn, le jeu profite de l’engouement actuel pour l’horreur, le rétro et les années 80, et sort quasiment en même temps que la dernière saison de Stranger Things. Coïncidence ? La vérité est ailleurs, mais le timing est pour le moins surprenant.
Initialement prévu en exclusivité sur Stadia, la sortie du jeu est finalement annoncée en Mars dernier sur les autres supports (la plateforme de Google ayant chu entretemps), et est remise sous le feu des projecteurs lors du récent Summer Game Fest. De quoi ravir les fans de mièvreries de jeunes adultes enrobées d’hémoglobine, et remettre en question le statut de jeu vidéo des films interactifs, signature du studio. Alors, un spectacle sanglant suffit-il à faire un bon jeu d’horreur ?
(Test de The Quarry sur PlayStation 5 réalisée via une copie commerciale du jeu)
The Quarry Horror Picture Show
Dans The Quarry, vous incarnez, à tour de rôle, les neufs moniteurs d’une colonie de vacances pittoresque, dans laquelle ils vont passer leur dernière nuit commune. Malheureusement pour eux, la fête initialement prévue va très vite virer au cauchemar sanglant, riche en morsures et démembrements.
Dès la scène d’introduction, un constat s’impose de lui-même : The Quarry est une pépite pour tout amateur de film d’horreur. Le jeu enchaîne les clins d’œil, tantôt subtils, tantôt assumés à des licences cinématographiques célèbres, Massacre au camp d’été et Vendredi 13 en tête. Les plans des cinématiques sont de véritables odes à la gloire du Teen Slasher, et du cinéma de façon plus générale.
La qualité des effets de lumière, l’intelligence des angles de caméra, et la précision du sound design vont créer cette ambiance propice à la tension, soutenue par des dialogues bien écrits, des personnages aux caractères marqués, et des choix éprouvants.
Le jeu est porté par un casting incroyable, avec des habitués des films d’horreur comme David Arquette (Scream), Ted Raimi (Evil Dead) ou Lin Shaye (Insidious), et des acteurs plus jeunes, mais pas moins talentueux, parmi lesquels Justice Smith (Detective Pikachu), ou encore Ariel Winter (habituée des doublages de jeux vidéo, aussi connue pour son rôle dans Modern Family).
La collaboration du studio avec Digital Domain (compagnie d’effets spéciaux basée à Los Angeles) pour la motion capture, combinée à la magie graphique de l’Unreal Engine, fait honneur au jeu des acteurs, notamment au niveau des animations faciales dont les tics sont parfois bluffants de réalisme. Quelques modèles sont en deçà des autres, celui d’Emma notamment, et le déhanché permanent des personnages nous a laissés perplexe, mais le jeu n’en souffre pas pour autant, et reste captivant tout du long.
Il est toutefois regrettable de ne pas pouvoir profiter de la VO avec des sous-titres en français, ou de simplement sélectionner la langue du doublage sans avoir à changer la langue de la console. À ce sujet, le doublage français, bien que très agréable et doté de certaines voix très proches de celles des acteurs originaux, reste loin derrière la version anglaise. Entre la synchronisation labiale et l’excellence du voice acting original, il était dur de faire aussi qualitatif… Hormis ces légers détails, vous l’aurez compris, le jeu réalise un sans-faute esthétique, mais qu’en est-il du reste ?
Smells like Teen Slasher Spirit
Soyez prévenus : The Quarry est un film interactif. Entendez par là qu’au niveau du gameplay, il faudra vous contenter de quatre simples éléments : le déplacement de votre personnage, les QTE, le button mashing, et très occasionnellement la visée avec une arme. Et ce sera tout.
Si vous êtes hermétiques à ces mécaniques, vous ne trouverez pas de révolution intrinsèque au genre, et ce n’est clairement pas l’intention du jeu. Au contraire, Supermassive Games a su mettre son expérience désormais éprouvée au profit de sa recette habituelle, et faire briller les qualités de ce genre de jeu : la narration, la photographie, et surtout ce sens aigu de l’implication du joueur dans les choix qu’il aura à réaliser.
Le rythme du jeu est parfaitement dosé, et après deux premiers chapitres servant d’introduction aux personnages et au décor, votre première partie sera riche en surprises et rebondissements. L’impossibilité de courir « by design » est un choix à double tranchant, favorisant l’observation et la contemplation, mais frustrant parfois le joueur habituel.
Dans sa conception, le jeu compte une dizaine de morts différentes par personnage, et un total de 186 fins, ce qui permet d’assurer un plaisir dans la rejouabilité. Certaines mécaniques vont dans le sens de la facilité pour optimiser le spectacle au plus grand nombre : les rewinds sur les morts définitives (débloqués après avoir terminé le jeu une première fois), la possibilité d’éviter le mashing, ou encore la visée automatique, deux options disponibles dans les configurations d’accessibilité.
The Quarry est aussi doté de deux modes multijoueurs originaux, qui reprennent et améliorent des mécaniques des précédents jeux du studio : la « coopération canapé », et le mode online à venir. Le premier propose de dispatcher les différents personnages entre plusieurs joueurs, et de se passer la manette entre chacune des scènes selon le protagoniste incarné. Le second, qui devrait être disponible début Juillet, va au contraire donner la possibilité aux spectateurs d’intervenir, en votant, sur les choix cruciaux qui seront imposés à l’hôte de la partie. Une idée pour le moins originale, qui devrait être source de moments imprévus et délirants, permettant de découvrir les différents chemins scénaristiques d’une nouvelle façon.
Quelques soucis viennent cependant nuire au plaisir du joueur : l’absence de VO sous-titrée en français déjà évoquée ; des problèmes sur le flou du décor, mal découpé autour des modèles 3D des personnages ; quelques faux raccords qui interpellent (mais où Emma avait-elle donc caché son téléphone portable avant son arrivée sur l’île…?) ; et surtout l’impossibilité de passer les cinématiques.
Ce dernier problème est d’autant plus pénalisant si vous vous décidez à refaire une partie, par exemple en mode cinéma (à savoir en tant que simple spectateur, sans aucune action à réaliser en dehors des choix). Impossible alors de zapper les tronçons que vous connaissez déjà, notamment ceux des premiers chapitres, qui restent relativement similaires, peu importe vos actions. Incompréhensible, et particulièrement frustrant.
And… (inter)action!
Dans la continuité des anciens jeux de Supermassive Games, The Quarry, derrière son statut de simple jeu d’horreur, questionne sur les mécaniques de l’amusement.
Ce n’est pas son gameplay minimaliste, voire inexistant dans certains modes purement passifs, qui sera le cœur de l’expérience ludique, mais bien le show sanglant qu’il propose. Et lorsqu’on le compare aux productions de Quantic Dream, le scénario ne se veut ni aussi torturé, ni porteur de messages sociétaux aussi importants (en tout cas en première lecture). Alors, où est caché le fun de The Quarry ?
Probablement dans l’expérience sociale que propose le jeu, conçu comme un vrai spectacle à partager à plusieurs. Si les surprises scénaristiques et la multiplicité de possibilités assurent le plaisir d’une partie en solo, c’est bien dans les réactions partagées et les échanges entre amis/inconnus (dans le futur mode en ligne) que le jeu se démarque et se définit.
Que ce soit en se passant la manette dans le mode coopératif, ou bien en cédant le choix des décisions à prendre dans le mode en ligne aux autres spectateurs, The Quarry propose une interaction sociale comme moteur essentiel du jeu.
« Si de nombreux joueurs apprécient les jeux de Supermassive pour la découverte de l’histoire et le défi de la survie, il existe également un large public de personnes qui les apprécient comme des expériences à regarder, plutôt qu’à jouer, ou auxquelles ils participent à un niveau moins intensif. » – Will Byles, Directeur de la Création.
Le jeu devient ainsi un medium hybride, située entre le jeu vidéo, le film, et le jeu de société, dont la découverte est complètement différente selon qu’on le traverse seul ou à plusieurs, quand bien même le matériau serait identique. Et cette proposition de Supermassive Games, qui ne manque pas de mordant, est on ne peut plus pertinente à une époque où les streamers (et a fortiori les spectateurs) de jeux vidéo s’imposent comme la nouvelle norme sur Twitch et YouTube.
The Quarry, cauchemar parfaitement réussi, assure le spectacle, surprend et amuse. Et le public en redemande.
Longue vie au gore ! The Quarry est un bonbon sanguinolant, au bon goût de rétro. Film interactif assumé pour le plus grand plaisir des joueurs/spectateurs, vous y trouverez votre bonheur si vous ne cherchez pas un gameplay digne de ce nom, mais plutôt un moment de spectacle divertissant. Appréciable seul, le jeu est délectable à plusieurs, et c’est dans cette dimension sociale qu’il prend tout son sens. Un jeu à croquer les yeux fermés !