Avec Street Fighter II, Capcom a inventé, et même imposé un genre. Le plus grand jeu de combat de son époque était aussi, tout simplement, le plus grand jeu vidéo. Depuis, la licence a connu des hauts et des bas. Le versus fighting n’est plus l’attraction principale de l’esport, et un jeu comme Mortal Kombat a pu le dépasser en popularité, et même chez Capcom, des Resident Evil ou Monster Hunter sont désormais plus profitables. Les défis qui attendent Street Fighter 6 sont donc nombreux, et les premières images qui avaient été publiées nous laissaient à penser que les équipes avaient mis le paquet pour les relever. Alors, « SF6 Wins » ?
(Test de Street Fighter 6 réalisée sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Un jeu massif comme Zangieff
Malgré une fin de carrière en plutôt bonne forme grâce aux DLC formant la Champion Edition, Street Fighter V avait passablement écorné l’image de la licence. La faute à un contenu famélique au lancement, mais aussi à des choix un peu déroutants, comme le sponsor affiché au début de chaque combat façon free-to-play qui énervait un peu tous les joueurs. C’était donc la première mission de ce Street Fighter 6 : faire du démarrage de l’épisode V un mauvais souvenir.
Et c’est une mission largement accomplie, avec un contenu aussi lourd que E. Honda ! Il fallait « ouvrir » le jeu, mais en même temps ne pas s’écarter trop loin de ce qu’est un jeu de vs. fighting compétitif ; il fallait continuer ce que Street Fighter II avait commencé à construire il y a un peu plus de trente ans déjà, mais aussi proposer un jeu moderne, avec son lot de nouveautés, au-delà d’un rééquilibrage des personnages… Alors Street Fighter 6 sera divisé en trois modes de jeu, presque trois jeux différents.
Le mode Fighting Ground, d’abord, est tout ce qu’on attend de basique d’un jeu de combat. Des combats classés ou non, contre un autre joueur ou contre l’ordinateur, un mode entraînement où l’on pourra pratiquer ses quarts de cercles, mais aussi un mode « histoire » comme dans tout bon vs. fighting qui se respecte. On y trouve aussi des tutoriels fort bien conçus, et un mode Extreme, qui vient ajouter des petites contraintes amusantes et originales pour pimenter les combats, comme l’arrivée d’un petit robot qui servira au premier joueur qui l’activera, ou un mode dans lequel un taureau enragé traverse l’écran, et qu’il faudra évidemment éviter…
C’est un peu le mode rétro de Street Fighter 6, celui qui aurait terriblement manqué s’il n’avait été présent, mais qui ne surprendra personne.
Beaucoup plus étonnant, le mode World Tour est cet open world dont on parle beaucoup depuis son annonce et les premières images de Street Fighter 6. C’est à la fois un mode solo et une porte d’entrée incroyablement bien pensée dans l’univers du combat en 2D. Dans le mode World Tour, après avoir créé son avatar via un outil plutôt complet (et qui invite à l’extravagance !), on parcourra les rues de Metro City, d’abord – car les univers de Final Fight et de Street Fighter ne font désormais plus qu’un –, puis le monde, pour accomplir diverses missions qui se résolvent généralement grâce à un combat.
C’est l’occasion pour le jeu de nous mettre face à des situations et à des contraintes qu’il faudra savoir reconnaître et analyser, ensuite, en combat dans les autres modes, si l’on a l’ambition de remporter quelques matchs. Ainsi, tel ennemi nous mettra au défi de le faire tomber, tel autre se protègera systématiquement des attaques basses et moyennes, nous forçant à le combattre avec des coups sautés… Et peu à peu, on acquerra des bases quant à la façon de réagir devant certaines situations, on apprendra à gérer l’espace, à se sortir de mauvais pas comme quand on est coincé dans un coin… Le tout en ayant l’impression de jouer à un RPG-lite. C’est la méthode Karaté Kid, quand Daniel-San pensait qu’il avait passé son été à lustrer des carrosseries, alors, qu’il perfectionnait les gestes qui lui permettraient de contrer son adversaire au tournoi de All Valley !
Un mode qu’il est difficile de ne pas comparer à la saga Yakuza, tant dans sa présentation en petit open world finalement assez restreint, que dans le ton, les dialogues et les mécaniques. Les gangs qui peuplent les rues portent des cartons sur la tête avec deux trous pour les yeux (?!), et ruent dans les brancards pour nous combattre dès qu’ils nous aperçoivent, exactement comme dans les jeux Yakuza. De manière générale, à peu près tout le monde, du salary-men rentrant chez lui à la marchande de légumes, en passant par les agents de police patrouillant, tout le monde est toujours partant pour se taper joyeusement dessus dans le mode World Tour. Ça n’a aucun sens, comme les missions qui nous sont confiées, et c’est ce qui rend le tout spécialement fun !
Du fun, on en trouvera aussi dans le troisième mode, le Battle Hub, probablement l’attraction principale de ce Street Fighter 6, puisque le mode World Tour ne sera probablement pas rejoué après avoir été bouclé une première fois. On le trouve d’ailleurs en position centrale dans le menu du jeu.
Le Battle Hub, c’est la recréation d’une salle d’arcade « à l’ancienne ». Toute une série de bornes sont installées, et on peut s’y asseoir pour affronter des joueurs du monde entier. Si deux joueurs s’affrontent sur une borne, on peut aussi, comme devant une vraie borne, faire la queue pour affronter le gagnant ! C’est vraiment le cœur du jeu, à la fois très simple et pourtant génial.
Au centre du Battle Hub se trouve une petite arène où les avatars peuvent s’affronter. En jouant sur les bornes d’arcade, il faudra choisir un personnage de Street Fighter. Mais le combat d’avatars implique le personnage que nous créons et faisons évoluer dans le mode World Tour, et qui aura appris des coups spéciaux auprès de différents maîtres. Ainsi, notre avatar peut être un panaché de différents combattants de Street Fighter (un coup spécial de Luke, un autre de Chun-Li, et évidemment un Hadoken…), et l’arène du Battle Hub permet de mettre notre recette à l’épreuve face à d’autres avatars.
Enfin, on évoquait la comparaison avec Yakuza pour le mode World Tour, et cette comparaison revient dans le mode Battle Hub, puisqu’on y trouve aussi un corner rétro, avec des bornes jouables de différents titres « historiques » de Capcom. Pour le moment, Street Fighter II, Vulgus (un shoot’em up vertical) et Final Fight sont disponibles, et d’autres jeux devraient tôt ou tard faire leur apparition.
Un jeu séduisant comme Cammy
Même si les avatars sont en général plutôt moches, voire carrément monstrueux, pour le reste, c’est carton plein. La direction artistique de Street Fighter 6 est absolument superbe. C’est pop, coloré, joyeux. Les explosions de couleurs qui surgissent quand un coup spécial est lancé font leur effet, les entrées sur le ring façon « Main Event » d’un gala de catch sont hyper charismatiques, et la musique n’est pas en reste.
Les animations sont extrêmement soignées, et nous font ressentir la lourdeur des personnages, la puissances des coups. Les muscles, qui se dessinent plus ou moins selon les mouvements, sont de ces détails quasi imperceptibles qui rendent bien la force des personnages.
Les qualités graphiques du jeu donneront envie de s’y essayer, mais c’est le gamesystem qui fera qu’on y reste. D’abord, il y a le contenu gigantesque évoqué ci-dessus, mais surtout, le jeu est fait pour que chacun puisse s’y amuser. C’est simple : il n’y a jamais eu de meilleur moment pour commencer le jeu de combat.
Le mode World Tour, la collection de tutoriels du mode Fighting Ground, mais aussi les trois modes de contrôles (Classique, Modernes, qui facilitent les coups spéciaux, et Dynamique, pour s’amuser sans se prendre la tête sur les contrôles) permettent aux débutants de démarrer de façon moins intimidante, mais aussi aux joueurs les plus casuals de jouer le temps d’une soirée entre amis sans être perdus par la complexité des commandes.
Ce qui ne veut pas dire que c’est un jeu uniquement pour le grand public. Le joueur expert à la recherche d’une méta profonde trouvera aussi (probablement) ce qu’il cherche, entre la barre de Drive, celle des coups ultimes, les actions cancellables, l’état de burn-out… Autant de détails de mécaniques que de notre côté, nous ne maîtrisons pas tout à fait, mais on compte sur le programme d’entraînement pour y remédier !
Un jeu qui vieillit bien, comme Ryu et Chun Li
On se souvient d’un tweet (que nous n’avons pas retrouvé, hélas) publié lors de la révélation des personnages de Street fighter 6, et de leur nouveau design, qui critiquait la nouvelle allure de Chun Li, arguant « qu’elle a l’air d’avoir 50 ans ». Ce à quoi il avait été répondu que justement, elle a 50 ans !
Car les personnages historiques de Street Fighter (Ryu et Ken, Guile, Zangieff, E. Honda, Chun Li…) ont tous pris un petit coup de vieux. Un détail appréciable, qui montre aussi que le jeu évolue, mûrit. C’est un jeu qui ne se prend plus au sérieux, et qui pousse le curseur à fond vers le fun. Comme dans le Metro City du World Tour, on joue à la bagarre, beaucoup d’éléments sont parodiques, et on est là surtout pour s’amuser.
Pour que le fun opère, on l’a vu, l’accent est mis sur l’accessibilité, mais aussi sur l’inclusivité. On trouve des personnages de toutes les morphologies, de tous les âges, de tous les looks et de toutes les couleurs. Les vieux peuvent rétamer les jeunes, et les filles sont parfois bien plus musclées que les garçons. Eternity, le personnage qui nous accueille dans le Battle Hub, est assez « gender fluid », et le jeu semble avoir freiné un peu sur l’hypersexualisation des personnages. Même Cammy porte un pantalon !
Contenu massif, D.A. séduisante, accessibilité, inclusivité, et surtout, beaucoup de fun, à notre niveau, on ne voit pas grand-chose à reprocher à cet épisode, qui semble avoir tout ce qu’il faut pour remettre la licence à sa place de plus grand jeu de combat du monde ! Le succès public semble déjà au rendez-vous, avec des pics d’audience sur Steam qui surpassent de très, très loin les performances de n’importe quel autre jeu de versus fighting.
Reste à voir comment il sera reçu sur le circuit pro… Rendez-vous à l’EVO et sur le Capcom Pro Tour pour voir si, comme on le pense, ce Street Fighter 6 va rejoindre les légendes des jeux de combats et nous accompagner pendant au moins quelques années !