Découvert en 2021 sous le nom de Project EVE, Stellar Blade a su au fil des mois et des années susciter l’attrait des joueurs qui décelaient en la première production console du studio coréen Shift Up un grand potentiel. Exclusif à la PlayStation 5, le titre est disponible depuis le 26 avril dernier, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il fait encore plus parler de lui (pour le meilleur comme pour le pire).
Entre les polémiques autour de son héroïne et de sa plastique généreuse, les questionnements sur l’impact du titre sur la condition féminine, les éléments cosmétiques censurés ou les procès en jalousie vu ci et là sur les réseaux sociaux, on finit par ne plus parler du jeu en lui-même. Alors essayons de replacer un peu de jeu vidéo dans ce brouhaha inaudible et constatons si, au-delà des apparences, Stellar Blade a une proposition ludique pertinente derrière sa protagoniste aux formes aguicheuses.
(Test de Stellar Blade sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Au plus proche de NieR
Pour fuir un ennemi venu l’exterminer, l’humanité a fui dans le froid de l’espace. La Terre n’est aujourd’hui qu’un champ de ruines dans lequel une poignée d’humains survivent tant bien que mal. Toutefois, la guerre n’est pas terminée et pour reconquérir sa terre natale, les humains ont envoyé des soldats ayant pour mission de repousser ces envahisseurs sous la supervision divine d’une Matri-Arche. Voilà le point de départ de la mission d’EVE, rescapée d’un escadron envoyé sur Terre massacré par les Naytibas.
Sauvée in extremis par Adam, un humain local, EVE se verra confier pour mission de soutenir Xion, la dernière cité des Hommes tout en débarrassant ses alentours de la menace Naytibas, et accessoirement venger ses compagnons massacrés à leur arrivée sur Terre. Une guerre dont l’objectif à terme est de permettre aux humains exilés de revenir sur Terre. Un point de départ scénaristique qui n’est pas sans nous rappeler l’excellent NieR Automata, ajoutant au passage quelques références bibliques pas très finaudes, mais passons.
L’affiliation avec le chef d’œuvre signé Yoko Taro ne se résume d’ailleurs pas qu’à la trame scénaristique. Divers thèmes abordés rentrent en résonance direct avec les aventures de 2B et 9S et leurs quêtes de vérité. Quêtes qui, dans Stellar Blade, permettront de constater les magnifiques rendus des protagonistes principaux, leurs regards reflétant de manière impressionnante des émotions, de la vie, comme nous n’en voyons pas si souvent dans le jeu vidéo.
Techniquement d’ailleurs, Stellar Blade est une franche réussite. La fluidité n’est jamais prise à défaut, en mode performance du moins, et les environnements comme personnages, ainsi que les différents effets volumétriques, sont ce que l’on est en droit d’attendre d’un jeu AAA en 2024.
Les personnages rencontrés durant notre aventure disposent de leurs propres caractères et désirs, et suivre les histoires de chacun d’entre eux est très souvent intéressant. Toutefois, si l’écriture des différents protagonistes, principaux comme secondaires, est remarquable, le fil narratif de leur préoccupation s’est globalement révélé un peu trop redondant, avec bien souvent la même conclusion à chacune des missions annexes que l’on nous confie.
Qu’importe, car ce qui est le plus important reste le voyage, et non la destination, et ces bulles de quêtes secondaires nous permettent d’en apprendre plus sur l’univers dépeint ici. Alors qu’habituellement, ce genre de quête Fedex nous laisse de marbre quant à ses enjeux, là, on y trouve systématiquement des éléments passionnants à en retirer, que ce soit de par le développement des personnages ou par les simples informations historiques que l’on découvre en avançant.
Le titre est d’ailleurs particulièrement expansif quand il s’agit de décrire son univers. Les dialogues sont bien sûr une source d’information importante, mais le plus gros de nos connaissances proviendra des (très) nombreuses notes que l’on découvrira sur les innombrables cadavres jonchant les sols de notre planète en ruine. L’idée reste très scolaire dans son principe, mais a le mérite de nous offrir un intérêt supplémentaire à l’exploration dans les moindres recoins des différentes zones de jeu.
La finesse en moins
À notre grand regret, il est malheureusement impossible d’évoquer Stellar Blade sans aborder les différentes polémiques qui l’ont accompagné. Et si le débat a fait rage sur les différents réseaux sociaux, X en tête, la rédaction de New Game Plus n’a pas non plus été épargnée. Ainsi, si l’on pouvait résumer très grossièrement la conclusion de nos échanges endiablés, c’est qu’in fine, les équipes de Shift Up ont manqué de finesse.
Un manque de finesse qui s’est notamment traduit par une communication uniquement ou presque axée sur la plastique d’EVE alors que Stellar Blade a tant d’autres arguments à faire valoir. Pragmatiquement, ce choix peut toutefois se justifier, et on peut dire que la communication a aussi été une réussite lorsque l’on voit à quel point le jeu est sur le devant de la scène depuis sa sortie alors qu’il s’agit de la première production ambitieuse d’un studio complètement inconnu jusqu’alors (après quelques titres mobiles au goût douteux).
Au final, que ce soit en bien ou en mal, on parle du jeu, et c’est à peu près tout ce qui importe, et quand viendra l’heure du bilan, il semble très probable que les chiffres de vente se révèleront excellents. De là à dire qu’il faut créer la polémique pour vendre ? Sans doute pas uniquement, mais il semble indéniable que l’intensité des débats ont dû, a minima, rendre curieux des personnes qui n’auraient sinon jamais esquissé un regard vers le jeu.
Et si la communication autour du titre n’est pas ce qu’il y avait de plus fin, le fil narratif du titre n’est pas en reste non plus. L’univers a beau être fouillé et intéressant, son intrigue principale est quant à elle cousue de fil blanc. Les événements majeurs sont anticipés de longues heures auparavant et on sent arriver les scénaristes avec leurs grands sabots dès les premiers moments de jeu. Cela ne nous a cependant pas empêché de le suivre avec plaisir. Aussi, si la comparaison avec NieR Automata a pu se justifier sur bien des points, on ne retrouve toutefois pas dans Stellar Blade le génie narratif d’un Yoko Taro.
Chérie, ça va trancher !
Là où par contre les équipes de Shift Up ont fait preuve de génie, c’est lorsqu’ils ont conçu leurs systèmes de jeu, et en premier lieu les affrontements. De prime abord simple, avec les traditionnelles attaques fortes ou rapides, l’ensemble se complexifie peu à peu en ajoutant régulièrement, quand on a bien assimilé nos précédentes possibilités, de nouvelles mécaniques à débloquer et développer via un arbre de compétence simple mais efficace.
A l’instar d’un Sekiro: Shadows Die Twice, les combats de Stellar Blade reposent principalement sur notre capacité à contrer ou esquiver en rythme les assauts ennemis. Un peu comme dans un jeu musical, les combats répondent à une chorégraphie savamment orchestrée. Un indicateur bleu attend une réponse spécifique, un indicateur rouge, une autre, etc. Le feeling, manette en main, couplé au design sonore des frappes et contres portés rendent les affrontements particulièrement jouissifs. Ajoutez à cela une arme à feu dont l’implémentation se fait de manière très astucieuse, et on obtient un cocktail ludique détonnant.
Grâce à cela, on pardonne même un bestiaire global un peu faiblard, quoique chaque adversaire, et surtout les boss, disposent d’une direction artistique à tomber. D’ailleurs, les différents boss, principaux comme secondaires, sont remarquable de construction. On pourrait arguer que leurs attaques peuvent parfois manquer un poil de visibilité, mais dans l’ensemble, nous avons pris un pied monstre à les occire les uns après les autres.
Toutefois, résumer l’expérience Stellar Blade à simplement des combats contres des monstres dans une pampa désertique serait tout à fait réducteur. C’est un tout admirablement équilibré qui a rendu notre aventure exceptionnelle. Pourtant, la formule est basique sur le papier.
De grandes zones ouvertes à explorer, dans le sens noble du terme, pour y dénicher de nombreux trésors et objets ayant un impact direct sur nos paramètres (en nous permettant par exemple de débloquer des éléments à échanger aux marchands contre améliorations), avec parfois quelques énigmes à résoudre pour débloquer des coffres ou améliorations statistiques
On profite de ces grandes promenades pour accomplir des quêtes annexes et puis, juste au bon moment, avant qu’on ne commence à se lasser face à une certaine redondance rythmique, on part conquérir des sortes de donjons, imposés par l’histoire, pour cette fois une expérience plus balisée, couloir même, mais brillamment mise en scène. On s’est même dit à plusieurs reprises qu’il y avait un peu d’Uncharted dans certains passages, dont des scènes iconiques ont dû servir d’inspiration.
Alors effectivement, on a pu pester ci ou là sur un équilibrage pas toujours très maitrisé, sur quelques attaques de gros monstres manquant de lisibilité ou sur des zones ouvertes qui peuvent paraitre artificielles, avec des monstres posés à droite à gauche attendant un manant prêt à se faire déchiqueter, mais nous mettrons cela sur le compte de la jeunesse du studio qui fait là ses premières armes dans le monde impitoyable des AAA. Et quelles armes !
Stellar Blade a été un plaisir ininterrompu de la première minute jusqu’à la dernière seconde. Il est ce que l’on peut attendre d’une grosse production vidéoludique en 2024. Ses inspirations sont nombreuses et évidentes, certes, mais les développeurs de Shift Up ne se sont pas contentés de recopier bêtement ce qui a fait le succès de quelques illustres ainés.
Le titre a du caractère et une proposition à la fois classique dans sa structure mais suffisamment unique et maitrisée pour que l’on n’ait pas l’impression de jouer à un énième Beat’em Up standard. Alors effectivement, Stellar Blade montre quelques signes de maladresse, comme avec cette histoire cousue de fil blanc ou son équilibre pas toujours optimum, mais ils ne sont que quelques gravillons dans un engrenage tellement bien huilé.
Et dire que nous avons failli ne pas évoquer les fantastiques compositions musicales dont certaines ont été produites par le studio Monaca à la tête duquel on retrouve un certain Keiichi Okabe, que l’on connait surtout pour sa contribution à la bande originale des NieR. Bref, au-delà des polémiques, des invectives entre défenseurs et détracteurs de son héroïne, Stellar Blade est surtout et avant tout un excellent jeu, sans réel défaut, qui se positionne déjà en tant que sérieux prétendant pour les Game Awards.