Avec depuis un petit moment déjà le retour aux affaires sérieuses de SEGA, nous avions accueilli avec autant de plaisir que d’impatience la nouvelle nous annonçant l’arrivée – enfin ! – de la licence Sakura Wars en France. D’autant que SEGA y a mis les moyens, avec une équipe façon all stars, du chara-design à la musique, en passant par la production ou le scénario… Le studio Sangzigen, qui avait notamment épaulé Trigger sur le long métrage d’animation Promare, a été dépêché pour produire les nombreuses scènes d’animation traditionnelles. On avait donc toutes les raisons d’y croire… mais avait-on raison d’y croire ? Après avoir bouclé l’aventure, notre verdict.
(Test de Sakura Wars réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Sakura Wars : l’héritage
On ne va pas refaire l’historique de la licence Sakura Taisen, titre original de Sakura Wars, que vous avez pu lire dans nos colonnes à l’occasion des différentes news sorties sur le jeu. Rappelons simplement qu’il s’agit d’un titre culte paru à l’origine sur SEGA Saturn en 1996, mêlant dating sim (sous-genre de visual novel dans lequel le joueur doit séduire le ou les personnages du jeu) et tactical. Le jeu a connu de nombreuses suites et autres spin-off, mais jamais localisés en France ou même en Europe.
Le Sakura Wars qui sort aujourd’hui n’est pas exactement une suite, mais un « soft reboot » de la licence. Situé dans le même univers, une grosse dizaine d’années après le premier épisode, le jeu raconte une nouvelle histoire avec de nouveaux personnages, et ne nécessite absolument pas de connaître les premiers Sakura Taisen. C’était l’épisode idéal pour lancer la licence à l’international. Cependant, le fan service est assuré, et la présence au casting de personnages du tout premier Sakura Taisen permet de faire le lien entre ancienne et nouvelle génération.
Nous sommes à Tokyo, à l’aube des années 40. L’Histoire a pris une autre direction que celle qu’on connaît (hop ! On esquive au passage d’éventuelles polémiques…), la société s’est développée autour de la puissance de la vapeur, et se relève d’une attaque démoniaque qui a pu être repoussée au prix de grands sacrifices. La Brigade Des Fleurs n’est plus que l’ombre d’elle-même, et la protection de Tokyo a dû être confiée à la Brigade de Shangaï.
La Brigade Des Fleurs, c’est une troupe qui assume le double rôle de protéger et divertir (une alternative au protect & serve de la police US !). Aux yeux du monde, c’est une troupe de théâtre, hélas, désormais loin de sa grandeur passée. On vient la voir aujourd’hui surtout pour rire, comme on se regarde entre potes un bon vieux navet produit par Golan-Globus… Mais c’est aussi une troupe gouvernementale de pilotes d’élite, chargée de protéger la cité contre les assauts de démons grâce à leurs spiricle strikers, des armures de combat. Enfin, c’était. Car là encore, le manque criant de moyens, d’exercice, et d’organisation a privé le groupe de la gloire d’antan.
Pour y remédier, la troupe a recruté Seijuro Kamiyama, qui arrive comme la dernière chance de la Brigade des Fleurs. Ce dernier aura en effet la lourde charge de les préparer pour les Olympiades Interbrigades, une compétition durant laquelle les pilotes du monde entier s’affrontent. Au même moment, divers incidents laissent à penser que les démons préparent leur revanche…
Saison 01, épisode 01
Le jeu conserve l’identité des tout premiers épisodes, et possède deux couches de gameplay. La première de ces couches, la plus importante, c’est la partie narrative. Le jeu se présente alors comme un visual novel, on suit des lignes de dialogues, avec parfois des phases à choix multiples. Durant cette partie du jeu, on aura un peu d’exploration, pour conserver de l’interactivité et ne pas transformer le joueur en simple spectateur. Cependant, la liberté reste assez limitée. L’autre astuce, c’est d’avoir mis un petit peu d’enjeu dans les dialogues : faire les bons choix permet d’augmenter la confiance du groupe, ce qui aura une incidence directe lors de la seconde phase.
L’autre facette du gameplay, ce sont les combats, qui interviennent systématiquement en fin de chapitres, après la phase narrative. Si les premiers Sakura Taisen proposaient des combats via un tactical, ici, le jeu s’oriente plus du côté de l’action, avec des niveaux de hack’n’slash. On contrôle ainsi une escouade de deux ou trois combattants aux commandes de leur spiricle strikers. Si un seul personnage est jouable à la fois, il sera possible de switcher à la volée entre les différents personnages disponibles, pour profiter des différents armements et coups spéciaux des différentes armures.
Chaque armure possède son style de combat (rapide, lourd, à distance…), deux attaques (une rapide et une puissante, plus longue à mettre en œuvre) et un coup spécial destructeur qui nécessite de ramasser des items pour être chargé. Rien de bien neuf, donc, mais le tout est plutôt bien exécuté. Notons que certains défauts que nous avons pu constater lors de notre test (l’absence de verrouillage sur les ennemis, en premier lieu) devraient être corrigés grâce au patch 1.01 prévu pour sortir en même temps que le jeu.
Il faut avoir à l’esprit malgré tout que la partie narrative représente le cœur du jeu. On suivra dans chaque chapitre autour d’une bonne heure et demie de visual novel pour vingt minutes de combat. Il ne faut donc pas se lancer dans l’aventure en ayant en tête de « zapper » la narration pour jouer uniquement aux phases d’action, mais plutôt se dire qu’on va suivre un animé avec des morceaux interactifs. C’est d’ailleurs comme ça que le jeu est présenté, avec un opening digne de nos animés cultes, un découpage en épisodes, et des conclusions de chapitres avec des « trailers » annonçant : « dans le prochain épisode »…
Méta-morphose
Sakura Wars ne vient pas de nulle part – on a rappelé ses origines – et n’arrive pas à n’importe quel moment. Ces dernières années, SEGA a réussi à imposer au grand public deux de ses licences longtemps étiquetées « jeux de niches » : Persona, et Yakuza. Nul doute que l’idée était de réitérer l’exploit avec Sakura Wars. Et le titre n’arrive pas non plus n’importe quand. Le jeu vidéo connaît en ce moment une vraie période de revival 90s : les jeux les plus importants sortis ces derniers mois sont bien entendu Final Fantasy VII Remake (épisode original : 1997), Resident Evil 2 et 3 Remake (sorties des épisodes originaux respectivement en 1998 et 1999 ), mais aussi Half-Life: Alyx (premier épisode sorti en 1998) ou encore DOOM Eternal (le DOOM originel est sorti en 1993).
Sakura Wars et son héritage des 90s arrivent ainsi à point nommé. Mais le jeu se frotte aussi à une concurrence particulièrement rude (les titres cités ont été particulièrement reconnus par la critique comme par le public), et semble avoir conscience de son statut de vilain petit canard (qui, ne l’oublions pas, cache en vérité un cygne majestueux !). De nombreuses mises en abîme mettent ainsi le jeu lui-même en scène.
En effet, dès la première scène du jeu, Seijuro Kamiyama déclarera en arrivant à Tokyo, en observant son environnement : « Ça alors… Ils ont vraiment tout restauré. ». Le personnage semble ici parler du jeu lui-même, et s’exprime un peu comme le joueur de Sakura Taisen 1996 découvrant ce Sakura Wars 2019, sa nouvelles mise en scène tout en 3D, ses cut-scenes animées dignes des grandes productions télévisuelles… La situation de la Brigade des Fleurs, héritière de la même Brigade version 1996 (comme Sakura Wars est l’héritier de Sakura Taisen ’96), fauchée et qui fait d’abord rigoler le public, peut rappeler une concurrence déloyale entre la débauche de moyens accordés aux nouvelles versions de FFVII, Resident Evil Remake ou Half Life et l’apparente modestie du titre.
La mise en abîme est clairement un des thèmes du jeu. Un jeu dans le jeu, le Koi-Koi, jeu de cartes jouable au sein de l’aventure, qui reprend même le lettrage du titre Sakura Wars pour son écran de démarrage !
Personne n’est parfait
Si Sakura Wars a, comme ses héroïnes, du cœur et de la bonne volonté pour s’imposer dans ce contexte très concurrentiel, il a aussi quelques défauts qui viendront le plomber. Outre le genre du jeu, très narratif, auquel tout le monde n’adhérera pas, on a parfois l’impression qu’il a – encore une fois, comme la Brigade des Fleurs – manqué de temps ou de crédit. Certaines scènes souffrent ainsi d’absence de doublage, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi telle ou telle scène est doublée, et telle autre muette.
De la même façon, d’autres scènes ne présentent rien d’autre qu’une image fixe. Si la plupart du temps, l’aventure est racontée en 3D via le moteur du jeu (avec un rendu animé grâce à un cell shading très réussi), on a régulièrement droit à des scènes d’animation traditionnelles de très grande qualité. Mais parfois, certains événements ne nous sont racontés que via une illustration figée, sans que rien ne l’explique.
Plus grave peut-être, le jeu possède une très faible rejouabilité. Certes, les fins sont multiples (une pour chaque héroïne), et il est possible de rejouer les combats, mais une fois les épisodes vus et joués, on n’a pas vraiment de raison d’y revenir… Ou alors dans quelques années, comme on aime à se refaire en DVD les intégrales de Visions d’Escaflowne ou d’Evangelion…
Plaisir coupable
Car c’est surtout ainsi qu’il faut prendre le jeu : comme une bonne série animée, qui a l’originalité de proposer des segments jouables. Et c’est une série particulièrement réussie. Certes, les personnages sont assez archétypaux, un peu comme dans un groupe d’idols auquel on pourrait comparer la Brigade des Fleurs, avec la fille forte un peu garçon manqué, la rêveuse timide, la plus âgée qui joue le rôle de maman… La Brigade des Fleurs, c’est les Morning Musume ! Les glow sticks feront d’ailleurs une apparition dans le jeu… Mais avec ce matériau de base un peu inhérent au genre, Sakura Wars propose une aventure et des personnages qu’on a plaisir à suivre et à retrouver de partie en partie, d’épisode en épisode.
La mise en scène et le jeu des acteurs de doublage (en japonais uniquement) sont dynamiques, enjoués. Le jeu est coloré, le design des personnages (sur lequel a travaillé Tite Kubo, auteur de Bleach!) est très réussi, et la musique de Kohei Tanaka – déjà à l’œuvre sur les premiers Sakura Wars, mais aussi sur d’innombrables animés, de Dragon Ball à One Piece, en passant par Patlabor – est tout bonnement magistrale.
Le thème principal reprend le thème original de la série, appelle clairement les références 90s, et il est très difficile de s’en séparer une fois qu’on l’a en tête ! Enfin, le design des robots/armures – reprenant là encore les modèles des jeux précédents – est très très réussi, original, avec un côté SD qui leur donne une vraie identité.
Sakura Wars ne s’adressera pas à tout le monde. Il faut, pour apprécier, avoir un petit penchant pour ces trucs un peu inhabituels venus tout droit du Japon. Cependant, le jeu remplit complètement son contrat, et pourrait même, grâce à un dosage maîtrisé entre action et narration, convertir un certain nombre de joueurs réticents au genre.
Au-delà de ça, c’est aussi une sorte de rêve devenu réalité, quelque chose que Don Bluth avait déjà essayé de produire dès 1983, sans avoir les moyens techniques d’aller au bout de ses idées : un vrai dessin-animé interactif. Sakura Wars, c’est les séries animées du mercredi après-midi, dans les années 90, auxquelles il nous est proposé de participer ! Et lc’est bien évidemment une invitation qui ne se refuse pas…