Troisième mousquetaire du jeu indé avec Annapurna et Devolver, Raw Fury a publié ces derniers mois des jeux comme Call of the Sea, Backbone ou Townscaper. Une certaine appétence pour les directions artistiques marquées, donc, qui n’a pourtant pas eu besoin de nous convaincre tant les premières images de Sable étaient fortes ! Nous évoquions Métal Hurlant à l’occasion de la critique de The Artful Escape, et on pourrait encore se rappeler cette fameuse revue de bandes-dessinées à laquelle Jean « Moebius » Giraud a longtemps participé. Ce dernier est en effet l’inspiration principale du trait de Sable.
Mais même avec une D.A. à couper le souffle, un jeu a besoin d’un gameplay, d’une expérience, qui marque au moins autant. La démo publiée par Xbox il y a quelques semaines nous laissait entrevoir une belle aventure au long cours en open world. Nous avons donc remis notre chèche pour aller affronter le vent sec du désert…
(Test de Sable réalisée sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
La Neige au Sahara
Pas de vraie raison derrière cette utilisation du titre d’Anggun si ce n’est l’envie de le déterrer, et le thème du désert. On avait découvert Sable via une démo qui nous laissait jouer à l’introduction de l’aventure. Bien que courte, cette démo nous avait permis de découvrir la direction artistique folle du jeu, et grossièrement son gameplay. Mais surtout, elle nous avait donné terriblement envie de découvrir plus en avant son monde ouvert, promesse d’une grande et belle aventure.
Bonne nouvelle, notre enthousiasme n’est pas retombé, et la promesse est bien tenue.
La démo (qu’il faudra refaire en passant au jeu complet) s’arrêtait alors que Sable – le nom de l’héroïne – était sur le point de quitter son village. Elle arrive en effet à cet âge où il lui appartient de choisir la direction qu’elle donnera à sa vie. Et pour ce faire, la tradition veut qu’elle aille parcourir le monde pour multiplier les rencontres et les expériences, et ainsi découvrir sa vocation.
Un point de départ parfait pour un jeu en monde ouvert : un appel à l’aventure et à l’exploration où le joueur et le personnage auront toujours raison de sortir un peu du cadre des missions pour aller voir du pays.
J’écris ton nom
Le jeu se repose ainsi beaucoup sur ce gameplay « organique » qui avait tant plu dans Breath of the Wild. Que ce soit en ville ou dans les plaines désertiques, on se plaît à errer, à se diriger à l’envie, à découvrir les paysages, à aller voir cette forme qui semble poindre à l’horizon. Et la curiosité est souvent récompensée. On tombera ainsi sur les ruines d’un appareil qui contient encore des bribes de souvenirs de ce qui s’est passé « avant », sur une usine dont on peine à comprendre la fonction, sur une serre étonnante au milieu du désert… Petit bémol néanmoins concernant la faune de l’univers de Sable, quasiment inexistante.
Les lieux ainsi découverts seront souvent l’occasion d’énigmes, de phases de plateformes ou de puzzles environnementaux : une porte qu’il faudra réussir à rejoindre en exécutant un parcours fait de sauts et d’escalade, ou un passage qu’il s’agira d’ouvrir en découvrant comment.
Bien sûr, au milieu des phases d’exploration, le jeu est aussi structuré en mission à compléter. Si on n’échappe pas aux quêtes FedEx, le gameplay est varié et multiplie les genres, parfois étonnants, comme cette mission où il s’agit d’enquêter sur un sabotage qui a privé une ville de courant, en cherchant des indices, interrogeant les habitants… Et durant laquelle on soumettra nos propres conclusions !
Néanmoins, absolument aucune mission n’est obligatoire, et même la « fin » du jeu est optionnelle ! Accomplir des missions nous donnera droit à des badges, qui eux-mêmes nous permettront d’acquérir des masques, qui correspondent à autant de jobs. Une fois suffisamment de masques obtenus (« achetés » avec des badges, ou découverts lors de nos pérégrinations), le jeu nous donnera la possibilité de rentrer au village pour mettre fin au rituel (et donc à l’aventure), et se choisir un rôle d’adulte. Mais rien ne nous oblige alors à rentrer, et continuer l’exploration de la carte reste une option tout à fait envisageable.
Pas de RTX ? Pas de problème…
Car avec l’exploration, le maître mot du jeu sera la liberté. Liberté d’aller où l’on veut, liberté d’accomplir ou non des missions, liberté d’abandonner un « donjon » qui nous causerait trop de souci, sans que jamais nos décisions ne bloquent l’aventure.
Cette liberté, rare, est celle que l’on cherche la plupart du temps dans un jeu en open world. Et elle est ici totale, et complètement justifiée par le scénario. On n’aura jamais aucun sentiment de devoir ou d’urgence, et l’envie d’aller découvrir tel ou tel point à l’horizon pourra systématiquement être assouvie.
Ce qui va de pair avec l’autre grand plaisir du jeu : la découverte graphique. L’originalité de la D.A. a frappé dès les premiers trailers du jeu, et s’est confirmée avec la démo. Pourtant, tout est encore à découvrir. On avait parlé de l’influence évidente de Moebius en découvrant les premières minutes du jeu, et on ne résiste pas à la tentation de répéter cette référence évidente :
À gauche, Mystère Montrouge, de Moebius, à droite, le tout début de Sable…
Mais au-delà du style graphique, mélange de ligne claire et de cel-shading, c’est aussi toute la palette de couleurs qui surprend à chaque instant. Selon l’heure de la journée et l’ensoleillement, l’écran peut être éclatant de couleurs ou monochrome. Le ravissement est permanent, et jusqu’à la fin et les dernières zones visitées, les décors continueront de se renouveler et de ravir le joueur. Ah ! Cette mer de sel…!
On pourra pester (un peu) contre la technique : clipping, soucis de caméra dans les zones exiguës, et quelques bugs un peu gênants qui seront probablement réglés très vite par une mise à jour (qui sont même peut-être déjà réglés pour la version commerciale du jeu ?)… Mais rien qui ne viendra vraiment gâcher l’expérience.
Après The Artful Escape, c’est le second jeu en très peu de temps qui se base presque entièrement sur l’expérience visuelle qu’il propose, et qui réussit à offrir des tableaux très référencés, mais à la saveur pourtant inédite. C’est aussi un récit d’initiation, dans sa plus pure tradition littéraire, qui se déroule à travers le désert comme celui de Paul Atréides faisant en ce moment grand bruit au cinéma. Bref, définitivement un jeu de son temps.
Expérience visuelle marquante et réussie, Sable n’a pas que ses beaux contours en cel-shading à offrir. Jeu d’exploration et récit d’initiation, le titre de Shedworks – tout petit studio de deux personnes ! – se montre particulièrement immersif et addictif en nous faisant réellement voyager aux côtés de son héroïne. Comme elle, on ira de découvertes en découvertes, guidé par notre instinct et notre envie, et comme elle, on essaiera de se constituer un maximum de souvenirs avant que l’aventure ne s’arrête.
Si les attentes étaient sûrement trop grandes par rapport à la taille du projet, elles ont pourtant été comblées ! Sable est l’un des indispensables de cette rentrée.