Bien qu’on ne trépignait pas d’impatience à la sortie de ce Robocop: Rogue City, on peut dire que le projet avait levé un doux enthousiasme chez les cinéphiles des années 80. Avec un budget maîtrisé et une ambition restreinte, mais bien présente, Teyon délivre une œuvre qui transpire la passion sans dériver vers le fan service abrutissant que la licence a pu connaître (RoboCop de 1988 sur Arcade ou encore le Robocop de 2003 sorti sur la génération PlayStation 2/Xbox ne sont pas vraiment mémorables). Teyon et Nacon frappent pourtant fort avec un jeu AA qui assume ses origines et comblera largement les amateurs de la première heure.
Dans un Néo-Détroit qui se déroule juste après Robocop 2, Robocop: Rogue City s’ouvre sur une scène d’ouverture à la mise en scène efficace et maîtrisée qui nous fait demander si on ne tient pas entre les mains le jeu Robocop tant rêvé. Nous verrons que même s’il n’invente rien et utilise une formule assez datée, sa modestie l’honore et le place déjà directement dans notre cœur.
(Test de Robocop: Rogue City sur PC réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Pulp Fiction
Pour parler de Robocop: Rogue City, il faut parler de la genèse de l’œuvre et de la licence. Paul Verhoeven, en 1987, réalise un film qui fera date, surtout pour les fans de films de ce genre. S’il s’agit avant tout d’une commande pour un public d’adolescents, le réalisateur hollandais porte le concept jusqu’au bout et propose une œuvre radicale, hyperviolente, sale et éminemment caustique.
Avec la présence de ce corps politique totalement corrompu qui ne recherche que le profit et un discours extrêmement nihiliste (la scène de fin met à mal la notion même du happy end hollywoodien), Verhoeven donne une vision anticipatrice d’un Détroit totalement détruit économiquement et politiquement ravagé par l’ultra-libéralisme : plus de services publics, la police même est désormais privatisée.
Robocop se résume pour beaucoup à un film quasi nanardesque alors qu’il s’agit d’un glitch infiltré dans la matrice du blockbuster américain. C’est aussi un film qui dénonce intelligemment un système dont il fait partie, tout cela sans oublier de faire du divertissement. Le cahier des charges du film de genre est totalement respecté.
Sortira ensuite Robocop 2, de Irvin Kershner (1990), avec un Frank Miller au scénario (qui fera une BD sur sa vision de Robocop et une autre avec Robocop vs Terminator, attention chef-d’œuvre), qui bénéficie d’une aura puissante chez les fans, mais qui déçoit une partie du public, surtout la critique.
Robocop 2 a une histoire assez convenue, un antagoniste nommé Caïn (niveau inspiration, ça se pose là), une satire forcée qui a perdu de son mordant et, pour couronner le tout, un réalisateur moins investi. On lui accordera tout de même une certaine clairvoyance sur les subprimes américains et la faillite de Détroit, point d’orgue du film que reprendra le jeu. Si la genèse de l’œuvre est aussi importante, c’est que Robocop: Rogue City démarre à la fin de Robocop 2 (qui oubliera totalement Robocop 3 et c’est mieux ainsi).
Robocop: Rogue City garde cet esprit bourrin qui figurait dans la narration des films et l’inclut dans son gameplay. Vous incarnez un Murphy lent et blindé comme un tank. Votre mobilité n’est clairement pas votre atout ; c’est principalement votre puissance de feu qui fera la différence. Votre armure et votre barre de vie assez conséquente ne vous incite pas à profiter des couvertures comme dans les FPS tactiques d’aujourd’hui et rappelle les vieux FPS classique arcade à la Time Crisis.
Le jeu semble faire un pont entre une époque révolue et notre présent, autant sur ses thématiques narratives, nous y reviendrons, que sur le genre du FPS. Comme le film, Robocop: Rogue City s’aventure dans un genre ultra codé, le FPS, pour revenir à des bases vidéoludiques simples qui s’assument à 100%.
« Come Quietly, Or There Will Be… Trouble! »
Ce côté pulp, on le retrouve dans le côté FPS de manière très pratique : les cibles surgissent de tous les côtés et restent stoïques jusqu’à ce que vous les abattiez. Certains auront parfois le bon sens de s’abriter, mais il ne s’agit clairement pas de la majorité. Si le tout peut paraître assez risible, l’apparence burlesque des ennemis et leurs répliques potaches fonctionnent parfaitement avec cet aspect archaïque du FPS. Lorsque vous enfoncez une porte ou défoncez un mur, vous aurez droit à une séquence bullet time à la John Woo sommaire, mais réussie.
Même si on ne se situe pas sur un rail-shooter, le level-design reste très linéaire et vous pouvez ici vous déplacer à votre aise. Les ennemis ne réfléchissent pas à vous contourner ni à faire de réels tirs de suppression, vous n’aurez qu’à avancer et tirer dans le tas. Ceci dit, le jeu vous propose tout de même de déambuler dans certaines zones à votre guise – après tout vous êtes la loi – et de distribuer des contraventions si vous arrivez à repérer les incivilités (voiture mal garée, tapage nocturne, vandalisme).
Ces passages sont de véritables bulles d’air qui permettent de délayer un peu la succession des couloirs et des séances de tirs qui peuvent parfois être répétitives. C’est dans ces moments que l’on s’aperçoit de la passion, de l’envie des développeurs de retranscrire fidèlement les lieux ainsi que les personnages, mentions spéciales à Lewis et à Murphy ainsi qu’au commissariat. Le travail sur l’ambiance générale des lieux est très poussée et la prouesse technique est à souligner quand on connaît le budget du jeu.
Même si le jeu est avant tout un FPS, vous aurez quelques quêtes secondaires qui, sans être d’un niveau d’écriture incroyable, vous feront sentir comme un élément inhérent de la ville. Certaines peuvent parfois surprendre et remémorer quelques passages amusants de la licence tandis que d’autres vous feront presque oublier le côté FPS bas du front du jeu pour qui veut s’y intéresser un minimum. Sachez aussi qu’une sous-couche de RPG vient donner un autre aspect à ce Robocop: Rogue City.
Vous pourrez améliorer l’agent Murphy à travers différentes caractéristiques comme l’armure, l’ingénierie ou bien encore la psychologie déductive. Certaines caractéristiques vous donneront parfois accès à des capacités actives comme le multi-lock de cibles ou encore un dash qui pourra assommer les punks de Néo-Détroit sur votre passage. Sans être totalement transcendante, cette facette RPG ajoute un côté personnalisé assez inattendu qui modifiera sensiblement votre partie.
En plus d’apporter des capacités actives, certaines caractéristiques vous débloqueront des opportunités de dialogues, des accès à des coffres ou bien vous donneront la possibilité de résoudre certaines enquêtes beaucoup plus rapidement. Si les enquêtes ne sont pas très complexes, la vision de Robocop vous permettra de tout résoudre en moins de cinq minutes, et l’immersion est bien là. Nous n’attendions pas moins d’efficacité de la part du policier blindé, à vrai dire.
Toujours dans une veine RPG, vos actions auront des conséquences. Selon vos décisions, principalement vos choix de dialogues, vous pourrez soit favoriser la confiance des citoyens envers la police en entretenant des relations amicales avec eux ou affermir la loi à travers des décisions fortes. Concrètement, vous pourrez parfois vous faire des ennemis en ayant été un peu trop ferme et le payer plus tard lors de vos errances dans les rues malfamées de Détroit.
« They’ll Fix You. They Fix Everything. »
Si la partie shooter prend beaucoup de place, le côté enquête peine à trouver la sienne, et la narration du jeu nous emmène quant à elle sur des thématiques chères à la science-fiction bien que peu originales. Murphy, alias Robocop, sera en proie au doute quant à sa propre humanité. Quelques réminiscences douloureuses de son ancienne vie renforceront cette dichotomie existentielle tandis que certains passages à la mise en scène réussie montreront toute la complexité de cette dualité interne qu’éprouve notre héros.
Dans une époque où l’intelligence artificielle n’a jamais été aussi présente (on pourra trouver en ce moment même dans nos salles obscures The Creator de Gareth Edwards qui prend à bras le corps cette thématique), le propos du jeu est terriblement d’actualité et résonne encore plus fortement que dans les années 80.
Dans Robocop: Rogue City, les frontières entre le Bien et le Mal sont floues. Le film originel de Verhoeven laisse encore sa marque sur le jeu, car on se rappelle que les gentils de l’histoire n’étaient finalement pas si bienveillants… Sans révéler l’intrigue principale du jeu, il vous faudra environ une dizaine d’heures pour en arriver à bout, et celle-ci vaut la peine d’être vécue.
L’intelligence de cette narration vient même se retrouver dans le gameplay. Selon nous, cette lenteur de Robocop montre bien l’impossibilité du joueur (et donc de Murphy) de ne pas se prendre de plein fouet la décrépitude de Détroit. Le policier, c’est-à-dire le joueur, agit comme un véritable tampon entre la misère sociale de la ville et les sphères de pouvoir logées dans de trop hautes tours d’ivoire. Bien que l’on ne parle ici que des blessures physiques, les blessures psychologiques sont quant à elles beaucoup plus tenaces mais le jeu saura confronter le joueur à cette détresse morale.
Si Robocop: Rogue City n’invente rien, son efficacité dans sa retranscription d’un univers SF glauque et froid ainsi que sa modestie nous le font, peut-être, aimer plus que de raison.
Si nous sommes des fans de la première heure de Robocop, nous ne saurons que recommander ce jeu aux personnes étrangères à ce Néo-Détroit que l’on aime tant malgré nous. Son côté défouloir assumé et son immersion ne l’inscriront sans doute pas dans le marbre des grands jeux vidéo, mais la surprise vaut bien le détour.