1999, les Pet Shop Boys chantent New York City Boys. 2019, exit les boys, et exit New York, c’est River City Girls. Si les titres semblent se répondre, la comparaison ne s’arrête pas là. À l’image de la musique des garçons de l’animalerie, le titre de WayForward est pop, coloré, enlevé, mais, on va le voir, pas complètement dénué de fond. Et surtout, il a pour maître mot le fun !
(Test de River City Girls réalisé sur PC à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Héritage
River City Girls ne vient pas de nulle part. C’est en effet la dernière itération en date d’une saga vieille comme l’histoire des jeux vidéo et connue à l’ouest sous le nom de River City Ransom. Le tout premier titre de cette longue série qui en compte une cinquantaine (!) sort en 1986 au Japon, et s’intitule Nekketsu Koha Kunio-kun (Renegade à l’international), du nom de son protagoniste principal, Kunio-kun, qui donnera ensuite son nom à toute la série.
En France, si le titre est moins connu que sur l’Archipel, c’est une sorte de fils illégitime de la saga qui a retenu l’attention : Double Dragon, qu’on doit aux mêmes équipes (celles du disparu Technos Japan). Au cours de sa carrière, la série des Kunio-kun a exploré différents genres, comme les jeux de sports, avec des titres de foot ou de balle au prisonnier, mais le jeu est surtout un beat’em up. C’est bien entendu ce genre qu’a retenu River City Girls pour porter l’héritage. Héritage officiel, puisque c’est désormais Arc System Works qui est détenteur de la licence Kunio-kun.
Ainsi, Kunio-kun lui-même apparaît dans le jeu. Mais il a dû abandonner pour un temps le rôle de héros bagarreur pour endosser celui de la victime sans défense. En effet, lui et son comparse Riki ont été kidnappés, et ne peuvent plus compter que sur leurs petites amies respectives, Kyoko et Misako, pour leur sauver les miches…
Girl Power
Si cette inversion des rôles, où la princesse en danger devient l’héroïne badass, permet bien entendu de rafraîchir un peu la licence, il ne s’agit pas que de cela. On le sait, le milieu du jeu vidéo est loin d’être exemplaire en ce qui concerne l’égalité filles-garçons, et les événements du gamergate (2014) ont mis un gros coup de projecteur sur le problème. Malheureusement, depuis, rien n’a vraiment évolué, et ces dernières semaines ont vu défiler de tristes illustrations du problème, avec les accusations de harcèlement sexuel qui se sont multipliées dans différents studios, aboutissant notamment au suicide de l’un des accusés.
Bien sûr, les jeux vidéo nous ont déjà offert à de nombreuses reprises des figures de femmes fortes et indépendantes, de Lara Croft à Chun Li, en passant par Samus ou Shantae. Mais plus rarement ces filles prennent réellement la place qui échoit traditionnellement aux hommes. Leur indépendance leur permet de s’affranchir de la présence des garçons, plus difficilement de s’imposer à leur place. C’est le tour de force du scénario de River City Girls, aussi simpliste qu’il est rare.
Fun fun fun
Mais ne faisons pas de River City Girls le jeu politique qu’il n’est pas. Si cet aspect fait en effet écho au contexte actuel, il ne vient néanmoins jamais faire d’ombre au trait principal du titre : l’éclate ! Dès les premières secondes, avec son thème pop et rock (interprété par Crisitina Vee) et son intro façon anime hyper colorée, le jeu file la banane. On va s’amuser, c’est sûr.
Et cela ne se démentira pas. On est en terrain connu, confortable. Le jeu est un beat’em up tout ce qu’il y a de plus classique, qui rappelle par de nombreux aspects le Scott Pilgrim vs the World sorti sur PlayStation 3 et Xbox 360 en 2010. Ce dernier se présentait déjà comme un hommage enamouré au genre beat’em up à l’ancienne, musique chiptune et gros pixels inclus. On avance, en solo ou à deux en local, de tableaux en tableaux, jusqu’à atteindre le boss du niveau, pour recommencer au niveau suivant. Sur le chemin, on peut ramasser des armes éphémères et s’offrir des upgrades de stats et de santé dans les boutiques de la ville.
Le jeu commence de manière très frugale, avec 3 boutons : le saut, le coup rapide, le coup puissant. Mais au fur et à mesure de la progression (et des passages facturés dans les dojos), il sera possible d’apprendre de nouveaux coups et enchaînements pour devenir de plus en plus dangereuse. Le jeu n’est pas particulièrement dur, même en mode difficile. Un game over renvoie systématiquement au début du tableau (et non pas au début de la map ou du niveau), limitant les dégâts en termes de progression. Cependant, “mourir” impliquera de laisser derrière soi une partie importante de son butin, freinant alors les possibilités d’évolution du personnage. Cette mécanique est suffisamment punitive pour nous pousser à faire de notre mieux, tout en évitant de se montrer trop frustrante (on est en 2019, les joueurs ne savent plus perdre…).
Du neuf avec du vieux, ou le contraire
Les mécaniques de combat tiennent surtout à maîtriser le timing et les déplacements dans les quatre directions, et il faudra savoir repérer les animations de chaque adversaire, annonciatrices de leurs différentes attaques (high kick imparable, jump kick, boule de feu…). Évidemment on joue de préférence à la croix directionnelle, pour une plongée plus immersive dans le gameplay rétro. Et à vrai dire, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu cette petite douleur au bout des pouces, signe de parties intenses, équivalent vidéoludique des courbatures du sportif (c’est pourtant quelqu’un qui a passé une soixantaine d’heures sur Bloodstained qui rédige ces lignes).
Les boss sont honorables, très facile pour le premier, qui tient lieu de tutoriel, les choses se corsent dès le second, et à vrai dire, le troisième nous a envoyé farmer un peu de level pour être à la hauteur… Le jeu s’inscrit dans son époque en incluant des mécaniques RPG (même si très light) ; outre les caractéristiques qui peuvent être améliorées via des accessoires, on rencontrera un voisin un peu creepy, qui aime traîner dans les poubelles, et nous confiera des quêtes secondaires propres à nous faire faire quelques allers-retours sur la carte.
Il nous faut néanmoins parler de quelques défauts de game design qui peuvent par moment irriter. Le choix de contrôles simples à quatre boutons peut créer de la confusion. Ainsi, le bouton X permet à la fois de taper et de passer à l’écran voisin. Il devient alors très difficile de se battre à proximité des bords du niveau, puisque voulant envoyer un uppercut à l’adversaire, on se retrouve transporté par le jeu dans le tableau d’à côté.
C’est d’autant plus gênant que des ennemis sont souvent présents dès notre entrée dans le niveau, sur ces mêmes bords de l’écran. Le problème est le même avec la touche pour ramasser des armes, qui est aussi la touche X. Vouloir asséner un coup à un ennemi à proximité d’une arme sur le sol entraîne le ramassage impromptu de celle-ci, accompagné d’une exposition aux coups adverses pendant 1,5 seconde… Il aurait été plus simple et plus pratique de mettre ces commandes sur les boutons L et R…
Baby, you’re a firework !
Des défauts mineurs en comparaison du plaisir qu’apporte le jeu, plaisir aussi dû à la direction artistique magistrale du titre. La magie des pixels opère comme souvent, les décors sont animés, variés, colorés, vivants… Les cutscenes se présentent sous la forme d’un manga (papier) animé. C’est très réussi, et les dialogues, qui interviennent aussi bien pendant ces cutscenes que pendant le jeu, sont aussi drôles que bien interprétés.
On se doit d’ailleurs à ce sujet de citer le travail de Cristina Vee, qui a dirigé les acteurs pour le doublage (en plus de prendre un petit rôle dans le jeu). Ce sont Kayli Mills et Kira Buckland (2B dans NieR: Automata) qui prêtent leur voix aux héroïnes, tandis que Greg Chun (Takayuki Yagami, dans Judgment) double Kunio-kun. La musique participe aussi grandement à la réussite de l’ambiance du jeu.
Tantôt pop-rock, tantôt chiptune façon 16 bits, pour nous rappeler l’héritage (Streets of Rage…). Limited Run Games a d’ailleurs publié une belle édition vinyle de la BO, mais ainsi que vous vous en doutez, cette dernière s’est envolée aussi rapidement qu’elle était arrivée… Il reste toutefois que l’album du jeu est présent sur tous les sites de streaming comme Deezer ou Spotify.
River City Girls est une réussite sur tous les points. Rétro sans sentir le renfermé, sexy mais pas sexiste, simple mais pas simpliste. C’est le savoir-faire WayForward tel qu’on le connait, épaulé par un casting pointu et talentueux.
Alors oui, on pourra faire les difficiles et pointer les quelques maladresses de game-design, notamment au niveau des contrôles, qui empêchent d’en faire un titre pour compétiteurs ; mais on n’avait pas eu une telle réussite dans le genre depuis presque dix ans et la sortie du jeu Scott Pigrim ! Reste un dernier point noir que le temps saura probablement corriger : le prix un peu élevé (autour de 30€) au regard du contenu. Mais, eh ! Quand on aime…