« Ah bah dis donc, c’est à cette heure-ci que tu reviens ? Depuis 2014 qu’on t’avait pas vu, Hayabusa ! Et ta série phare, là ? Les Ninja Gaiden machin, c’était sympa, ça ! Bien hardcore et tout, un truc de joueurs chevronnés, quoi !
– J’étais présent dans les Dead or Alive pour information. Du coup, mon dernier jeu remonte à 2019, avec DOA 6, et pas 2014.
– Te fous pas de moi, Naruto-like à deux balles ! Comment je fais pour avoir du vrai challenge, moi ? J’ai poncé les Nioh, les Souls, tout ça !
– OK, tiens, voilà la Ninja Gaiden: Master Collection. Trois jeux pour le prix d’un, et maintenant dégage avant que je te transforme en cosplay de moussaka. »
Ryu Hayabusa a beau essayer de nous impressionner avec ses lames tranchantes comme des rasoirs, on ne nous la fait pas. Certes, Ninja Gaiden: Master Collection comprend trois titres : Ninja Gaiden Sigma, Sigma 2 et Ninja Gaiden 3: Razor’s Edge, mais il s’agit seulement de portages et non de remasters, et aussi de trois des jeux les plus controversés de la série. Portage paresseux ou achat absolument nécessaire pour les amateurs du ninja ? Verdict aiguisé comme une lame, pointu comme un couteau.
(Test de Ninja Gaiden: Master Collection PS4 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Chauffé comme une flamme
Résumé des épisodes précédents : Team Ninja, filière de Koei Tecmo, tient son nom de la saga de jeu qui l’a fait connaître : Ninja Gaiden. Depuis 1988, pas moins de 19 jeux ont porté ce nom. Platformer/beat’em’up, le tout mâtiné d’aventures plus ou moins heureusement scénarisées, la série fait partie du club fermé des « sagas cultes du jeu vidéo dont il est bon de dire que c’était mieux avant et qu’on a joué à tous les épisodes 2D même si ce n’est pas vrai pour briller en société » (nom inventé par nos soins).
Le ninja le moins discret de l’histoire du jeu vidéo (après ceux du village de Konoha) fait sa mue 3D en 2004, gardant son caractère hardcore hérité de la tradition arcade 2D, et s’ancre dans une modernité folle. Musiques, gameplay, graphismes, tout est aux petits oignons. La série gardera par la suite tous les marqueurs apparus ici et qui la définiront jusqu’à ce jour : timing exigeant, système de contre, combos dévastateurs, multiples armes, ninpô (magie ninja), vagues d’ennemis prêts à tout pour faire de vous un carpaccio de ninja, et boss enragés et enrageants.
Au sein de cette saga, Ninja Gaiden Sigma, premier épisode de cette collection de maître, comme les portages qui l’accompagnent, ne touche en rien au gameplay ou aux mécaniques de combat. Des trois titres, le level design de Sigma est sans doute le plus efficace. Les zones sont suffisamment ouvertes pour donner envie d’être explorées, mais sans excès pour ne pas donner une impression de vide ou de fadeur.
Les combats sont percutants et légèrement bordéliques (n’ayons pas peur des mots), la vitesse et la puissance brute de Ryu offrant une abondance de coups d’épée sanglants alors que les dégâts aléatoires empêchent de prévoir efficacement comment placer ses combos.
Et comme vous n’allez pas assez galérer lors des rixes, un ennemi invincible fera souvent son apparition : la caméra. Celle-ci s’inspire de la caméra à l’épaule de Resident Evil 4, mais là où cela fonctionne bien pour R.E.4, en raison de son rythme modéré, la nature virevoltante de Ryu Hayabusa aura vite fait de la mettre à la rue. Ce qui aura pour résultat de vous perdre parmi vos ennemis, ou de ruiner vos séquences de plateforme. Et cela sera un problème pour tous les jeux de la Ninja Gaiden: Master Collection…
Et puissant comme un fusil d’assaut
Le galop d’essai Ninja Gaiden Sigma a eu beau nous malmener, son ambiance et son rythme effréné ont réussi à nous coller la manette aux mains, avec un sentiment partagé entre heureuse nostalgie et souvenirs de manettes volant à travers le salon. Souvenirs qui reviennent à la surface avec encore plus de force grâce/à cause de Ninja Gaiden Sigma 2.
Ce dernier met en évidence la difficulté et le manque de réactivité des commandes surtout lors des phases de plateforme, et ces atroces phases de wall-run, qui seront un avant-goût de l’antichambre de l’Enfer vidéoludique pour quiconque s’y essaiera. Bien entendu, entre deux de ces phases, la caméra essaiera de vous tuer tout autant que vos ennemis, avant que vous ne puissiez arriver à de vastes arènes où les boss s’amuseront à vous rouler dessus comme la mauvaise foi sur les réseaux sociaux.
Boss qui ne manqueront pas de vous rappeler de nombreux affrontements que vous auriez déjà pu avoir vécu auparavant si vous avez déjà affronté Nioh 1 & 2. Et non seulement dans leur design, mais également dans leurs mécaniques. Mais nous y reviendrons.
Le diptyque Sigma & Sigma 2 est un excellent exemple du niveau de difficulté improductif que peut engendrer l’alliance d’un gameplay daté, des commandes rigides et un moteur de jeu dépassé. Et pourtant, ces jeux savent également vous récompenser. Que ce soit par des cinématiques assez soignées (pour l’époque), par le gain de nouvelles armes, ou de techniques de combat à débloquer, grâce à un système de progression assez proche d’un Devil May Cry. Ou même par la curiosité, peut-être un peu malsaine, de savoir comment le jeu va faire pour vous torturer dans les prochains niveaux.
Est-ce que cela sera suffisant pour vous motiver à poursuivre jusqu’à Ninja Gaiden 3: Razor’s Edge ? Question complexe. Pour y répondre, il faut d’abord savoir que ce troisième volet de la Master Collection est le plus agréable et accueillant de la série. Les combats y sont plus brutaux, mais Ryu et la caméra sont bien plus faciles à contrôler. La difficulté, toujours très relevée, en devient pourtant moins pénible (les échecs sont dus à des erreurs du joueur, et non pas à de l’aléatoire, des bugs ou à une caméra à la ramasse).
La formule Ninja Gaiden y atteint son équilibre parfait, entre tension permanente, personnage hyper réactif, scénario digne d’un épisode de Giraya Ninja (non, pas celui de Naruto), et combats de boss épiques. Pourtant, un arrière-goût amer nous accompagne tout au long de cette aventure. Un sentiment de mal-fini, comme si la Team Ninja n’avait pas poussé tous les curseurs à leur maximum.
Les embrouilles vont vite, la situation est critique
Cette Master Collection souffre clairement d’une progression linéaire, d’une part toujours aléatoire dans le combat, et d’une boucle de gameplay redondante : arène de combat, plateforme, combat de boss, répétition. Cela dit, il est facile de se prendre au jeu, pour peu que l’on ait (beaucoup) de temps devant soi, que la difficulté ne nous effraie pas, et que l’un des paramètres suivants vous concerne : vous êtes un inconditionnel de la Team Ninja, vous êtes un historien du jeu vidéo ou vous êtes en manque de challenge quasi-masochiste.
Dans un cas comme dans les autres, vous savez que les dernières productions marquantes de la Team Ninja sont la duologie Nioh, et les versus fighting Dead or Alive. Pour évacuer la question D.O.A. : la série Ninja Gaiden est connectée à la série de jeu de combat, Ryu Hayabusa faisant partie du roster de ces jeux. De même, certains personnages de D.O.A. apparaissent dans Ninja Gaiden.
Vient le cœur de la problématique Nioh/Ninja Gaiden. Si vous avez parcouru et aimé Nioh, nous ne pouvons que vous inviter à vous plonger dans Ninja Gaiden, comme un archéologue se plonge dans des fouilles. La quasi totalité des éléments qui ont fait la richesse des Nioh sont ici. De son système de combat, à ses multiples armes, en passant par une gestion de l’espace lors des combats de boss. De là à dire que Ninja Gaiden: Master Collection rassemble ce qui a servi de brouillon à Nioh, il n’y a qu’un pas…
De même que Drakengard et NieR Replicant portent en eux les graines de ce que sera NieR Automata, Ninja Gaiden contient tout ce qui fera le sel et charme de Nioh par la suite. Les germes du « Dark Souls dans un Japon Médiéval » (oui, c’est un abus de langage) sont bel et bien présents. Que ce soit au niveau du level-design (bien plus inspiré dans Nioh, il faut le reconnaître), sur la gestion d’un gameplay vif accessible, mais diablement exigeant, et dans l’iconisation presque outrancière des boss, les liens de filiation sont évidents entre ces deux licences.
Liens qui sont des preuves supplémentaires qu’il existe bien une « patte » Team Ninja, un studio rarement mis en avant, mais qui démontre à chacune de ses productions un savoir-faire artisanal indéniable, et une identité propre, autrement dit, la marque des Grands.
Ninja Gaiden Black et le Ninja Gaiden 2 original auraient eu beaucoup plus de sens dans cette collection plutôt que Sigma et Sigma 2. Cependant, à la décharge de Team Ninja, le développeur a déclaré que son code était « irrécupérable » pour la Master Collection. Le point positif de cette collection est l’inclusion de Ninja Gaiden 3: Razor’s Edge, qui est peut-être la quintessence de ce que peut être un Ninja Gaiden 3D.
Si le présent test paraît en demi-teinte, ne vous y trompez pas : loin d’être mauvaise, cette trilogie est imparfaite, et ne s’adresse clairement pas à tous les publics. De même, nous avons sciemment évacué toutes les questions d’ordre technique, car comment juger en 2021 des jeux vieux de quinze ans qui ont juste été portés sur la génération de consoles actuelles ? Car outre un affichage compatible 4K/60fps sur la current-gen (PS5 et Series) et PS4 Pro et Xbox One X, il s’agit de simples portages, pas de remasters ni de remakes.
De même, la présence de trois niveaux de difficulté reste gadget, car ceux qui veulent jouer à Ninja Gaiden veulent du challenge, pas une promenade de santé.
Cette Master Collection conviendra sans aucun doute aux archéologues du jeu vidéo, et à celles et ceux avides de savoir quelles ont été les fondations des Nioh que nous connaissons.