Drôle d’objet que ce NieR Replicant ver. 1.22474487139… Si les ressorties sous une forme ou une autre (remaster, remake…) sont devenues une pratique d’édition commune, la ressortie d’un jeu qui s’était planté est beaucoup, beaucoup plus rare. Et ce Nier Replicant 2021 qui se voit offrir une seconde chance est peut-être un cas unique, à l’image du destin de la licence.
Cependant, si le jeu avait reçu un accueil plutôt tiède il y a dix ans, ce n’était pas que par malchance : clairement, le NieR de 2010 avait ses défauts. Alors, ce remaster aura-t-il su les surmonter ? Et surtout, un jeu déjà cassé en 2010 vaut-il la peine d’être parcouru en 2021 ?
(Test de NieR Replicant ver. 1.22474487139… réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Un peu d’histoire
En 2010 sortent les jeux NieR. Les jeux, au pluriel, parce qu’une astuce marketing fait que deux jeux « différents » sortent au Japon, l’un sur PlayStation 3, l’autre sur Xbox 360. Baptisés respectivement NieR Gestalt et NieR Replicant, les jeux sont quasiment identiques à cela près que dans Gestalt, l’on incarne le père de la jeune fille à sauver, et dans Replicant, son frère.
En France, seul Nier Gestalt sortira sur tous les supports, ce remaster est donc aussi l’occasion de découvrir un nouveau protagoniste (ce qui ne changera foncièrement pas grand-chose au jeu).
Le jeu original aura vécu une sortie pour le moins difficile. Kotaku écrira que son héros est « parfait pour le jeu : il a l’air fatigué et un peu perdu » (ouch !). Chez nous, Gamekult écrira à propos du jeu qu’il est «handicapé par un héros sans réelle présence et une réalisation qu’on croirait venues tout droit du passé » (re-ouch !). Pas facile, dans ces conditions, de trouver son public. D’autant que NieR est vendu comme une suite ou un spin-off de Drakengard (ce serait la suite de l’une des multiples fins de Drakengard), autre titre pas vraiment des plus populaires.
Nier Gestalt sera donc un échec à sa sortie, aussi bien critique que commercial. Néanmoins, ses aspects les plus réussis, comme son scénario et surtout sa musique (signée Keiichi Okabe), sauveront partiellement le jeu de l’oubli ; ainsi, certains joueurs étant passés à côté du titre découvriront son incroyable B.O. sur le tard, ce qui les décidera à s’intéresser au jeu, qui prendra de la valeur sur le marché de l’occasion et réussira tout doucement à gagner un petit statut de « jeu culte ».
Pour faire suite à sa suite
C’est cette réputation glanée sur la longueur qui permettra la mise en chantier assez inespérée d’une suite, NieR: Automata. Le jeu sera magistral, et un succès international. Square Enix se dit alors qu’il y a là peut-être une carte à jouer, les millions de fans d’Automata n’ayant probablement pas joué au NieR original.
Dans un futur lointain, et après qu’une étrange maladie s’est répandue sur la Terre, la civilisation a fait un grand bond en arrière. Le joueur incarne un jeune homme dont la petite sœur est atteinte d’un mal étrange pour lequel on va tenter de trouver un remède presque mythologique.
Évidemment, pour l’obtenir, il faudra prendre un chemin semé d’embuches, et vaincre des ennemis aussi monstrueux que titanesques.
Un scénario somme toute classique, qui brillera plus par son atmosphère que par sa narration, pas toujours très cohérente, et adepte des raccourcis et autres facilités scénaristiques. Le jeu est en effet empreint d’une mélancolie qui le parcourt du début à la fin. Quoi de plus normal dans un monde où l’humanité s’éteint à petit feu. Une histoire qui démarre mal (et qui, sans spoiler, on le sent, risque de ne pas finir très bien), de grandes plaines désertes qui sont tout autant une tare technique qu’un témoignage de la tristesse qui enveloppe le jeu, et surtout cette musique incroyable, tout en spleen et langueur, qui hante le joueur bien après qu’il aura quitté le jeu…
Pour le reste, on est sur un action/RPG qui louche du côté du hack’n slash, l’aspect RPG étant réduit à la portion congrue. Tout juste pourra-t-on accepter ou refuser certaines quêtes annexes, les réaliser dans l’ordre qui nous plaît, et améliorer ses armes au gré des bonus qu’on cueillera au cours de l’aventure.
Remaster, vraiment ?
Le gameplay était l’une des faiblesses du NieR 2010. C’en est une du NieR 2021. Normal, rien n’a changé de ce point de vue. Les apports indéniables du remaster sont surtout graphiques, et à ce niveau, pour un jeu qui a deux générations de machines devant lui et une réputation de vilain petit canard, on est franchement surpris.
Les environnements sont réussis, parfois même presque photoréalistes. Une certaine tendance au vide est compensée par un travail sur l’éclairage offrant aux décors une lumière chatoyante. Sans atteindre les standards imposés par les blockbusters de fin de génération (The Last of Us Part 2 ou Ghost of Tsushima), le jeu s’en sort plus qu’honnêtement, surtout que, si on a pu jouer à la version originale, on pouvait s’attendre au pire. On est moins enthousiaste sur les modèles des personnages, mais là encore, rien qui n’empêchera d’apprécier le voyage. On est sur un niveau graphique de jeu AA qui, sans être confondant de beauté, s’en sort plutôt pas mal.
Graphiquement, le contrat sur ce remaster est rempli. C’est ailleurs que le bât blesse.
D’abord, le vide du village. Le marché, la maison du héros, et la bibliothèque. C’est tout ce que possède comme constructions le village de notre avatar. À croire qu’il est le seul à avoir une maison ? Certes, on ne croise que peu d’âmes, mais même, où habitent ces gens ? Il aurait été plus facile de croire au personnage si son environnement était un peu mieux pensé. Les auteurs auraient pu profiter de ce remaster pour glisser quelques bâtisses dans le paysage, même inaccessibles, même à l’horizon, pour donner un peu plus de corps à ce lieu.
Mais surtout, le système de quêtes devait être déjà vieillot à l’époque, alors aujourd’hui, il est d’une pénibilité sans nom. Des allers et retours interminables pour aller effectuer des tâches sans intérêt : tel est le cœur du jeu, qui s’est donné pour mission nous semble-t-il de nous faire perdre notre temps.
Après plus de quatre heures de jeu, donc bien en dehors de la zone des tutoriels qui occupent souvent les première missions d’un jeu, Popola nous demande d’aller cueillir des herbes médicinales dans la plaine en dehors du village. Quand bien même on en aurait plein les poches (et à ce niveau du jeu, c’est fort probable), les scripts du jeu exigent qu’on sorte du village (donc chargement) pour y re-rentrer (donc chargement – bis) afin d’aller remettre à Popola des boutures qu’on avait déjà sur nous avant la première phase de chargement…
Un peu plus loin, un villageois nous charge de demander aux sœurs Devola et Popola de bien vouloir chanter à la taverne. Mais Popola n’accepte qu’à condition d’avoir sa boisson favorite, qui n’est servie que dans le village côtier. Où l’on se rend donc au prix de deux périodes de chargement. Pour s’entendre dire qu’il manque des ingrédients, qu’on va aller chercher beaucoup plus loin, à deux ou trois temps de chargement de là, pour revenir (deux temps de chargement à nouveau) remettre les ingrédients à la brasserie, et pouvoir (deux temps de chargement supplémentaires) retourner voir Popola.
Bref, une pelletée de temps de chargement pour une mission tout sauf passionnante, qui en plus ne nous confère même pas de récompense. N’aurait-on pas pu profiter de ce remaster pour introduire des moyens de voyager d’un endroit à un autre ? Weiss, le grimoire parlant du jeu (si, si !), se moquera lui-même de la situation quand enfin le port du village sera accessible, offrant un voyage rapide vers certaines zones (ne permettant pas pour autant l’accès à toute la carte…).
Sans compter qu’entre chaque zone habitée, il faut traverser des plaines assaillies par les ombres et se farcir des combats répétitifs assez pénibles. La première fois, on y va avec ardeur et motivation. La vingtième, beaucoup moins. Sans parler de la facilité scénaristique qui lie chaque événement d’un « il faut que l’on aille voir Popola, elle saura sûrement ». À chaque fois…
Automata, déjà
Devola et Popola, des sœurs que les joueurs de NieR: Automata doivent connaître, même s’il ne s’agit pas exactement des mêmes personnages. Mais justement, malgré ses nombreux défauts, NieR Replicant ver. 1.22474487139… brille aussi dans la lumière d’Automata. Beaucoup de thèmes développés par son génial successeur étaient déjà à un stade embryonnaire dans le premier NieR.
On passera sur la passion de Yoko Taro pour la lingerie fine, qui pouvait à la rigueur s’expliquer dans Automata par la nature même des personnages, androïdes créés par l’homme. Ici, Kainé porte une nuisette et une petite culotte en dentelle et lacets ridicule, qu’on aura bien du mal à justifier.
Au-delà de ça, le jeu avançait déjà des pistes de la réflexion que portera Automata sur le concept de fin d’un jeu. Ainsi, comme son successeur (et ses prédécesseurs Drakengard), Replicant possède plusieurs fins. On nous propose par exemple à un moment clé de l’aventure de sacrifier un compagnon, ou de refuser le sacrifice et de se laisser anéantir. Cette deuxième option représentant une fin assez inhabituelle, voire inacceptable, pour un jeu vidéo, mais tout à fait honorable du point de vue de la narration et du roleplay.
Autre thème présent dans NieR et largement travaillé dans Automata, celui du genre de jeu. A-RPG en général, le jeu évoque par moments (et assez maladroitement au niveau technique) le platformer, le diablo-like, Monster Hunter, les bullet-hells des shoot’em up, cite assez clairement Resident Evil dans le manoir d’Émile ou même Sokoban, le classique du puzzle game de 1982 !
Cependant, jamais NieR Replicant n’atteint la profondeur d’écriture d’Automata, ni ne s’attaque aux thèmes philosophiques majeurs du jeu comme ceux de la nature humaine (encore que celui-ci est effleuré dans NieR, une fois l’aventure achevée) ou de la foi.
NieR Replicant ver. 1.22474487139… est décidément un drôle d’objet. En tant que jeu vidéo, il échoue à convaincre, usant de mécaniques poussives et d’un gameplay manquant de profondeur. Comme son modèle de 2010, il est sauvé par son incroyable bande-son et son atmosphère si particulière. Il a en plus pour lui la lumière de NieR: Automata, chef-d’œuvre vidéoludique dont il porte en lui l’embryon. On est devant Nier Replicant comme devant des épreuves de travail d’un chef-d’œuvre : fasciné par le matériau et ce qu’il apporte au niveau de la compréhension de l’œuvre globale, tout en ayant conscience qu’il ne s’agit nullement d’un travail intéressant en soi.
On le conseillera évidemment quand même aux fans de NieR: Automata, en alertant sur la nécessaire patience qu’exige le titre.