Avec Sable, dont nous avions essayé une démo il y a quelques jours, Minute of Island est le second jeu en très peu de temps à proposer une direction artistique très inspirée de la bande dessinée européenne. Très coloré, avec un style graphique proche de la ligne claire chère à Hergé, Minute of Island attire immédiatement l’œil.
Mais ce style graphique, si réussi soit-il, suffira-t-il à lui seul à nous convaincre de jouer à ce puzzle-platformer ?
(Test de Minute of Island réalisé sur PC via une version commerciale du jeu)
Tintinades
Plus coloré encore que Sable, Minute of Island adopte cette esthétique très proche de la bande dessinée franco-belge. L’effet est d’autant plus saisissant que le jeu est en 2D. Aplats de couleurs et détourage noir à l’épaisseur constante, la direction artistique du jeu suit à peu près strictement les règles de la ligne claire, à quelques rares ombrages près.
Un choix artistique qui donne immédiatement un côté mignon et très dessin animé au jeu. On pense d’ailleurs aussi, plus proche de nous, aux graphismes d’Adventure Time, la série de Cartoon Network.
Un style un peu enfantin qui vient finalement renforcer la noirceur du jeu, et rendre certaines scènes plus frappantes encore. Car si le jeu est graphiquement naïf, ce n’est absolument pas le cas de son propos, noir et désespéré.
All my friends are dead
Sans trop en révéler du scénario, le jeu étant essentiellement narratif, on peut toutefois indiquer qu’il s’agit d’une aventure dans un monde post-apocalyptique. Comme dans un The Last of Us, une spore a envahi l’environnement, rendant l’atmosphère irrespirable. Notre chemin est alors jalonné de petites créatures en piteux état, mais aussi de cadavres d’animaux et autres crânes.
C’est là que le style graphique du jeu fait tout son effet : la rupture entre cette atmosphère de fin du monde et la direction artistique aussi mignonne que colorée est saisissante, et les cadavres de petits écureuils sur le bord de la route sont d’autant plus gênants qu’ils sont mignons ! On a pu aussi être choqué par ce goéland avec une patte arrachée – pas un oiseau à une patte, mais un volatile avec un reste de patte, un moignon sanguinolent…
Dans cet univers, d’étranges machines mi-technologiques, mi-biologiques permettent la survie des quelques êtres qui restent. Les câbles qui alimentent ces appareils sont des veines, et les condensateurs ont tous les atours de cœurs tout ce qu’il y a de plus vivants. On pourra penser à Path To Mnemosyne qui, dans un style graphique radicalement différent, faisait aussi évoluer une petite fille dans des environnements macabres et organiques.
Les machines en question fonctionnent grâce à la force de quatre titans qui, inlassablement, actionnent les manivelles permettant de garder le système en fonctionnement. Des titans comme condamnés aux travaux forcés, endormis au début de l’aventure et qu’il nous faudra réveiller pour rétablir l’atmosphère sur les terres du jeu.
Le dernier d’entre nous
Les titans sont un élément important dans le malaise qui se dégage du jeu. D’abord parce que leur apparence effrayante vient jurer avec l’aspect album jeunesse du jeu. Mais aussi parce que l’une de nos missions sera de les remettre au travail. Une tâche bien désagréable tant on se rend compte du destin fait de souffrances de ces géants.
À nouveau, après les spores, on citera The Last of Us, et particulièrement le deuxième épisode de la saga de Neil Druckman. Comme dans ce dernier, le joueur se retrouve, pour avancer, contraint de faire des choses qu’il n’a pas envie de faire, aux commandes d’une héroïne qu’il aime de moins en moins…
Une trajectoire qui empire au fur et à mesure que l’histoire avance, et les Titans ne seront pas les seules victimes des caprices de Mo, la jeune fille que nous contrôlons. La fin du jeu, enfin, et sans rien en dévoiler, n’est pas sans lien avec celle de The Last of Us.
I see a red door and I want it painted black
Un jeu très noir, donc, malgré une direction artistique colorée, naïve, presque enfantine, qui tranche volontairement avec des thématiques très adultes. Un effet toutefois atténué d’abord par la redondance, dans le média, du propos. Encore un jeu qui parle de dépression, avec une héroïne mal dans sa peau qui trouvera, au bout de la partie, la lumière…
On a déjà cité Path to Mnemosyne, qui traitait exactement de ce thème, dans un autre genre, mais avec aussi beaucoup d’éléments en commun avec Minute of Island. On pourrait citer Gris, Celeste, Sea of Solitude, Mosaic, Limbo, Night in the Woods, Child of Light, ou encore Hellblade… Quand un jeu a des ambitions narratives un peu matures, deux fois sur trois, il choisira de parler du deuil, de la dépression, du mal-être…
Et ce n’est pas le seul reproche qu’on pourra faire au très joli Minute of Island. Hélas, la volonté narrative a pris le pas dans le jeu sur le gameplay. Avec zéro difficulté et un défi complètement absent, on progresse en ligne droite sans rencontrer de résistance aucune. Certes, on contrôle bien Mo, mais on se contente d’avancer, et de sauter quand une plateforme nous le demande. C’est (à peu près) tout. Certains niveaux auront un petit aspect puzzle game, mais leur facilité enfantine fera qu’on n’y passera qu’un court moment.
Et c’est peut-être le plus rageant, finalement, que les développeurs se soient trop concentrés sur la métaphore qu’illustre le jeu, jusqu’à en oublier que c’était, justement, un jeu…
Si la direction artistique fait mouche, et que les auteurs de Minute of Island maîtrisent l’art de la narration, le thème du mal-être trop souvent rencontré dans le jeu vidéo agace un peu. Mais surtout, on aurait aimé que ce jeu de plateforme représente un petit défi, qu’on puisse réellement se perdre dans certains niveaux à la structure un peu labyrinthique. Il n’en est rien, et on traverse le jeu comme un couloir narratif. Bien décoré, certes, mais un couloir tout de même.